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Dans le petit État qui nous occupe, les gouvernants étaient plus nombreux que les administrés.

Aux termes de l'acte de fondation, le collège devait être composé de soixante élèves 1, mais on en admit, dès l'origine, trente seulement 2. A dater de l'édit rendu en 1781 3, le nombre varia sans cesse. En 1780, il était de trente-deux ; en 1789, il s'éleva à trente-six; en 1791, l'émigration qui commençait le réduisit à vingt et un 5.

Le droit de désigner ces pensionnaires avait été délégué par Mazarin à « l'aisné de ceux qui porteroient son nom et ses armes,» mais, comme nous l'avons vu, la fondation ayant été réputée royale, les premières nominations furent faites par Louis XIV. En mai 1714, un arrêt du Conseil d'État remit cette prérogative à Gui-Paul-Jules Mazarin, pair de France, neveu du cardinal 7. Celui-ci étant mort le 30 janvier 1718, sans laisser de postérité masculine, le roi, s'appuyant sur l'article 2 des lettres patentes de 1688, reprit le droit de nomination; mais en décembre 1728 il le céda à Philippe-Jules-François Mancini, duc de Nivernois, petit-neveu de Mazarin 8.

La liste des pensionnaires qui, dans l'espace de cent vingt ans, se succédèrent au collège des Quatre-Nations, présente peu de particularités intéressantes. Les registres de l'établissement sont même à cet égard un guide fort insuffisant, car ils indiquent rarement le prénom des élèves, et nous n'avons pu retrouver qu'un très petit nombre des certificats délivrés par d'Hozier.

1. Voy. ci-dessus, p. 126. 2. Voy. ci-dessus, p. 193.

3. Voy. ci-dessus, p. 230.

4. Registre pour servir aux délibérations et arrêtés de MM. les inspecteurs et grand-maître du collége Mazarin. Archives nat., MM, 464.

5. Compte rendu par le citoyen Brion, procureur du collège des QuatreNations. Archives nat., H, 2,842.

6. Recueil de la fondation du collège Mazarini, p. 5.

7. Registres pour servir aux délibérations et arrêtés de MM. les inspecteurs du collége Mazarin, et grand-maistre. Archives nat., MM, 463. 8. Registre pour servir aux délibérations et arrêtés de MM. les inspecteurs du collège Mazarin. Archives nat., MM, 464.

Voici le résultat de consciencieuses recherches, faites un peu partout.

En 1691, un de Beaufort et un de Sainte-Aldegonde sont admis comme pensionnaires; un de Chaulnes en 1696. En 1717, apparaît Philippe-François Bart, « natif de Dunkerque, petit-fils de Jean Bart, capitaine de vaisseau, et fils du sieur Bart, capitaine de vaisseau et chevalier de Saint-Louis 2. » Trois ans plus tard, nous trouvons mentionné Gaspard-François Bart, sans doute le frère du précédent, mais rien ne l'indique 3. Le xvIe siècle nous fournit encore un Nicolas de Saulx-Tavannes, élève de philosophie en 1708; le fameux diacre Paris; le savant compilateur Jean-Pierre Niceron; un sieur Cambronne, entré au collège en 1737; l'orientaliste Étienne Fourmont, et le célèbre avocat Henri Cochin; le théologien Nicolas Petit-Radel. Trois frères du même nom figurent en outre parmi les élèves : LouisFrançois, architecte; Philippe, chirurgien; Louis-Charles-François, qui devint administrateur de la Mazarine. Citons encore le poète Destouches; le médecin Helvétius, père du philosophe; l'abbé Bonaventure Racine, auteur de l'Histoire ecclésiastique ; JeanBaptiste et Jacques Cassini, tous deux fils de l'illustre astronome; dom Prudent Maran, savant bénédictin; Calabre Pérau, fécond écrivain; Crébillon, l'aîné; l'abbé Goujet, auteur de la Bibliothèque françoise; l'astronome Nicolas Delisle; François Morand, chirurgien en chef de la Charité, puis des Invalides; l'acteur Lekain; le littérateur Nicolas Charbuy; P.-G. Parisan, auteur dramatique; Pierre Demours, oculiste de Louis XV.

