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et les éditions des ouvrages que le duc désirait emprunter, et il les lui porta. Le mémoire contenait quarante-trois articles. Le duc le signa et le rendit au sous-bibliothécaire. Celui-ci, on le voit, n'avait omis aucune précaution.

Mais en janvier 1752, quand le duc de Lavallière voulut restituer les volumes qui lui avaient été prêtés, quelques-uns d'entre eux avaient disparu, et toutes les recherches faites pour les retrouver restèrent infructueuses. Les ouvrages suivants avaient été égarés ou soustraits: 1° les OEuvres de Roger de Collerye; 2o Le Lyon marchand; 3° Josias, tragédie; 4o le Théâtre sacré de Nancel; 5° cinq petites pièces : Le conflict de charnage et caresme, La réformation des cabarets et tavernes, Les balieures des ordures du monde, la Sophonisbe de Mairet, la tragédie des Trois enfans dans la fournaise.

Le duc, désolé de cet incident qui pouvait compromettre la position de M. de la Forgue, voulut du moins racheter royalement sa négligence. En échange des ouvrages qu'il lui était impossible de restituer, il offrit à la bibliothèque : d'abord huit volumes in-4°, contenant vingt-cinq tragédies anciennes, puis cinquante-cinq autres tragédies in-4°, et en outre dix-neuf volumes renfermant de nombreuses poésies.

Cette proposition ne fut cependant acceptée que sous bénéfice d'inventaire.

Par ordre de Desmarais, le libraire Barrois fit l'estimation de ces différents ouvrages. Ceux qu'avaient égarés le duc de Lavallière furent estimés 18 liv. 10 s., ceux qu'il donnait en échange, 60 liv.

L'affaire resta en suspens jusqu'au mois de mars. C'est à cette date que se réunirent les docteurs de Sorbonne qui venaient chaque année inspecter le collège. On leur soumit les faits que nous venons de raconter, et ils acceptèrent l'échange proposé.

Tout n'était pas fini encore. Pour que cet arrangement devînt définitif, il lui manquait une ratification, celle du duc de Nevers, HIST. DE LA BIBLIOTHÈQUE Mazarine.

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petit-neveu de Mazarin1. Il lui fallut presque une année pour prendre un parti. Enfin, le 1er janvier 1753, par acte passé devant Mes Charlier et Desmures, notaires au Châtelet, « Philippe-Jules-François Mazarini Mancini, duc de Nivernois et Donziois, pair de France, grand d'Espagne de premier ordre, prince du Saint-Empire, noble vénitien, baron romain, gouverneur et lieutenant-général pour le Roy desdites provinces de Nivernois. et Donziois, ville, baillage, ancien ressort et enclaves de SaintPierre le Moutier, demeurant à Paris au vieil Louvre, paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois, » déclara qu'il approuvait la décision prise par les trois inspecteurs.

Mais le duc était homme prudent, il voulut prévenir le retour de faits semblables à celui qui venait de se passer. Il porta donc l'affaire devant le Parlement, et, sur sa requête, celui-ci arrêta ce qui suit :

1o A l'avenir il ne pourra être déplacé aucuns livres hors de ladite bibliothèque et du collége, sous quelque prétexte que ce soit, ny à la prière et réquisition d'aucunes personnes, de quelque état, qualité et condition qu'elles soient. Sauf à ceux qui auront besoin d'aucuns livres de ladite bibliothèque à en prendre en icelle communication sous les yeux des préposés à ladite bibliothèque les jours qu'elle a coutume d'être ouverte.

2o Que par vente, échange, ou par telle autre voye que ce puisse être, il ne pourra être détourné ny aliéné aucuns des livres, manuscrits, recueils, brochures et autres effets faisant partie de ladite bibliothèque. A moins que préalablement il n'en ait été délibéré, pour le plus grand avantage de la bibliothèque, en la manière prescrite pour les délibérations, par les règlemens du collége, et de l'agrément de Messieurs les Gens du Roy; et à la charge, en outre, que les délibéra

1. Voy. ci-dessous, p. 248.

(

2. Mazarin avait dit dans son testament: Son Eminence prie aussi Messieurs les Gens du Roy du Parlement de veiller à la conservation de la présente fondation, tant pour le collége et pour la bibliothèque que pour l'académie, de les visiter quand il leur plaira, et de s'en faire représenter les réglemens et les comptes. »

tions qui seront prises, soit à ce sujet, soit à tous autres points concernans la discipline dudit collége, ne pourront être exécutées que du consentement des successeurs au titre de fondateur, et après qu'elles auront été préalablement homologuées en la Cour1.

Cette sentence fut transcrite tout au long sur les registres du Parlement, mais n'en fut pas pour cela plus rigoureusement

exécutée.

Desmarais mourut le 23 février 1760 2, laissant des traces nombreuses de son passage à la bibliothèque. Sous sa direction, le nombre des volumes avait atteint le chiffre de 45,000, bien le revenu de la somme placée sur l'Hôtel de Ville fût tombé à 433 livres 3.

que

L'abbé Mathieu-Jacques Vermond, devenu un peu plus tard lecteur et confident de Marie-Antoinette 4, succéda à Desmarais. Suivant l'usage, il prit en charge tous les volumes, après récolement. Le 11 septembre, entraient à la bibliothèque messire André Salmon, grand-maître du collège; le procureur messire Ambroise Riballier, exécuteur testamentaire de l'abbé Desmarais; messire Vermond, bibliothécaire; ils étaient accompagnés du libraire M.-J. Barrois, à qui Riballier remit les huit volumes in-folio contenant l'inventaire des livres. L'opération du récolement exigea cinquante-deux vacations. Il manquait un certain nombre de numéros, qui furent estimés à 220 livres. Mais il était juste d'en déduire 1o la somme de 72 livres pour l'ouvrage intitulé Thomas Hyde, De religione Persarum, qui avait été dérobé par un lecteur le 17 décembre 1759, vol constaté sur le registre des prêts au dehors; 2o la somme de 18 livres représentant les

1. Sur toute cette affaire, voyez : Registre pour servir aux délibérations et arrêtés de Messieurs les inspecteurs et grand-maître du collége Mazarin. Archives nat., série MM, registre no 464, p. 39, 42 et suiv.

