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Lequel a déclaré que depuis long-temps il avoit fait dessein d'employer en des œuvres de piété et de charité une somme considérable des grands biens qu'il a receûs de la divine bonté et de la magnificence du Roy, depuis qu'il a l'honneur d'estre employé aux plus importantes affaires de Sa Majesté.

Qu'afin de parvenir à l'exécution de ce dessein par une fondation qui pust estre à la gloire de Dieu et à l'avantage de l'Estat, il avoit fait de temps en temps un amas de deniers comptans, par des œconomies et des épargnes des effets à luy appartenans. Mais, qu'ayant connu par expérience qu'il estoit absolument nécessaire d'avoir un fonds assûrė de réserve, pour subvenir aux incertitudes des événemens et aux occasions pressantes et inopinées, principalement durant une guerre trèsfâcheuse et contre de puissans ennemis; et son Éminence, sçachant que les finances du Roy n'estoient point en estat de donner un si prompt secours, a conservé ses épargnes pour en secourir le Roy, s'il en estoit besoin, et pour soûtenir et défendre la grandeur du Royaume, en cas de nécessité, les succès n'estant pas toûjours avantageux.

La guerre que Sa Majesté avoit trouvée ouverte lors de son avénement à la Couronne ayant esté terminée par une paix glorieuse, qui est entièrement deûë à la bonté divine, aux victoires des armes du Roy, à la piété de Sa Majesté et à la tendresse qu'Elle a pour ses peuples. Ayant plû à Sa Majesté de donner part de ce grand ouvrage à son Éminence, qui y a employé tout ce qui estoit en son pouvoir; mondit Seigneur, ne croyant plus que Sa Majesté puisse estre pressée d'aucuns mauvais accidens, et pouvant mesme soulager notablement ses peuples, à quoy elle a déjà travaillé par des retranchemens de dépense de son Estat, au moyen de cette paix générale qui produit un calme si heureux à toute la chrestienté, estime qu'il peut faire maintenant l'employ de ses deniers, suivant ses premiers desseins de piété et de charité.

Comme il a toûjours ses pensées attachées aux reconnoissances qu'il doit au Roy, et à ce qui peut produire un plus grand bien et un plus grand honneur au Royaume, il a proposé à Sa Majesté le dessein qu'il avoit d'établir de ses effets un collége et une académie pour l'instruction des enfans qui auroient pris naissance à Pignerolles, son territoire et aux vallées y jointes; aux provinces d'Alsace, et aux païs d'Allemagne contigus; en Flandres, en Artois, en Hainault et en Luxembourg; en Roussillon, en Conflans, et en Sardaigne, en ce qui en est réduit sous l'obeïssance du Roy par le traité fait à Munster le 24 octobre 1648 et par celuy de la paix générale, fait en l'isle appelée des Faisans, le 7 novembre 1659'.

1. Ils sont plus connus aujourd'hui sous les noms de Traité de Westphalie et Traité des Pyrénées.

Que comme toutes ces provinces sont nouvellement venuës ou retournées sous la puissance du Roy, il estoit à propos de les y conserver par les moyens les plus convenables. Qu'on pouvoit les affermir et les lier au service de Sa Majesté, en établissant dans la ville de Paris, qui est la capitale du royaume et le séjour ordinaire des rois très-chrétiens, unt collége et une académie, pour y nourrir, élever, et instruire gratuitement des gentilshommes et des enfans des principaux bourgeois des villes des nations cy-dessus. Qu'on pouvoit aussi leur apprendre les véritables sentimens du christianisme, la pureté de la religion, la conduite des mœurs et les règles de la discipline, n'y ayant point de lieu où toutes ces choses soient avec tant d'avantages que dans ce royaume. Que pendant ces instructions, ceux des nations cy-dessus connoistront ce qui est nécessaire à leur salut, aux sciences et à la police, et combien il est avantageux d'estre soûmis à un si grand roy. Que ceux qui auroient ainsi pris leur éducation en France porteroient ce qu'ils y auroient appris au païs de leur naissance, quand ils y retourneroient, et que par leurs exemples ils y en pourroient attirer d'autres, pour venir recevoir successivement les mesmes instructions et les pareils sentimens. Qu'enfin toutes ces provinces deviendroient françoises par leur propre inclination, aussi-bien qu'elles le sont maintenant par la domination de Sa Majesté. A quoy mondit seigneur le cardinal duc, par l'affection qu'il a eûë au lieu de sa naissance, vouloit joindre les Italiens de l'Estat ecclésiastique, pour les obliger de plus en plus à continuer leur zèle au service de la France.

