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Et l'on void par fois à la Cour,

De belles gens le vray séjour,
Entrer marmouzets, marmouzettes,
En un mot des marionettes;

Mais, par amis, certainement,

Ou pour le divertissement.

Le 6 février de l'année suivante, douze médecins se réunissaient dans une des salles du palais Mazarin, et le célèbre Guénault se chargeait d'annoncer au cardinal le résultat de la consultation: c'était un arrêt de mort. Mazarin l'entendit avec calme. L'inquiétude des uns, la joie mal dissimulée des autres, tout lui avait fait comprendre déjà que le moment fatal approchait. Deux jours auparavant, une main restée inconnue avait semé dans sa chambre des lettres de faire-part préparées d'avance, et qui annonçaient son enterrement pour le 21 mars 2. Enfin, deux coïncidences assez remarquables n'avaient certainement pu échapper au ministre dont Richelieu avait été le constant modèle: Richelieu était mort à cinquante-huit ans, Mazarin les avait atteints; Richelieu avait gouverné la France pendant dix-huit ans, Mazarin entrait dans la dix-huitième année de son ministère. La Providence allait le forcer à continuer jusqu'au bout son rôle d'imitateur.

Mazarin manquait de cette foi chrétienne qui permet d'envisager la mort sans crainte et sans regrets 3. Celui qui, reprochant à ses nièces de ne point se rendre à la messe, leur disait : « Si vous ne l'entendez pas pour Dieu, entendez-la au moins pour le monde, »semble bien avoir partagé l'indifférence religieuse de Naudé. Tous deux, au reste, pouvaient l'avoir puisée à la même

1. Loménie de Brienne, Mémoires, t. II, p. 114.

2. G. Patin, Lettre du 4 février 1661, à Falconet, t. III, p. 320. 3. Voyez Mme de Motteville, Mémoires, t. X, p. 185.

p. 215.

Choisy, Mémoires,

Duchesse de Mazarin, Mémoires, édit. Saint-Réal, t. V, p. 8. Loménie de Brienne, Mémoires, t. II, p. 145. Mme de Lafayette, Histoire d'Henriette d'Angleterre, p. 5.

4. Duchesse de Mazarin, Mémoires, t. V, p. 8.

source. D'ailleurs, une fortune très réellement incalculable, un pouvoir presque sans limites, ce sont là des avantages terrestres dont il est difficile de se détacher. Le comte de Brienne nous a rapporté dans ses Mémoires une scène fort curieuse, et qui prouve quel désespoir Mazarin cachait sous son calme apparent. Il nous le montre, déjà brisé par la maladie, se traînant, seul, dans les vastes galeries du palais Mazarin, jetant un regard désespéré sur les merveilles artistiques qu'il y avait réunies 1, et se désolant comme un enfant à l'idée de s'en séparer. Il était enveloppé dans sa robe de chambre de camelot fourrée de petit-gris, et avait son bonnet de nuit sur la tête. On l'entendait venir au bruit de ses pantoufles qu'il traînait sur le sol. Il pouvait à peine se soutenir, et s'arrêtait à chaque pas, fixant chaque tableau et répétant avec douleur: « Il faut quitter tout cela!... Il faut quitter tout cela! Que de peines j'ai eues à acquérir ces merveilles!... Puis-je les abandonner sans regret?..... Je ne les verrai plus, là où je vais... » Brienne se montra. «< Soutenezmoi, lui dit le cardinal, car je suis bien faible, je n'en puis plus. Le comte voulut le faire assoir. « Non, non, reprit-il, je suis bien aise de me promener, j'ai affaire dans ma bibliothèque. Appuyé sur le bras de Brienne, il retomba dans ses rêveries : « Voyez-vous, mon ami, ce beau tableau du Corrége, cette Vénus du Titien, cet incomparable Déluge d'Antoine Carrache? Ah! mon pauvre ami, il faut quitter tout cela. Adieu, chers tableaux que j'aime tant et qui m'ont tant coûté! je ne vous verrai plus ! » Au moment d'abandonner le pouvoir suprême, voilà tout ce que pleurait Mazarin! Est-ce petitesse, est-ce grandeur? se demande avec raison M. Clément de Ris 3. La faiblesse, plutôt que la résignation, lui fit abréger cette triste

1. Voyez Inventaire fait après la mort du cardinal Mazarin, et Exécution du testament du cardinal Mazarin. Bibliothèque nationale, manuscrits, mélanges de Colbert, nos 74 et 75.

2. L. de Brienne, Mémoires, t. II, p. 115 et 116.

3. Les amateurs d'autrefois, dans le Bulletin du Bibliophile, année 1867,

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visite, et il rentra dans ses appartements, bien décidé à abandonner une demeure qui offrait tant d'aliments à ses regrets. Dès le lendemain, il se faisait transporter au château de Vincennes 1.

La cour l'y suivit, morne et silencieuse. Le roi et sa mère voulurent s'y établir aussi 2,

Et DIEU sçait si Leurs MAJESTEZ,

Par leurs ordinaires bontez,
Le vizitèrent, le plaignirent,

Et de grands ennuis ressentirent 3.

Mazarin avait repris son empire sur lui-même. Mais au moment de disposer de l'immense fortune qui va lui devenir inutile, il se sent arrêté par de poignantes hésitations, par d'étranges remords. Aujourd'hui, il avoue au roi qu'il a des sommes considérables déposées à Brissac et à Sedan; le lendemain, il envoie demander deux millions au receveur des gabelles, qui les lui refuse. Les souffrances physiques se joignent aux tortures morales. Il a de continuelles suffocations, son corps maigre, sec, exténué, décoloré, exhale une odeur repoussante 5. Ses pieds enflent à tel point qu'il faut les lui envelopper dans de la fiente de cheval 6, et sa faiblesse est si grande qu'on songe à le mettre au lait de femme 7.

