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Le collège passait pour le plus beau et le plus riche de Paris, mais non pour le meilleur. Lors des concours généraux institués au milieu du dix-huitième siècle, il n'obtint jamais qu'un fort petit nombre de nominations: 6, par exemple en 1766, tandis que Louis-le-Grand en récoltait 43 1.

Les mauvais traitements infligés par les professeurs à leurs élèves étaient une des plus regrettables traditions de l'Université. Rabelais, parlant des écoliers du collège de Montaigu, déclarait que « mieulx sont traictez les forcez (forçats) entre les Maures, les meurtriers en la prison criminelle, voyre certes chiens en vostre maison..... Si j'estois roy de Paris, disait Ponocrates à Grandgousier, je mettrois le feu dedans, et ferois brusler et principal et régent qui endurent ceste inhumanité devant leurs yeux estre exercée 2. »

Les autres collèges présentaient tous le même spectacle : « Vous n'y oyez, écrivait Montaigne, que cris et d'enfans suppliciez et de maistres enyvrez en leur colère, les guidant d'une trogne effroyable, les mains armées de fouets!.. Combien leurs classes seroient plus décemment jonchées de fleurs et de feuillées que de tronçons d'osiers sanglans... Au lieu de convier les enfans aux lettres, on ne leur présente qu'horreur et cruauté... C'est un bel agencement sans doute que le grec et le latin, mais on l'achète trop cher 3. »

Le collège de Navarre, fondation royale, se faisait gloire

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d'avoir le roi de France pour premier boursier. Mais il ne faut pas croire que le revenu de cette bourse fût attribué à un autre écolier; sa destination était bien plus utile, on l'employait <<<en achapt de verges pour la discipline scholastique. » D'Aubigné, parlant des premiers maîtres qu'il avait eus, les qualifie d'Orbilies 2, en souvenir d'un pédagogue cité par Horace 3, et que sa brutalité avait rendu célèbre.

Dans une très curieuse Civilité, publiée à la fin du dix-septième siècle, une gravure représente le maître d'école châtiant. sans merci un pauvre écolier. Le patient, pieds et poings liés, attaché nu contre un pilier de pierre, est battu à tour de bras, et ses camarades assistent tremblants au supplice 4.

Ce barbare système des peines corporelles fut, dès l'origine, en usage au collège des Quatre-Nations. Un des domestiques de l'établissement, un frotteur en général, faisait l'office de «< correcteur. Ce titre ne figure cependant sur les registres qu'à partir de 1782. S'il faut en croire Sébastien Mercier, très mauvaise langue comme on sait, les corrections engendraient souvent de graves désordres, et même des scènes tragiques; il raconte qu'un écolier de rhétorique, transporté de colère, se retourna contre l'exécuteur et le tua d'un coup de canif 6.

Mercier ne nous dit pas quelle peine fut infligée à l'auteur de ce meurtre, un peu atténué par la cause qui l'avait fait naître. Les exclusions étaient d'ailleurs fort rares au collège des Quatre-Nations, le premier exemple que nous en ayons rencontré remonte à l'année 1719. Le 22 octobre, le Conseil prononça cette sentence contre le jeune Henri de Blasnes, « à cause de ses mauvaises mœurs, » dit le procès-verbal. Le cas était

1. Guy Coquille, Histoire du Nivernois, 1612, in-4o, p. 158.

2. Voy. Sa vie, p. 11.

3. Epistolæ, lib. II, epist. I, vers 70.

4. Civilité puérile et morale pour instruire les enfans, etc., p. 23. Suite de Roti-cochon, publié par Georges Vicaire.

5. Compte que rend messire Emmanuel-Clément-Chrétien Bruget, etc. Archives nat., H, 2,835.

6. Mercier, Tableau de Paris, t. V, p. 145.

même si grave que le grand-maître ne voulait pas faire connaître à la famille le motif du renvoi; M. de Blasnes l'y força, car il intenta un procès au collège pour le forcer à reprendre son fils 1.

Les collèges n'avaient pas encore adopté la coutume de faire coucher les écoliers ou de les envoyer dîner au son du tambour: une cloche suffisait pour régler tous les exercices.

A cinq heures et demie du matin, un domestique entrait dans chaque chambre, réveillait l'élève et lui donnait de la lumière. Un quart d'heure après, tous les pensionnaires devaient être réunis dans les salles d'étude. On faisait la prière, et le travail n'était interrompu qu'à sept heures un quart pour le déjeuner. Le dîner avait lieu à onze heures trois quarts, et était suivi d'une récréation qui durait jusqu'à une heure. Au milieu de la journée, un goûter très léger permettait d'attendre sept heures, moment du souper. A neuf heures, on conduisait les élèves dans leurs chambres, et on les y enfermait à clef; par crainte du feu, il leur était recommandé d'éteindre leur chandelle au milieu de la pièce 2.