Le Roy ayant fait paroistre qu'il agréoit fort ce dessein, et que les deniers des épargnes de son Éminence y fussent plûtost employez que non pas à toutes autres choses; ayant aussi Sa Majesté approuvé la résolution qu'a prise son Eminence de joindre audit college la bibliothèque des livres dont il a fait l'amas depuis plusieurs années, de tout ce qui a esté trouvé de plus rare et de plus curieux, tant en France qu'en tous les païs étrangers, où il a souvent envoyé des personnes très-capables pour en faire la recherche, afin d'en faire une bibliothèque publique, pour la commodité et pour la satisfaction des gens de lettres; son Éminence ayant mesme pris le dessein d'élire sa sépulture au collége des Nations cy-dessus: Mondit seigneur cardinal duc a fondé et fonde par ces présentes, sous le bon plaisir de Sa Majesté, un collége et une académie sous le nom et titre de Mazarini. C'est à sçavoir : Le collége de soixante écoliers, qui seront des enfans des gentilshommes ou des principaux bourgeois de Pignerolles, son territoire et les vallées. y jointes, et de l'Estat ecclésiastique en Italie; des provinces d'Alsace,

et autres païs d'Allemagne contigus; de Flandres, d'Artois, de Hainault et de Luxembourg; de Roussillon, de Conflans et de Sardaigne1, en ce qui en est réduit sous l'obéissance du Roy, par les traitez faits à Munster et en l'isle appellée des Faisans, les 24 octobre 1648 et 7 novembre 1659. Et l'académie de quinze personnes, qui seront tirées dudit collége des quatre nations cy-dessus.

Que des soixante écoliers dudit collége, il y en aura quinze de Pignerolles, territoire et vallées y jointes, et de l'Estat ecclésiastique en Italie, préférant ceux de Pignerolles, territoire et vallées y jointes, à tous les autres; les Romains en suite, et en défaut d'eux, ceux des autres provinces de l'Estat ecclésiastique en Italie; quinze du païs d'Alsace et autres païs d'Allemagne contigus; vingt du païs de Flandres, Artois, Hainault et Luxembourg; et dix du païs de Roussillon, Conflans et Sardaigne.

Les quinze personnes pour l'académie seront tirées du collége, sans aucune distinction desdites nations. Et si le collége n'en peut fournir un si grand nombre, le surplus jusques audit nombre de quinze, sera pris de personnes d'icelles nations, encore qu'elles n'ayent point étudié audit collége.

Les soixante écoliers du collége et les quinze personnes de l'académie seront logez, nourris et instruits gratuitement au moyen de la présente fondation.

Les gentilshommes seront toûjours préférez aux bourgeois, tant pour le collége que pour l'académie, et ceux qui auront le plus long-temps étudié au collége préférez à ceux qui y auront moins étudié, pour estre admis en l'académie, pourveû que ceux qui auront le plus étudié soient également propres pour l'académie.

Son Éminence se réserve le nom et le titre de fondateur dudit collége et de l'académie. Et à son défaut, l'aisné de ceux qui porteront son nom et ses armes aura les mesmes droits, avec toutes les prérogatives des fondateurs.

Son Éminence, ou à son défaut l'aisné de ceux qui porteront son nom et ses armes, aura la nomination des soixante écoliers du collège et des quinze de l'académie, sans néanmoins qu'il puisse estre nommé aucune autre personne que des nations et qualitez ci-dessus, et aux conditions cy-devant énoncées. Il aura pareillement la nomination de l'écuyer de l'académie.

Mondit seigneur le cardinal duc supplie très humblement Sa Majesté

1. Il faudrait Cerdagne.

que la présente fondation soit en sa protection perpétuelle et des rois

ses successeurs.

Son Éminence prie aussi Messieurs les gens du roy du Parlement de veiller à la conservation de la présente fondation, tant pour le collége et pour la bibliothèque que pour l'académie, de les visiter quand il leur plaira, et de s'en faire représenter les réglemens et les comptes; ce qu'ils pourront faire à toûjours, conjointement ou séparément.

Son Eminence prie encore Messieurs de la Maison et Société de Sorbonne, que les douze plus anciens docteurs de ladite Maison et Société, qui y seront actuellement demeurans ', et non d'autres, ayent la direction générale dudit collége et de la bibliothèque; et que ces douze nomment, incontinent après que l'établissement en sera fait, quatre docteurs tel qu'il leur plaira de ladite Maison et Société de Sorbonne, pour estre les inspecteurs dudit collége et de la bibliothèque. Desquels quatre inspecteurs, il y en aura deux qui n'en feront la fonction que pendant deux années après l'établissement; et que de deux ans en deux ans il y en aura deux nommez au lieu des deux qui en devront sortir; en sorte que desdits quatre inspecteurs, il y en ait toûjours deux anciens et deux nouveaux.

