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à croire, si nous n'en possédions la preuve officielle dans un rapport adressé à Colbert par la Sorbonne.

Un sieur Le Fèvre et sa femme étaient installés, depuis cinq ans, dans quatre pièces situées au-dessus du portail de la cour des cuisines.

Un abbé des Isles, « depuis peu marié, » occupait trois pièces au-dessus de la sacristie.

Un «< pauvre homme de lettres, » nommé Lartille, avait pris possession de cinq pièces du premier étage, sur la rue Mazarine.

Du même côté, le marquis et la marquise de Méré habitaient avec une servante. Ils avaient en outre recueilli dans leur appartement le sieur et la dame Dandonville.

La demoiselle Gassion s'était contentée de deux pièces contiguës au logement de l'abbé des Isles.

Un prêtre, nommé Massy, logeait dans deux pièces qui s'étendaient au-dessus de la salle des actes, sur la rue Mazarine.

Un autre prêtre, originaire de Gascogne, avait trouvé bon d'élire domicile dans six pièces, auprès de l'horloge. Il avait avec lui un de ses parents, deux valets, «< deux demoiselles que l'on dit être la mère et la fille, » plus le sieur Blondet et sa famille.

Le comte de Gocourt s'était casé près de la bibliothèque. Il avait disposé de neuf pièces, ce qui lui permettait d'avoir à son service un valet de chambre, deux laquais, un cuisinier et un cocher.

Au-dessus du comte de Gocourt demeurait un Italien, nommé Milleti. Il donnait asile au sieur Lavigne, tailleur pour femmes, et à plusieurs garçons tailleurs, ce qui causoit « un grand commerce de filles et de femmes, qui vont et viennent dans ce collège, sous prétexte de se faire habiller. >>

A citer encore les sieurs Graveline, porteur d'eau; Renault, tapissier; Le Roy, apothicaire; puis des menuisiers, des serruriers et des peintres qui avaient travaillé pour l'établissement.

Mais il faut consacrer une mention spéciale à un médecin nommé Sanguin. Il s'était «< fait délivrer les clefs de douze pièces,

où, dit le rapport, il loge présentement avec sa mère, deux de ses frères, deux filles, ses sœurs, une servante et un valet. Il prétend faire faire l'ouverture d'une porte cochère, fermée depuis longtemps pour empescher un passage public dans ce collège1. »

Un hôte plus digne d'égards était un brave professeur nommé Godouin. Une des salles de l'établissement lui ayant été provisoirement accordée, il y avait réuni quelques enfants de trois à quatre ans, à qui il se proposait d'apprendre le latin, en les entourant de personnes qui ne leur parlassent jamais d'autre langue 2. Ce système ne pouvait, d'ailleurs, passer pour nouveau, qu'eu égard à l'âge des enfants que Godouin y soumettait, car le principe était déjà admis depuis longtemps par l'Université. Les statuts de 1598, qui ne sont, à cet égard, que la reproduction des règlements antérieurs, interdisaient dans les collèges l'usage de la langue française. Les maîtres ne devaient parler que le latin, et les écoliers étaient tenus de suivre cet exemple, même quand ils causaient entre eux 3.

Mais de tous les envahisseurs du collège, le plus embarrassant était le duc de Mazarin. Il s'était installé dans le bâtiment situé sur le quai, entre la chapelle et la bibliothèque, et il refusait formellement de se retirer. Il prétendait établir son droit sur ses

1. État de ceux qui occupent des logemens dans le dedans du collége Mazarini, restant de ceux que l'on en a fait sortir de temps en temps en exécution des délibérations du conseil de la fondation dudit collége, et qui y continuent leur demeure par des voyes de recommandations, intrigues et cabales.

Délivré à M. Colbert, l'un des exécuteurs de ladite fondation, pour donner ses derniers ordres de les en faire sortir, et contraindre au payement des loyers des lieux qu'ils ont occupez, et faire faire les réparations nécessaires, attendu l'estat présent de cette fondation.