2. Compte que rend messire Ambroise Riballier. Archives nat., série H, n° 2,834.

3. Præfatio catalogi alphabetici bibliothecæ Mazarineæ.

4. A tort ou à raison, l'abbé de Vermond a été fort maltraité par Mme Campan. Voy. ses Mémoires, t. I, p. 42 et suiv.

volumes perdus par le duc de Lavallière et remplacés par lui. Restait donc un déficit de cent trente livres seulement, qui dut être porté au passif de la succession.

Le sous-bibliothécaire de la Forgue fut remplacé en 1767 par Berthier, qui mourut l'année suivante et eut Molé pour successeur. Gaspard Michel, surnommé Leblond', devint sous-bibliothécaire en 1770, et fut élu membre de l'Académie des Inscriptions en 1772.

La bibliothèque, suivant un témoignage contemporain, se faisait alors remarquer par « la propreté avec laquelle elle était tenue 2, » et nous avons des détails très précis sur son administration financière, car les archives de la bibliothèque possèdent le registre de ses recettes et de ses dépenses durant les années 1771, 1772 et 1773 3. Les recettes, pendant cette période, s'étaient élevées à 4,294 liv. 10 s.; 3,000 liv. provenaient « des 1,000 liv. par chacun an duës à la bibliothèque selon les lettres patentes de la fondation. » Le surplus se composait des revenus sur l'Hôtel de Ville, qui ne donnaient plus que 431 liv. 10 s. Les achats de livres montèrent à 3,760 liv. 5 s.; aucun d'eux ne mérite une mention spéciale. Il faut y ajouter 501 liv. pour abonnement aux « Journaux et Gazettes. » La bibliothèque recevait alors le Journal des Savants, le Journal de Verdun, le Journal des Beaux-Arts ou de Trévour, l'Année littéraire, les Nouvelles ecclésiastiques, la Gazette de France, la Gazette d'Amsterdam, les Affiches de province et la Gazette de littérature. Les dépenses extraordinaires sont comprises dans un seul article: « Pour encre, plumes, papier, poudre, ports de livres des ventes et autres, cire à frotter, souliers de frotteur, houssoirs, brosses, balais et autres menues dépenses, 60 liv. 6 s. »

Nous avons peu de détails sur un incendie qui, le 17 février

1. Biographie universelle, t. XXIII, p. 488.

2. Almanach parisien en faveur des étrangers et des personnes curieuses, édit. de 1763, 1re partie, p. 94.

3. Compte que rend Mre Mathieu-Jacques Vermond, bibliothécaire du collége Mazarin, pour les années 1771, 1772 et 1773.

1780, à cinq heures du soir, se déclara dans le pavillon occupé par la bibliothèque. Nous savons seulement qu'il occasionna une dépense de 7,380 liv. 11 s. 4 d. ', et que les combles étaient tout en flammes quand les pompiers arrivèrent 2. Les bâtiments n'étaient cependant pas encore chauffés, et l'on commençait à s'en plaindre. Daniel Maichel, qui publia en 1721 le récit de sa visite dans les bibliothèques de Paris, déclare en effet qu'elles ne sont guère utiles qu'en été : « Quid enim manus gelu rigentes e bibliothecis excerpere possunt 3?» L'incendie ne porta d'ailleurs aucun préjudice aux livres leur nombre, qui était de cinquante mille en 1778, s'élevait à soixante mille en 1787 5.

Jacques Vermond avait donné sa démission le 23 décembre 1777, et Luce-Joseph Hooke lui avait succédé comme bibliothécaire. Hooke était né à Dublin en 1716. Venu très jeune en France, il avait fait ses études au séminaire Saint-Nicolas-duChardonnet. Reçu docteur, il signa sans la lire 6 la fameuse thèse de l'abbé de Prades, et dut, à la suite de cette imprudence, renoncer à l'enseignement. Il énumère ainsi lui-même, en tête d'une pièce relative à la bibliothèque, les titres qu'il possédait lors de sa nomination; il était : « Docteur en théologie de la Maison et Société de Sorbonne, ancien professeur royal de théologie en la chaire d'Orléans, et pour l'interprétation du texte hébreu et chaldéen de l'Écriture sainte ès école de Sorbonne; » il y ajouta : <«< Bibliothécaire en chef et perpétuel de la bibliothèque publique Mazarine, unie sous le bon plaisir du Roi au collége Mazarin. » Hooke jouit le premier d'une augmentation de traitement, qui fut

1. Compte que rend messire Emmanuel-Clément-Chrétien Bruget. Archives nat., série H, no 2,835.

2. Journal de Paris, no du 19 février 1780, p. 211.

3. Maichel, Introductio ad historiam literariam de præcipuis bibliothecis, P. 119.

4. Lerouge, Curiosités de Paris, édit. de 1778, t. II, p. 136.

5. Thiéry, Guide des amateurs et des étrangers voyageurs à Paris, édit. de 1787, t. II, p. 485.

6. Voyez A. Barbier, Examen critique et complément des dictionnaires historiques, t, Ier, p. 454.

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