1. La famille de Beaufort était fort ancienne, et subdivisée en un grand nombre de branches, successivement originaires du Limousin, de la Champagne, du Dauphiné, du Languedoc, de la Savoie et de l'Artois.

2. Registre pour servir aux délibérations, etc. Archives nat., MM, 463. 3. La famille Bart fut anoblie par Louis XIV; les lettres de noblesse sont insérées dans le Mercure d'octobre 1694. Le fils du fameux Jean Bart mourut à Dunkerque le 30 avril 1755, vice-amiral et grand-croix de SaintLouis.

4. Goujet, Éloge de J.-P. Niceron, dans les Mémoires pour servir à l'histoire des hommes illustres de la république des lettres, t. XL, p. 380.

Le président Hénault, élevé chez les Jésuites, vint faire sa philosophie au collège des Quatre-Nations 1. D'Alembert, fils naturel de Mme de Tencin, recueilli par la femme d'un vitrier, fut mis en pension à douze ans, et entra au collège Mazarin en 1730. Le chimiste Lavoisier y fit aussi ses études. Jean-Sylvain Bailly, le futur maire de Paris, y étudia les mathématiques sous Lacaille. Enfin, en 1788, apparaît un sieur Custine, fils peutêtre du fameux général.

De 1734 à 1753, trois membres de la famille de Calonne prennent place parmi les pensionnaires; ce sont : CharlesAlexandre de Calonne, le célèbre contrôleur général des finances au début de la Révolution; Jacques-Ladislas de Calonne, son frère 2, et Jean-Baptiste de Calonne. Cette période nous fournit encore l'historien Anquetil, le poète Desforges, le chimiste Charles-Louis Cadet-Gassicourt, le vétérinaire Desplas, le littérateur Louis-Germain Petitain, le chevalier d'Éon, et le poète Écouchard, surnommé Lebrun-Pindare: son père était valet de chambre du prince de Conti, dont l'hôtel touchait le collège. Le peintre David y étudia également; on raconte que, pendant une récréation, une pierre lancée par un de ses camarades l'atteignit au visage et lui cassa une dent; il survint une tumeur contre laquelle les ressources de la chirurgie furent impuissantes, et qui, en déformant ses traits, lui occasionna un embarras de prononciation qu'il conserva toute sa vie 3.

Parmi les noms appartenant au XIXe siècle, citons: le géographe Barbié du Bocage; l'archéologue Alexandre Lenoir, fondateur du musée des monuments français; Mathieu-Georges Sage, créateur de la science docimastique en France; le littérateur Méhée de la Touche; le mathématicien Legendre; le chansonnier Désaugiers; le jurisconsulte Delvincourt; l'auteur dramatique Jean

1. Sainte-Beuve, Le président Hénault, dans le Moniteur universel du 18 décembre 1854.

2. Sur la fâcheuse aventure qui lui arriva à la fin de ses études, voyez La chasteté du clergé dévoilée, t. II, p. 220.

3. Miel, dans l'Encyclopédie des gens du monde, article DAVID.

Armand Charlemagne ; François-Étienne Kellermann, duc de Valmy, fils du célèbre maréchal de France; l'accoucheur Antoine Dubois; l'avocat Ferdinand Bonnet, défenseur du général Moreau; le peintre Barthélemy Garnier ; Louis-Joseph-Charles de Manne, qui mourut en 1832 conservateur à la Bibliothèque royale; le baron de Meneval; le général Billard, mort en 1855; Benoiston de Châteauneuf, mort membre de l'Institut en 1856, et le savant Jomard, mort en 1862.