Trois pages in-folio, s. d.

2. Niceron, Mémoires pour servir à l'histoire des hommes illustres, etc. t. XVI, p. 20. Cl. de Boze, Éloge d'Ant. Galland (il assista pendant quelque temps Godouin comme sous-maître), dans l'Histoire de l'Académie des Inscriptions, t. III, p. xxxi.

3. « Nemo scholasticorum in collegio lingua vernacula loquatur, sed latinus sermo eis sit usitatus et familiaris. » Statuta Facultatis artium, art. XVI. Voy. aussi A. F., Écoles et collèges, p. 226.

titres d'héritier du fondateur, de patron du collège et de collateur des bourses. Ses prétentions furent examinées en conseil et repoussées. Colbert ordonna alors d'expulser tout locataire étranger à la fondation 1.

A la suite de ces exécutions, le local se trouva libre. Toutefois, l'établissement ne pouvait entrer en exercice avant d'avoir obtenu deux autorisations, celle du roi d'abord, et aussi celle de l'Université.

A vrai dire, la première était accordée déjà. Par lettres patentes du mois de juin 1665, Louis XIV avait « confirmé, loüé et approuvé le contract » dicté par Mazarin la veille de sa mort, et avait ordonné qu'il fût « exécuté de point en point selon sa forme et teneur. » Plein de reconnaissance pour « l'infinité d'illustres marques d'une ardente affection » que lui avait données le cardinal, le roi entendait «< que ladite fondation fût censée et réputée Royale, et jouît des mesmes avantages, privilèges et prérogatives que si elle avoit esté par Lui faite et instituée 2. »

L'autorisation de l'Université fut beaucoup moins facile à obtenir. Le 22 octobre 1674, les exécuteurs testamentaires lui présentèrent une requête par laquelle elle était très humblement suppliée d'admettre dans son sein le nouveau collège 3. Une assemblée générale eut lieu, le 12 décembre, au couvent des Mathurins, où, depuis le XIe siècle, l'Université tenait ses séances; les doyens des quatre facultés et les procureurs des

1. Voy. Mémoire sommaire pour les grand-maistre et procureur du collége Mazarin, touchant la prétention de M. le duc de Mazarin d'avoir un logement, de droit perpétuel, dans ledit collége. In-folio, s. d.

Colbert, à qui l'on avait demandé s'il fallait « faire sortir du collége toutes les personnes qui y demeurent, à la réserve de M. le duc de la Meille(duc de Mazarin), répondit : « Il faut faire sortir tout le monde sans exception. » Mémoire au Roy. In-folio, s. d,

ray,»

2. Recueil de la fondation du collège Mazarini, p. 12 à 15.

3. Voyez dans le Recueil de la fondation du collège Mazarini, la Requeste présentée à MM. de l'Université de Paris le 22 octobre 1674, pour l'aggrégation du collège Mazarini, et mise entre les mains du procureur scindic de ladite Université ledit jour.

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quatre nations présentèrent successivement leurs rapports. Tous concluaient à l'adoption, mais ils soumettaient en même temps le collège à des conditions qui en modifiaient l'idée fondamentale et en dénaturaient le principe. On exigea avant tout la fermeture du théâtre que la troupe de Molière venait d'établir rue Guénégaud: l'article 19 des règlements de la faculté des arts interdisait, en effet, dans les limites de l'Université 2, la présence d'établissements de ce genre 3. Quant au collège, il devait se conformer aux statuts généraux de l'Université, et présenter ses statuts particuliers à la censure de la compagnie. Le principal et les professeurs seraient membres de l'Université, ce qui, contre la volonté formelle de Mazarin 5, excluait les Théatins 6. On n'y enseignerait ni la théologie, ni la jurisprudence, ni la médecine. Enfin, il n'y aurait ni manège, ni professeur de danse, ni maître d'escrime.

