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tout autre nature, celles-là, à tort ou à raison, excitaient plutôt le rire que la colère.

L'ineptie, la grossièreté de la plupart de ces pamphlets les eût laissés sans grande influence, si le Parlement ne les avait appuyés de toute sa popularité. Mais arrêts et pamphlets surgissaient pêle-mêle, et au milieu du désordre général venaient de créer une industrie jusqu'alors inconnue,

Les vendeurs de vieille ferraille,
Les crieurs d'huistres à l'écaille,
Les apprentifs et les plus gueux
Ne sont pas les plus malheureux.
Car, n'ayant aucun exercice,

D'abord, comm' en titre d'office,
Eux et Messieurs les crocheteurs
Se sont tous faits colle-porteurs,
Et, sitost que le jour commence,
Crient, sans mettre d'Éminence :
Voicy l'arrest de Mazarin,

Voicy l'arrest de Mazarin '.

1. Le Dru, Lettre à monsieur le Cardinal, burlesque, p. 5.- On évalue à six mille environ le nombre des pamphlets dirigés contre Mazarin pendant la Fronde. La bibliothèque Mazarine en possède une collection presque complète. Ces publications enrichirent plus d'un libraire, sans tirer leurs auteurs de la misère, car une feuille ordinaire, en vers ou en prose, était à peine payée 3 liv. Plusieurs pamphlets écrits contre Richelieu, et qui n'avaient pu être imprimés de son vivant, furent alors dirigés contre Mazarin on se contentait de substituer son nom à celui de son prédéces

seur.

La vente se centralisait surtout sur le Pont-Neuf, où étalaient une cinquantaine de bouquinistes:

Ces pauvres gens, chaque matin,
Sur l'espoir d'un petit butin,
Avecque toute leur famille,

Garçons, apprentifs, femme et fille,
Chargez leur col et pleins leurs bras
D'un scientifique fatras,

Venoient dresser un étalage

Qui rendoit plus beau le passage.

Protégés par les frondeurs, ils avaient contre eux la Cour, les amis de Mazarin, et aussi les libraires, auxquels ils faisaient concurrence. Un règlement de 1649 leur enjoignit de « se retirer et prendre boutiques. » Ils

Une députation du Parlement se rendit enfin à Saint-Germain pour demander nettement le renvoi du cardinal. Les magistrats furent fort mal accueillis, un maître d'hôtel du roi les retint deux heures en plein air, par un temps affreux. Le chancelier daigna. cependant les recevoir, mais pour leur intimer l'ordre de retourner sur-le-champ à Paris.

Ils revinrent furieux, toutes les chambres s'assemblèrent et, à l'unanimité moins une voix, elles arrêtèrent que de très humbles remontrances seraient faites « au Seigneur Roi et à la Dame Régente. » Puis, comme la Cour semblait peu disposée à épouser les haines du Parlement, celui-ci crut devoir donner un tour plus clair à sa pensée, et, « attendu que le cardinal Mazarin est notoirement l'autheur de tous les désordres de l'Estat et du mal présent, il le déclare perturbateur du repos public, ennemy du Roy et de son Estat, lui enjoint se retirer de la Cour dans ce jour, et dans la huictaine hors du royaume, et ledit temps passé, enjoint à tous les subjets du Roy de lui courre sus, fait défenses à toutes personnes de le recevoir 1... »

Après cet acte d'autorité, le Parlement n'avait plus de ménagements à garder envers Mazarin. Paris fut mis en état de défense. L'argent manquait, on en prit un peu partout. Chaque maison ayant porte cochère dut fournir un cavalier monté et équipé. Les membres du Parlement s'imposèrent eux-mêmes. Puis, comme

obtinrent un délai de trois mois pour en trouver, puis allèrent chercher un refuge du côté de la Sorbonne. Mais ils ne tardèrent pas à regagner le Pont-Neuf. Ils en furent de nouveau chassés en 1686, en 1696, en 1742, etc. Voy. le Mascurat, p. 12, 105 et passim. Le Roman bourgeois, édit. elzév., p. 283. Lettres de Gui Patin, t. I, p. 475, et t. II, p. 558. Bibliothèque de l'École des chartes, 2a série, t. V (1849), p. 367. Recueil de poésies de divers autheurs, 1661, in-18, p. 130. Rymaille sur les plus

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célèbres bibliotières de Paris, p. 70. Berthod, Paris burlesque, p. 92 et

94.

- C. Leber, De l'état réel de la presse et des pamphlets, etc., p. 101. Annuaire du bibliophile, année 1861, p. 126.

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1. Arrest de la Cour de Parlement donné, toutes les chambres assemblées, le 8 jour de janvier 1649. Registres manuscrits du conseil secret du Parlement de Paris, t. I, p. 14. Journal d'Olivier Lefèvre d'Ormesson,

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t. I, p. 610.

il ne fallait pourtant pas laisser supporter aux assiégés toutes les dépenses de la guerre, on eut recours sans plus de procès, le 13 janvier, à la confiscation, et

De ce jour arrest fut donné
Par lequel il est ordonné
Que les meubles cardinalistes
Dont on a fait de grosses listes,
Tous ses biens et ses revenus
Seront saisis et retenus 1.

