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mais l'aspect des plus hauts cieux n'offre aucun rapport avec les fleuves. Quels accords promènent est encore plus impropre gouvernent me semble l'expression qui rend l'idée, car les accords sont ici pour les lois de l'harmonie céleste. Roucher est bien rarement pur une page de suite; mais ici les fautes sont peu de chose devant les beautés, et en total le morceau lui fait beaucoup d'honneur.

Nous n'en trouverons plus guère de ce genre ; car depuis le mois d'août, la seconde moitié de l'ouvrage ne va plus que de mal en pis. Je m'arrêterai pourtant en décembre, à la complainte de l'auteur sur la destruction de ces bois épais qui couvraient autrefois la fontaine de Budé, à Hières, près de la petite rivière de ce nom. J'ai habité dans ma jeunesse ce charmant pays, et tous ceux qui le connaissent ont regretté, comme Roucher, et la délicieuse solitude de la fontaine de Budé, et les beaux ombrages qui l'environnaient.

J'ai vu sous le tranchant de la hache acérée,
J'ai vu périr l'honneur de ta rive sacrée.

Tes chênes sont tombés, tes ormeaux ne sont plus.
Sur leur front jeune encor trois siècles révolus
N'ont pu du fer impie arrêter l'avarice.
D'épines aujourd'hui ta grotte se hérisse :
Ton eau, jadis si pure, et qui de mille fleurs
Dans son cours sinueux nourrissait les couleurs,
Ton eau se perd sans gloire au sein d'un marécage.

Fuyez, tendres oiseaux, enfants de ce bocage,
Fuyez l'aspect hideux des ronces, des buissons,
Flétrirait la gaieté de vos douces chansons.

Vous, bergers innocents, vous qui dans ces retraites
Cachiez les doux transports de vos ardeurs secrètes,
Oh! comme votre amour déplore ces beaux lieux!
De vos rivaux jaloux comment tromper les yeux?
Et moi, qui, mollement étendu sur la mousse,
M'enivrais quelquefois d'une extase si douce,
Hélas! je n'irai plus y cadencer des vers;

Il faudra que j'oublie, et ces ombrages verts, Et la grotte où du jour je bravais les outrages, etc. Le morceau pouvait, je crois, être meilleur; mais le ton et les mouvements en sont naturels, et la versification n'est pas mauvaise, malgré quelques fautes. Il fallait sur-tout, pour amener les outrages du jour, donner une épithète au jour.

.. L'hiver règne, et la neige, Suspendue en rochers dans les airs qu'elle assiége, Oppose aux feux du jour sa grisâtre épaisseur. De sa chute prochaine un calme précurseur S'est emparé des airs: ils dorment en silence. La nuit vient l'aquilon d'un vol bruyant s'élance, Et, déchirant la nue où pesait enfermé

Cet océan nouveau goutte à goutte formé,

La neige au gré des vents, comme une épaisse laine,
Voltige à gros flocons, tombe, couvre la plaine,
Déguise la hauteur des chênes, des ormeaux,
Et confond les vallons, les chemins, les hameaux.
Les monts ont disparu, leur vaste amphithéâtre
S'abaisse; tout a pris un vêtement d'albâtre, etc.

Aux rochers près, qui ne peuvent absolument figurer les brouillards épais qui précèdent la neige, cette description est généralement bonne. L'auteur y a emprunté fort à propos une image trèsjuste, dat nivem sicut lanam, qui est dans les psaumes; mais je n'approuverai pas déguise la hauteur, qui ne peint rien.

Pour clore ces citations, encore un morceau sur les beautés et les ressources de l'hiver dans les climats du Nord. Il est plus original que les derniers que j'ai rapportés, et il à de l'éclat.