Il a pourtant encore toutes les jouissances que peuvent donner la vanité et l'amour-propre satisfaits. Il règne encore, et les flatteries ne lui manquent point. L'état de sa santé est le sujet de tous les entretiens. Loret, dans sa Gazette, instruit religieusement le public de toutes les phases de cette maladie,

1. Aubery, Histoire du cardinal Mazarin, t. IV, p. 385.

qu'il

2. Poncet de la Grave, Tableau historique du château de Vincennes, t. II,

p. 119.

3. Loret, Muze historique, no du 5 mars 1661.

4. G. Patin, Lettre du 7 mars 1661, à Falconet, t. III, p. 336. 5. G. Patin, Lettre du 7 mars 1661, à Falconet, t. III, p. 335.

6. G. Patin, Lettre du 22 février 1661, à Falconet, t. III, p. 326. 7. G. Patin, Lettre du 25 février 1661, à Falconet, t. III, p. 327.

présente comme si funeste à la France. S'il fallait l'en croire, dès le commencement de mars, plus de trente mille personnes se seraient rendues

au pié des autels
Demander la convalêcence

De ce vray miroir de prudence,
Qui seroit exempt du trépas

Si les sages ne mouroient pas '.

Mazarin, qui est arrivé en France sans ressources, vient de marier sa nièce, et lui a remis en dot douze cent mille écus d'argent comptant 2. Il a donné à chacune des deux reines une poignée de diamants 3, il lui reste encore plus de cent millions. Comment oser disposer d'une pareille fortune, comment l'avouer même, dans un moment où la France est épuisée par une longue guerre, où le peuple est accablé d'impôts, écrasé sous les exactions et les corvées? Puis, Colbert est là, d'un côté, qui, financier avant tout, voudrait faire rentrer ces fonds dans les coffres de l'État; d'un autre côté, c'est la religion, représentée par M. Joly, curé de Saint-Nicolas-des-Champs, celui-là hésite très fort à lui administrer les sacrements, il l'engage à restituer une fortune qui ne peut avoir été bien acquise.

Mais Mazarin est toujours le rusé négociateur qui a triomphé de la Fronde. Il connaît mieux que personne le caractère du roi,

1. Loret, Muze historique, no du 5 mars 1661.

2. Saint-Simon raconte qu'après la mort de celle-ci, dans un procès que le duc de Mazarin eut à soutenir contre son fils, il fut prouvé « en pleine grand'chambre » que, tout calculé, elle lui avait apporté vingt-huit millions. On connait, au reste, le mot du duc de Mazarin, héritier du cardinal et le plus étrange original qu'ait jamais vu la Cour; il était loin de nier l'origine suspecte des richesses qui lui étaient venues de Mazarin, et disait : <«< Je suis bien aise qu'on me fasse des procès sur les biens que j'ai eus de M. le cardinal. Je les crois tous mal acquis, et du moins, quand j'ai un arrêt en ma faveur, c'est un titre, et ma conscience est en repos. » Voyez SaintSimon, Mémoires, t. X, p. 278.

3. G. Patin, Lettre du 1er mars 1661, à Falconet, t. III, p. 329. Voy. aussi une lettre sans date adressée à Spon, t. II, p. 458.

l'affection très réelle qu'il porte à son ministre; il se rappelle le conseil que lui a donné Naudé neuf ans auparavant, et il se décide à jouer le tout pour le tout. Il appelle un notaire et fait un testament par lequel il institue le roi son légataire universel1. Louis XIV était trop fier pour accepter un pareil don; il rend à Mazarin tous ses biens. Dès lors, leur origine est oubliée. Aux yeux des contemporains, le séjour qu'ils ont fait dans les mains royales a suffi pour les purifier : Mazarin peut désormais en disposer sans crainte.

Il sembla à ce moment se reprendre à la vie. Le jeu, qu'il avait toujours passionnément aimé, occupa encore ses derniers instants. On jouait dans sa chambre, auprès de son lit, quand le nonce du pape, prévenu qu'il avait reçu le viatique, vint lui apporter la bénédiction apostolique réservée aux membres du sacré collège 2. « Cartes et sacrements allaient pêle-mêle,» dit M. Michelet 3.

On ordonna dans toutes les églises de Paris des prières de quarante heures", «< ce qui ne se fait d'ordinaire que pour les rois.» Enfin il s'éteignit dans la nuit du 8 au 9 mars, vers deux heures et demie du matin ; et, quoique en proie à de vives souffrances, mourut « véritablement en grand homme 7. » C'est Daniel de Cosnac qui le dit.

Son testament révèle à la fois la jactance du méridional et la vaniteuse ostentation du parvenu. C'est ainsi qu'il lègue six cent mille livres tournois au pape, afin qu'il puisse lever une armée contre les Turcs, et qu'il donne à la couronne de France dix-huit gros diamants, sous la condition qu'ils porteront le nom

1. Aubery, Histoire du cardinal Mazarin, t. IV, p. 369.

2. L. de Brienne, Mémoires, t. II, p. 127.

3. Michelet, Histoire de France, t. XII, p. 415.

4. G. Patin, Lettre du 7 mars 1661, t. III, p. 338. rique, no du 5 mars 1661.

5. Mme de Motteville, Mémoires, t. X,
p. 181.
6. Gazette de France, no du 12 mars 1661.
7. D. de Cosnac, Mémoires, t. I, p. 289.

Loret, Muze histo

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