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CHAPITRE II.

Des poëmes héroïques et héroï-comiques, didactiques, philosophiques, descriptifs, érotiques, mythologiques, etc.

SECTION PREMIÈRE.

Le Poëme de Fontenoi; le Poëme de la Loi naturelle; la Pucelle; la Guerre de Genève.

LE Poëme de Fontenoi, le seul du genre héroïque dont on se souvienne, sur - tout à cause du nom de Voltaire, est peu digne de l'auteur de la Henriade. Il n'y a nulle imagination, et la versification en est généralement médiocre et négligée. Il fut composé avec une précipitation dont il s'est toujours ressenti, malgré les nombreux changements que l'auteur y fit dans sept éditions consécutives, enlevées en peu de temps. C'était la nouvelle du jour : la France était ivre de cette journée et de Louis XV; Voltaire était, pour un moment, le poëte de la cour, et ce moment, celui de sa fortune, ne fut en rien celui de son génie. C'est pour la cour qu'il fit alors la Princesse de Navarre et le Temple de la Gloire; et c'est à propos de l'une de ces deux pièces, dont

il apprécia bientôt la valeur, qu'il fit ces vers, rapportés depuis dans ses Mémoires :

Mon Henri quatre et ma Zaïre,

Et mon américaine Alzire,

Ne m'ont valu jamais un seul regard du roi :
J'avais mille ennemis avec très-peu de gloire.
Les honneurs et les biens pleuvent enfin sur moi,
Pour une farce de la foire.

Il avait en effet obtenu la place d'historiographe et celle de gentilhomme ordinaire; mais sa fortune de cour ne dura guère plus long-temps que les pièces qui la lui avaient procurée. Celle dont il fut redevable au marquis d'Argenson, ministre de la guerre, l'un de ses protecteurs, et à l'amitié de Pâris-Duverney, qui avait alors un grand crédit, fut plus solide et plus durable : c'était un intérêt dans l'entreprise des vivres de l'armée, qui lui valut huit cent mille francs, et fut une des sources de son opulence.

Il jeta son poëme sur le papier, aux premières nouvelles de la victoire, et ne cessa, pendant huit jours, d'y changer et d'y ajouter quelque chose, suivant les avis qu'il recevait de l'armée, ou les reproches et les demandes qu'occasionait l'envie d'être nommé dans l'ouvrage. Cette manière de faire un poëme, comme on pourrait tout au plus faire un chapitre d'histoire, était un piége pour le talent, sans être une excuse pour l'auteur. Il voulut enfin justifier par l'empressement du pa

triotisme cette folle vitesse (1) que réprouve Boileau, et qui réduisit à une ébauche très-faible et très-défectueuse, à quelques vers près, ce qui pouvait fournir un véritable poëme. Il y eut encore plus de critiques que d'éditions, et cette fois les unes avaient raison contre les autres, et ce n'en est pas le seul exemple. Les critiques en vers étaient assez plates; et pourtant la malignité, toujours si contente de trouver en défaut l'homme supérieur, donna beaucoup de vogue à la Requéte du curé de Fontenoi, facétie du poëte Roy, où il n'y avait de plaisant que ces quatre vers:

On m'a fait encor d'autres torts.

Un fameux monsieur de Voltaire
A donné l'extrait mortuaire

De tous les seigneurs qui sont morts.

Et cela était assez vrai. On rappela le passage du Rhin de Despréaux, et il était encore vrai que ce morceau,qui n'est qu'un épisode d'une de ses épîtres, est fort au-dessus du Poëme de Fontenoi, et pour l'invention, et pour le style.

Au pied du mont Adulle, entre mille roseaux,
Le Rhin, tranquille et fier du progrès de ses eaux,
Appuyé d'une main sur son urne penchante,
Dormait au bruit flatteur de son onde naissante, etc.

(1)

Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez point d'une folle vitesse.

(BOILEAU.)

Ces vers parfaits, ces vers admirables par la richesse d'expression, par le choix des épithètes et par la cadence; ces vers dignes de Virgile, valent mieux, pour un connaisseur, que trois ou quatre cents vers d'une facilité quelquefois brillante, et le plus souvent fautive: et de plus, tout le reste de l'épisode répond à ce début.

En général, la prodigieuse facilité de Voltaire a été et devait être un écueil pour lui dans les genres de poésie noble, où il ne pouvait être ni soutenu ni excusé par le grand pathétique, comme dans la tragédie, et qui, n'ayant pas cette ressource si féconde et si puissante chez lui, exigent par eux-mêmes le travail particulier du vers: telles sont entre autres l'épopée et l'ode. Il a conduit sa Henriade à un assez haut degré de poésie de style, parce qu'il la retravailla long-temps, et cependant il y a laissé encore beaucoup à désirer. Mais ses odes, qui ne sont pas une œuvre de longue haleine, non plus que son Poëme de Fontenoi, et qu'il n'a pas soignées davantage, sont encore plus médiocres.

Je ne citerai rien de ce poëme, parce qu'on n'en a presque rien retenu, si ce n'est un vers qu'on est fâché d'y voir, et qui prouve que dans l'auteur le philosophe pouvait quelquefois céder au courtisan :

L'Anglais est abattu,
Et la férocité le cède à la vertu.

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Il ne sert de rien de dire dans une note que ce reproche ne tombe que sur les soldats, et non pas sur les officiers: ce vers blesse toutes les bienséances. Il sied toujours mal aux vainqueurs d'injurier les vaincus, et il ne sied pas à un philosophe d'ignorer que le soldat anglais n'est pas plus féroce que le soldat français : tout dépend en ce genre, chez toutes les nations civilisées, des circonstances et des chefs. Comment Voltaire, qui a tant reproché à La Beaumelle, et non sans fondement, d'insulter les nations par des généralités injurieuses, s'est-il permis cette grossière injure contre un peuple que par-tout ailleurs il vante, et quelquefois trop? Versailles lui en sut peu de gré, et la postérité le lui reprochera.

Il réussit mieux dans le Poëme de la Loi naturelle. Non qu'il ait approché en rien de l'étendue du plan, de la hauteur des idées, des développements vastes, et de la diction énergique et rapide qui distingue l'Essai sur l'Homme, que lui-même appelait un ouvrage divin : ce n'est pas en ce genre que Voltaire pouvait lutter contre le génie; il n'eut jamais de grandes conceptions que dans la tragédie; et s'il a su habiller la philosophie en vers, ce fut toujours une philosophie assez commune quand elle était vraie, et dont tout le mérite était dans l'intérêt des couleurs. La Loi naturelle n'est pas même proprement un poëme : ce sont quatre épîtres morales, dont la marche est assez vague, et où l'auteur s'est même permis le mélange du

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