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Le 21 octobre, le roi entrait dans Paris au milieu des acclamations les plus enthousiastes, et il trouvait au Louvre le cardinal de Retz, accouru pour le complimenter. Le lendemain, le Parlement, réuni en lit de justice, écouta silencieusement une déclaration qui lui interdisait « de prendre cy-après aucune connoissance des affaires générales de l'Estat et de la direction des finances, ny de rien ordonner ou entreprendre, pour raison de ce, contre ceux qui en auroient l'administration, à peine de désobeïssance 1. >>

La Fronde était anéantie, et Louis XIV avait eu son premier jour de puissance absolue.

1. Déclaration du Roy, portant pacification pour la tranquillité publique, 1652, in-4°, p. 5.

CHAPITRE III

FONDATION DE LA BIBLIOTHÈQUE MAZARINE

Rentrée triomphale de Mazarin à Paris. Il reconstitue sa bibliothèque. Mort de Naudé. Platitudes des anciens frondeurs. Mazarin achète la bibliothèque de Naudé. - État de la bibliothèque de Mazarin en 1658. La Cour s'y rend en 1660. Maladie de Mazarin. Sa dernière visite à ses livres. Son testament. Il institue Louis XIV son légataire universel. Refus du roi. Fondation du collège des Quatre-Nations. - Mazarin lui lègue sa bibliothèque. Richelieu et Mazarin.

La Fronde venait de capituler sans conditions, et ses chefs se prosternaient déjà aux pieds du vainqueur.

Quels fruits la France avait-elle donc retirés de ce soulèvement? Les ressources publiques étaient épuisées, le royaume avait perdu au dedans son unité, au dehors son influence; et de ce long désordre il n'était pas sorti une seule réforme utile, une seule idée féconde. Pendant cinq années d'une indépendance réelle, la Fronde n'avait pas trouvé le temps d'asseoir la société politique sur une base plus équitable et plus large, elle n'avait pas détruit un préjugé, pas réformé un abus, et elle revenait gaiement tomber aux genoux d'un roi adolescent, d'une reine sans prestige.

Ce roi d'ailleurs fit aussitôt justice. Il chassa de Paris les principaux chefs de la rébellion, et envoya Retz à Vincennes.

Rien ne l'empêchait plus de rappeler Mazarin.

Dès qu'il en fut question, les Parisiens commencèrent à s'exprimer plus respectueusement sur le compte de ce ministre

détesté. Peut-être même se mirent-ils à l'aimer un peu, en apprenant qu'il allait devenir leur maître;

Tel qui dizoit brocards étranges,
A cette heure en dit des loüanges;
Aucuns qui pestoient contre luy,
Sont fort adoucis aujourd'huy.
Tel qui dizoit Faut qu'on l'assomme,
Dit à prézent qu'il est bon homme.
Tel qui dizoit le Mascarin,
Le Mazarin, le Nazarin,

Avec un ton de révérence

Dit maintenant : Son Éminence,
Et bref, d'autres qui parloient mal,
Dizent Monsieur le cardi nal'.

Mazarin rentra à Paris le 3 février. Par une des plus rudes journées de l'hiver, le roi, accompagné du duc d'Anjou et de toute la Cour, alla au-devant de lui jusqu'à Dammartin, à sept lieues de la capitale, et le ramena au Louvre dans son carrosse 2. Ce retour fut un véritable triomphe.

En juillet 1652, on offrait encore 150,000 livres à celui qui saisirait « mort ou vif» le Mazarin abhorré. Six mois après, les mêmes hommes « s'étouffoient à qui se jetteroit à ses pieds le premier. » Le valet de chambre Laporte, témoin oculaire, nous le dit, et il ajoute : « Je vis une multitude de gens de qualité faire des bassesses si honteuses en cette rencontre, que je n'aurois pas voulu être ce qu'ils étoient à condition d'en faire autant 3. >>

Mais des platitudes ne peuvent point réparer des folies, et Mazarin savait déjà ce que lui coûtait la Fronde. Son palais était dévasté, sa bibliothèque à peu près anéantie.

Il ne se laissa pas effrayer par les difficultés de la tâche, et,

1. Loret, Muze historique, numéro du 7 janvier 1652.

2. Félibien, Histoire de Paris, t. II, p. 1445.

3. De Laporte, Mémoires, p. 297.

se sentant désormais solidement établi au pouvoir, il résolut de rendre à sa demeure tout l'éclat qu'elle avait perdu. Loret le constate aussitôt avec joie :

On m'a dit que son Éminence,

Par ses soins et sa diligence

(Et pluzieurs m'ont fait ce discours),

Va rétablir dans peu de jours
Cette bibliotèque rare

Dont un temps malin et barbare
Et remply d'infâmes discords.
Avoit dissipé les trézors 1.

Malheureusement, Naudé n'était plus à Paris. Il n'avait pas voulu assister à la ruine de sa chère collection, et, après avoir pris l'avis du cardinal, il avait cédé aux instances de Christine qui lui offrait la direction de sa bibliothèque 2. Naudé avait trouvé à Stockholm une société digne de lui, car Saumaise, Descartes, Heinsius, Huet, Bochart, Vossius, l'élite de la science européenne, s'étaient rendus aussi à l'appel de la reine de Suède. Mais rien ne put le retenir quand Mazarin lui eut fait connaître et son retour et l'intention où il était de reconstituer sa bibliothèque. Naudé d'ailleurs supportait mal le climat de la Suède, la dispersion des trésors qu'il avait rassemblés avec tant d'amour lui avait porté un coup dont il ne devait pas se relever. Les fatigues du voyage abrégèrent encore ses jours, et il n'eut pas même la consolation de revoir le cardinal; il mourut pourtant sur la terre de France, à Abbeville, le 29 juillet 1653 3. Cette perte fut vivement sentie dans le monde littéraire, il suffit pour s'en convaincre de jeter les yeux sur le Tumulus Naudæiqu'a rassemblé le père L. Jacob, son ami. « Je le pleure jour et nuit, » écrit Gui Patin.

1. Loret, Muze historique, no du 9 mai 1654.

2. G. Naudæi Epistolæ, p. 809. -- Huet, Commentarius de rebus ad eum pertinentibus, lib. II, p. 111.

3. Niceron, Mémoires pour servir à l'histoire des hommes illustres, etc., t. IX, p. 81. - G. Colletet, Abrégé des annales de la ville de Paris, p. 391. - D'après le Patiniana, p. 41, Naudé serait mort le 30 juillet.

4. Lettre du 21 octobre 1653, t. II, p. 81.

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GABRIEL NAUDE

ne à Paris, le 2 Février 1600. mort à Abbeville, le 29. Juillet 1653.

Paru chez Olieuoremd. Estampes, quay del'Ecole vis avis le côté de la samarit à la belle Image

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