Les récréations avaient lieu dans la deuxième cour du collège, la plus vaste qu'il y eût à Paris, et les élèves avaient, dans une salle spéciale, un billard à leur disposition 3. Deux fois par semaine, de une à quatre heures et demie en hiver, et de trois à sept en été, ils étaient conduits en promenade. Les dimanches et jours de fête, les permissions de sortie, délivrées en général par le principal, étaient remises au portier; celui-ci y inscrivait l'heure du départ et celle de la rentrée, qui devait avoir lieu au plus tard à sept heures.

Les exercices religieux s'accomplissaient sous la surveillance du chapelain. Tous les dimanches à huit heures, les élèves

1. Registre pour servir aux délibérations, etc. Archives nat., MM, 463, 26 et suiv.

p.

2. Registre pour servir aux délibérations, etc. Archives nat., MM, 463. 3. Registre pour servir aux délibérations, etc. Archives nat., MM, 463,

allaient dans la chapelle du collège entendre la messe. Elle était suivie d'une lecture pieuse et d'une instruction faite par le grand-maître. Chaque pensionnaire devait se confesser une fois par mois.

La clôture de l'année scolaire était marquée par deux solennités, la distribution des prix et la tragédie 1. Le libraire Thiboust fut très longtemps chargé de la fourniture et de la reliure des livres donnés en prix; leur nombre variait entre cent et cent trente. Tous portaient sur les plats les armes de Mazarin, et leur reliure revenait en moyenne à vingt sols par volume.

la

Les frais occasionnés par la tragédie étaient plus considérables. L'impression des billets d'entrée et des programmes coùtait vingt livres. On distribuait quarante livres aux musiciens et aux suisses chargés de maintenir l'ordre. Le tapissier, pour tenture de la salle, prenait cent livres, et le charpentier cent vingt livres environ pour la construction de la scène et des gradins. La location des décors et des costumes était à la charge des élèves, il en résulta que les parents défendirent parfois à leurs enfants d'accepter des rôles. Le jeune Lekain, dont le père était trop pauvre pour supporter les frais de cette fête, n'y prenait part que comme souffleur, et on raconte que l'instinct tragique, qui se révélait déjà chez lui, lui inspirait des réflexions et des conseils que ses camarades recherchaient avec avidité 3. Pendant quelques années, on dut suspendre ces représentations, elles reprirent en 1763. A cette époque, on acheta au collège du Plessis des décors et des costumes dont il n'avait plus l'emploi. Presque toujours, la tragédie avait les honneurs de l'impres

1. Sur l'origine de ces représentations dans les collèges, voyez Félibien, Histoire de Paris, t. II, p. 728 ; t. IV, p. 634 et 674, et t. V, p. 23. On allait jusqu'à faire afficher dans les carrefours le programme de la séance. 2. Compte que rend messire Barthélemy de la Fleutrie, etc. Archives nat., H, 2,831. Compte que rend messire Emmanuel-Clément-Chrétien Bruget, etc. Archives nat., H, 2,835.

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3. Ed. de Manne, dans la Nouvelle biographie générale, t. XXX, p. 523. 4. Registre pour servir aux délibérations, etc. Archives nat., MM, 464.

sion; mais on publiait seulement une analyse détaillée du sujet. Comme cela se passait alors au théâtre italien, l'auteur se bornait à rédiger une sorte de programme dont le développement était laissé à l'improvisation des acteurs. Le nom des élèves chargés des rôles est toujours donné à la fin de la pièce.

Voici, par ordre chronologique, le titre de quelques tragédies composées pour précéder la distribution des prix et représentées au collège.

ANNÉE 1689. Jonathas, ou l'innocent coupable, trois actes, joués le 8 août.

Au début de la séance, Feuardent, professeur de rhétorique, lut un poème en français intitulé: Éloge du Roy, par l'ange protecteur de la France et l'ange défenseur de la religion. Pour la tragédie, la scène se passe dans la tente du roi.

PERSONNAGES:

SAÜL, roi des Israélites.
JONATHAS, fils de Saül.

MELCHIS, deuxième fils de Saül.

JOËL, capitaine des gardes.

Le grand prêtre.

AZIEL, frère de Saül.

DOEG, prince iduméen.

ITHAMAS, fils d'Aziel.

ABNER, général de l'armée.

Le prophète SAMUEL.

ANNÉE 1690. David, trois actes, représentés le 7 août. La scène se passe « dans une ville de Judée, proche les montagnes de Gelboë. »

On lit à la fin de la pièce : « Le théâtre sera ouvert par un éloge de Son Éminence le cardinal Mazarin, qui sera prononcé par deux pensionnaires et trois externes du collège. »

ANNÉE 1691. Saül, ou la fausse clémence, trois actes, représentés le 1er août.

La scène se passe « dans la tente du Roy. »

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