Par le même arrêt, maître Jean de Loynes avait été nommé commissaire et chargé de la saisie 2. Mais, quand il arriva au palais Mazarin, il trouva les appartements fermés. C'était une précaution assez naturelle, puisque le cardinal était à SaintGermain; sans beaucoup de perspicacité, maître Jean de Loynes eût pu prévoir ce contre-temps et prendre ses mesures en conséquence. Il n'osa pas faire jouer les serrures. Il procéda à la saisie dans les chambres qui étaient ouvertes, et pour le reste en référa au Parlement. Celui-ci, qui ne partageait point les scrupules de son commissaire, ordonna (25 janvier 1649) « qu'en présence du conseiller rapporteur du présent arrest, et de l'un des substituts du procureur général, ouverture seroit faite desdites chambres, et description sommaire de ce qui se trouvera en icelles 3. »

Inventaire fut donc dressé de toutes les richesses amassées dans le palais Mazarin. Mais de la saisie à la vente il n'y avait qu'un pas il fut bientôt franchi. Le 16 février, quelques frondeurs zélés prirent l'initiative de la proposition; elle passa sans difficultés à l'égard des meubles. Le Parlement ordonna que, <<< par les huissiers Cazans, Chéron, Herbinot et Binot, seroient

1. Le second courrier françois, traduit fidellement en vers burlesques, p. 3. 2. Arrest de la Cour de Parlement portant que tous les biens, etc... Paris, 1649, in-4°. Registres manuscrits, t. I, P. 23.

3. Arrest de la Cour de Parlement portant qu'ouverture sera faite..., Paris, 1649, in-4o.

vendus au plus offrant et dernier enchérisseur tous les meubles estant en la maison du cardinal Mazarin 1, >>

Excepté la bibliothèque,

Qui demeure pour hypothèque
A tous les sçavans de Paris 2.

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Cette réserve n'avait été obtenue qu'à la suite d'une longue discussion. Plusieurs membres proposaient de donner la bibliothèque de Mazarin à la Sorbonne ; d'autres, moins généreux, demandaient qu'elle fût « réservée en quelque lieu pour le Parlement. M. de Thou, président à la Chambre des enquêtes et héritier de l'amour que son grand-père portait aux livres, se montra seul vrai bibliophile. Il rappela que cette bibliothèque « estoit desjà destinée au public, que par conséquent il estoit d'avis de la conserver; et que les bibliothèques n'estant considérables qu'entant qu'elles estoient entières, ce seroit un dommage irréparable pour les lettres de la dissiper ou diviser 3. » M. de Boileau trouvait plus sage de la donner au Chapitre de Notre-Dame, moyennant << quelque somme honneste. » Le Parlement ne se regarda pas encore comme assez édifié pour résoudre cette difficile question; il arrêta que la vente de la bibliothèque serait ajournée « jusques à ce qu'autrement y ait esté pourveu par ladite Cour1, » et il la laissa à la garde de Naudé, qui dut faire « serment et soumissions >>> devant les conseillers désignés « que ladite bibliothèque seroit conservée en son entier. »

5

La vente des meubles commença le 26 février, mais elle alla fort lentement. Tout le monde ne reconnaissait point au Parle

1. Registres manuscrits, t. I, p. 67.

2. N. Le Dru, Lettre à monsieur le cardinal, p. 7. cours..., p. 9.

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3. Journal contenant tout ce qui s'est fait et passé en la Cour de Parlement de Paris, toutes les chambres assemblées, sur le sujet des affaires du temps présent, p. 81.

4. Arrest de la Cour de Parlement portant que tous les meubles..., 1649, in-4°.

5. Maîtres Saintot, Doujat, Catinat et de la Nauve.

ment le droit de faire ainsi main basse sur les biens de son ennemi. Quant à ceux que leur conscience ne tourmentait point à cet égard, ils se disaient que le cardinal n'était guère éloigné, qu'il pouvait revenir d'un jour à l'autre, et faire un mauvais parti aux personnes qui auraient trempé dans cette spoliation. Le Parlement espéra qu'un nouvel arrêt, en confirmant sa résolution, relèverait la confiance des Parisiens, et, le 29 février, il ordonna

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Qu'on continueroit tous les jours

A vendre en public les atours
Et les bijoux de l'Éminence,

Poudre, pommade, fard, essence '.

Lefèvre d'Ormesson écrivait, le 9 mars, dans son Journal 2: L'aprèsdinée, je fus avec M. de Collanges à la maison du cardinal Mazarin, où l'on vendait ses meubles. Il y avoit une très grande foule de monde. Les commissaires de la vente estoient MM. Doujat et Loysel. J'eus horreur de voir cette vente des meubles d'un premier ministre vivant se faire par les ordres du Parlement. Il ne s'y vendoit que des meubles assez communs.

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Les spéculateurs timorés qui respectaient, à leur grand regret, les richesses artistiques du cardinal avaient très sagement raisonné. La reine vit bien qu'une seule force pouvait contre-balancer l'influence qu'avait su conquérir la Cour de justice elle parla d'États généraux. L'enthousiasme guerrier du Parlement se refroidit aussitôt, et l'on put entrer en pourparlers. Quelques jours suffirent, et le traité de Rueil, signé le 11 mars, rétablit l'harmonie entre les pouvoirs. Les arrêts rendus depuis la sortie du roi furent déclarés nuls, et les meubles aliénés restitués aux particuliers.

Mais le traité ne fut pas sans peine imposé aux Parisiens. Le peuple, les généraux, le coadjuteur refusaient tout accommode

1. Le dixiesme courrier françois, en vers burlesques, p. 10.

2. Tome I, p. 703.

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