Si aucuns des inspecteurs décédoient durant le temps de leurs fonctions, les nominateurs en pourront nommer d'autres pour achever le temps de la fonction du décédé. Et sont priez de ce faire incessamment, afin que les places soient toûjours remplies.

Mondit seigneur le cardinal duc prie que ledit collège soit du corps de l'Université, pour en faire un membre, et jouïr des mesmes privilèges et avantages en commun, outre ceux qu'il plaira à Sa Majesté de luy attribuer en particulier; et que l'académie ait les mesmes droits que les autres académies.

L'établissement dudit collége, auquel la bibliothèque est jointe, et de l'académie, sera fait sous le bon plaisir du Roy en la ville, cité ou université, ou aux faubourgs de Paris, en mesme ou divers lieux, le tout selon que les exécuteurs de la présente fondation, cy-après nommez, le trouveront plus à propos.

Le collége sera composé d'un grand-maistre, qui sera docteur de la Maison et Société de Sorbonne, et qui aura la supériorité, intendance. et direction sur tous les autres officiers du collége et de la bibliothèque,

1. Il y eut, dès l'origine, à la Sorbonne, trente-six docteurs logés dans l'établissement même. Ce nombre fut porté à trente-sept lors de la reconstruction des bâtiments. C'était alors un droit accordé à l'ancienneté. Voy. A. F., La Sorbonne, ses origines, etc., 1875, in-8.

et sur tous les écoliers; d'un procureur commun, qui sera docteur ou bachelier de ladite Maison et Société de Sorbonne, selon qu'il plaira aux nominateurs; de quatre principaux et quatre sous-principaux.

Le grand-maistre, en cas d'absence, maladie, ou légitime empeschement, pourra commettre telle personne que bon luy semblera, pour avoir en son lieu pareille supériorité, intendance et direction.

Le procureur commun fera les receptes et dépenses dudit collége, sans toutefois qu'il puisse faire aucune dépense extraordinaire que de l'ordre par écrit du grand-maistre, dont l'ordre suffira jusques à la somme de cent livres. Et en cas de plus grande dépense extraordinaire, sera pris l'ordre par écrit, tant du grand-maistre que des quatre inspecteurs de la Maison de Sorbonne.

Le principal et le sous-principal de Pignerolles, territoire et vallées y jointes, et des Italiens de l'Estat Ecclésiastique, seront de l'Ordre des religieux Théatins. et choisis par les vocaux de la Maison de SainteAnne la Royale, de la fondation de son Eminence'. Et en cas qu'ils soient refusans de nommer, ou qu'il n'y ait pas nombre suffisant de religieux dudit Ordre, soit de ladite Maison ou d'autres, les nominateurs de la Société et Maison de Sorbonne pourront aussi nommer le principal et le sous-principal, ou l'un d'eux pour ladite Nation, ainsi que des autres.

Les principaux des autres nations seront bacheliers de la Maison de Sorbonne, et les sous-principaux tels qu'il plaira aux nominateurs, pourveû qu'ils soient du nombre des supposts de l'Université 2 de Paris; les uns et les autres nommez par les douze anciens de la Maison et Société de Sorbonne, comme il est dit cy-dessus.

Plus, il y aura audit collége huit classes et autant de régents: sçavoir, six d'humanitez et deux de philosophie. Tous lesquels régents seront bacheliers en théologie et nommez par le grand-maistre.

Il y aura un chappelain, aussi nommé par le grand-maistre, de telle qualité qu'il luy plaira.

Les serviteurs communs dudit collége seront aussi nommez par le

1. En 1642, Mazarin prit un Théatin pour confesseur, et acheta sur le quai Malaquais une maison qu'il destina à des religieux de cet ordre. Ils ne s'y installèrent qu'en 1648, et la chapelle fut consacrée, le 7 août, sous le vocable de Sainte-Anne-la-Royale. Mazarin, en mourant, légua aux Théatins cent mille écus pour la construction d'une nouvelle église.

2. Les industriels qui concouraient soit à l'exécution, soit à la vente des livres dépendaient de l'Université. C'étaient les imprimeurs, les libraires, les papetiers, les parcheminiers, les écrivains, les relieurs, etc. L'Université exerçait sur eux tous une action plus ou moins directe, et de là vint leur titre de clients ou de suppôts. Voy. A. F., Écoles et colléges, p. 92 et suiv.

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