Ces climats, il est vrai, par le nord dévastés,
Ainsi que leurs horreurs ont aussi leurs beautés.
Dans les champs où l'Irtis a creusé son rivage,
Où le Russe vieillit et meurt dans l'esclavage,
D'éternelles forêts s'allongent dans les airs.
Le jai, simple roseau de ces vastes déserts,
S'incline en se jouant sur les eaux qu'il domine.
Fière de sa blancheur, là s'égare l'hermine ;
La martre s'y revêt d'un noir éblouissant;
Le daim sur les rochers y paît en bondissant;
Et l'élan fatigué, que le sommeil assiége,
Baisse son bois rameux, et s'étend sur la neige.
Ailleurs, par des travaux et de sages plaisirs,
L'homme bravant l'hiver, en charme les loisirs.
Le fouet dans une main, et dans l'autre des rênes,
Voyez-le en des traîneaux emportés par deux rennes,
Sur les fleuves durcis rapidement voler.

Voyez sur leurs canaux les peuples s'assembler,
Appeler le commerce, et proposer l'échange
Des trésors du Catay, des Sophis et du Gange.

Cours de Littérature. VIII.

29

Là brillent à la fois le luxe des métaux,
Et la soie en tissus, et le sable en cristaux,
Toute la pompe enfin des plus riches contrées.
Là même quelquefois les plaines éthérées,
Des palais du midi versent sur les frimas
Un éclat que le ciel refuse à nos climats :
D'un groupe de soleils l'Olympe s'y décore, etc.

Rénes et rennes, dont l'un est très-long et l'autre très-bref, riment d'autant plus mal, que les deux mots sont plus ressemblants. C'est, je crois, la seule imperfection de ce morceau, qui se termine aux aurores boréales et à l'épisode dont j'ai parlé plus haut. Je ne le transcrirai pas, parce qu'il n'est qu'une traduction; mais cette traduction est élégante.

L'examen des notes me mènerait trop loin, et n'est pas même du sujet qui nous occupe. Il y règne une érudition très-peu éclairée et une philosophie très-erronée. Roucher a voulu s'y mesurer encore avec Racine le fils, dans la traduction en vers des prophéties d'Isaïe; mais il a toujours été malheureux dans cette concurrence qu'il affecte souvent. Quoiqu'il ait généralement l'expression plus poétique que Louis Racine, il ne peut guère soutenir le parallèle direct, parce que ce sont toujours des morceaux d'élite où Louis Racine a été poëte; et comme il a infiniment plus de goût que Roucher, et qu'il est d'ordinaire bien meilleur versificateur, il l'écrase dans ces luttes personnelles. Ainsi, par exemple, nulle comparaison

entre les deux passages correspondants des deux auteurs sur l'apologie de l'ordre physique du Monde; nulle dans la traduction des plaintes de Milton sur la perte de sa vue, quoique Roucher avoue franchement qu'il a voulu faire mieux que lui; nulle sur-tout dans la prophétie d'Isaïe, qui était de toute manière au-dessus des forces de Roucher. Il ne suffit pas ici d'être ce qu'il est quelquefois, poëte par le coloris; il faut l'être dans toutes les parties de l'art, et les plus relevées; il faut être naturellement monté au sublime des pensées, aux grands mouvements de l'ame et de l'imagination, à l'élan le plus rapide à la fois et le plus flexible; et de plus, la distance des idiomes originaux aux nôtres, et la disparité de génie entre la poésie hébraïque et la poésie française, exigent le goût le plus sûr pour adapter l'une à l'autre; et ce n'était pas trop du grand Racine pour cette entreprise. Son fils, sans aller jusque-là, se soutient du moins dans sa version d'Isaïe à un degré dont il ne tombe jamais : il y a par-tout élégance et nombre, s'il n'y a pas toujours élévation et force. Dans Roucher, il n'y a rien que la dureté baroque d'un style décousu, et à la fois plat et barbare.

Concluons de tout ce que vous avez entendu sur les poëmes de tout genre en ce siècle, que dans l'épique nous avons un ouvrage qui, ne se distinguant que par le mérite général d'une versification élégante et noble, et quelquefois su

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