Cette dernière décision était de la plus haute importance, et à cet égard, il y avait eu presque unanimité au sein du conseil. Le rapport du doyen de la faculté de théologie exigeait «< ut prædictum collegium nullam habeat academiam palæstricam, » et

1. L'Université se composait de quatre facultés : théologie, droit, médecine, arts. La faculté de théologie avait deux collèges, la maison de Sorbonne et celle de Navarre. La faculté des arts embrassait l'enseignement des lettres et des sciences en général. Elle était divisée en quatre nations: France, Picardie, Normandie, Allemagne, qui elles-mêmes se subdivisaient en un grand nombre de provinces ou tribus; chaque nation avait ses officiers particuliers, un procureur, un censeur et un questeur.

2. Voy. ci-dessus, p. 137.

3. « Omnes gladiatores, tibicines, saltatores et histriones ab academia finibus migrent, et ultra pontes ablegentur. » Statuta facultatis artium, art. XIX, p. 21.

4. « Ut cæterorum collegiorum more, legibus laudabilibus, institutis, usibus et statutis academiæ subjaceat.... Cum ei statuta privata condentur, ea cum Universitate, et cum singulis Facultatibus communicentur. » Excriptum ex actis Universitatis parisiensis, p. 6.

5. Le principal et le sous-principal... seront de l'ordre des religieux Théatins, et choisis par les vocaux de la maison de Sainte-Anne-laRoyale... » Recueil de la fondation, p. 7.

6. «< Non Theatinum, non alium quemcumque regularem assumat in primarium aut administratorem, non ullum denique qui non sit ex academiæ sinu » Excriptum ex actis Universitatis parisiensis, p. 6.

celui du procureur de la nation française portait «< ut academia palæstrica removeateur. » Le procureur de Picardie déclara << academiam gladiatoriam arceri velle, » et celui d'Allemagne demanda simplement «< ut ab eo collegio arceantur gladiatores, saltatores et alii id genus. » Les autres membres de la commission, sans s'exprimer aussi nettement, avaient exprimé le même vœu ; il se trouvait compris dans une formule générale, aux termes de laquelle le nouveau collège devait être soumis à tous les règlements de l'Université, sans exception1.

La manière dont fut accueillie cette idée si sensée, si prévoyante, de compléter, par des cours d'équitation, d'escrime et de danse, l'éducation reçue dans le collège, est un fait réellement étrange. Tous les écrivains modernes qui ont écrit sur cette époque ont reproché au cardinal la légèreté dont, à leur avis, il avait fait preuve dans cette circonstance. Ils sont, jusqu'à un certain point, excusables, puisque les contemporains eux-mêmes, placés dans le milieu le plus favorable pour apprécier la sagesse de cette mesure, semblent n'en avoir nullement compris la portée.

Les Jésuites, ici encore, se montraient moins scrupuleux et plus clairvoyants. La tragédie qui, dans les collèges, même dans ceux de l'Université, clôturait l'année scolaire, était chez eux presque toujours accompagnée d'un ballet dansé par les élèves. Ainsi, en 1657, la tragédie des Tartares convertis fut suivie d'un ballet divisé en quatre parties, et dont le sujet est longuement développé dans le programme imprimé de la cérémonie 2.

Il faut se rappeler qu'au xvII° siècle la noblesse n'avait pas encore généralement adopté l'éducation universitaire. Plus désireuse de former des hommes braves, intelligents et spirituels, que des savants, elle voyait très bien à quel danger la vie de collège

1. Excriptum ex actis Universitatis Parisiensis, passim.

2. Bibl. Mazarine, recueil coté A 16,019, 19° pièce. Il en fut de même en 1689, en 1724, en 1725, en 1727, en 1728, en 1757, etc. Voy. les recueils cotés 10,371 P, A 10,799, A 15,454, etc.

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