Le collège des Quatre-Nations a eu peu de professeurs qui aient laissé un nom célèbre. Nous citerons pourtant le géomètre Pierre Varignon, qui y enseigna longtemps les sciences, et fut enterré dans les caveaux de la chapelle 1. Le même honneur fut accordé au savant astronome Lacaille 2, dont les cours de mathématiques étaient très appréciés et très suivis. Quand il vint s'installer au collège, on lui fit élever, dans l'établissement même, un observatoire à toit tournant, « le plus commode qu'il y eut à Paris 3;» il reposait en effet sur un des lourds massifs élevés aux côtés de l'église, ce qui contribuait à donner aux instruments une complète immobilité. Il existait alors à Paris six petits observatoires de ce genre: au couvent des Capucins de la rue Saint-Honoré, à l'hôtel de Cluny, au Collège royal de la place Cambrai, à l'abbaye de Sainte-Geneviève et à l'École militaire . Sous le Directoire, Lakanal fit décider que celui du collège Mazarin serait mis à la disposition du Bureau des longitudes; il a été

1. Savérien, Histoire des philosophes modernes, t. V, p. 329. Brice, Description de Paris, t. IV, p. 126.

2. On trouve la mention suivante sur les registres de la paroisse SaintSulpice pour 1762: « Le vingt-deux mars mil sept cent soixante-deux, a été fait le convoy et ensuite le transport en clergé en la chapelle des Quatre-Nations, de messire Nicolas-Louis de la Caille.... professeur de mathématiques au collége Mazarin.... Mort la veille audit collége, âgé d'environ quarante-huit ans. Témoins Me Ambroise Riballier, procureur dudit collège, et Louis-François de la Tour, libraire et imprimeur, qui ont signé. » Voy. ci-dessus, p. 174 et 175.

3. Journal historique du voyage fait au cap de Bonne-Espérance par l'abbé de la Caille,

p. 95.

4. Thiéry, Guide des amateurs et des étrangers, t. II, p. 270.

démoli lors de l'installation de l'Institut dans les bâtiments du collège. Lacaille eut pour successeur l'abbé Joseph-François Marie, qui mourut en 1801.

La chaire de seconde fut occupée, à partir de 1767, par PierreCharles Cosson qui, de son vivant, jouit d'une certaine notoriété. Il avait adopté un système d'enseignement fort original; convaincu que c'est méconnaître la nature humaine que de la conduire à la sagesse par la contrainte et la sévérité, il donnait ses leçons en forme de jeux. Son Tite Live à la main, il divisait les élèves en Carthaginois et en Romains: un rôle était distribué à chacun d'eux, le plan de campagne arrêté, les positions fixées, et les manœuvres s'exécutaient tout en expliquant l'auteur, dont les expressions restaient gravées dans la mémoire des jeunes combattants. L'abbé Coger, connu surtout par les sarcasmes dont l'accabla Voltaire, était en 1768 professeur de rhétorique ; à la rentrée des classes, il prononça le discours d'usage en vers latins.

A la fin du xvme siècle, Geoffroy (Julien-Louis) qui se fit plus tard un nom dans la critique littéraire, passa comme professeur de rhétorique du collège de Navarre au collège Mazarin.

Nous avons vu plus haut quel modique traitement recevaient les fonctionnaires du collège. Celui-ci était cependant tenu pour le plus florissant et le plus riche de Paris. Nous allons tâcher d'établir clairement sa situation financière.

Ses recettes se composaient.

1° De la mense abbatiale 2 de Saint-Michel-en-l'Herm.

2o D'une rente sur les gabelles.

3o D'une rente sur le trésor.

4o Du loyer des appartements situés sur la place du collège et dans le pavillon des Arts.

5o Du loyer des boutiques qui entouraient la façade.

1. Bouillot, Biographie ardennaise, article Cosson.

2. On appelait mense abbatiale la partie des revenus d'un monastère qui était spécialement affectée aux dépenses de l'abbé.

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