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représentant du pouvoir exécutif pour tout ce qui concerne le service judiciaire, n'a pas le droit de siéger dans les tribunaux'.

§. B. La juridiction administrative était soumise anciennement à d'autres règles. Jusqu'à la loi du 24 mai 1872, et sauf une interruption de 1848 à 1852, elle a été retenue par le chef de l'État qui l'exerçait en conseil d'État, soit qu'il s'agit de régler les conflits entre les tribunaux judiciaires et administratifs, soit qu'il s'agit d'exercer la juridiction contentieuse qui appartient au même conseil en qualité de tribunal de cassation, de tribunal d'appel ou d'unique degré de juridiction. Le conseil n'avait pas plus de pouvoir propre en matière contentieuse qu'en matière administrative, et préparait seulement l'exercice de la justice retenue, en présentant à la signature du chef de l'État des ordonnances ou des décrets que celui-ci pouvait modifier ou ajourner3. Cette fiction légale, dont il ne parait pas qu'il ait été fait usage plus de deux fois, a disparu depuis la loi du 24 mai 1872 qui porte

7 Voy. infrà, § 25.

§ 7. 1 Voy. suprà, § 4, et infrà, § 19.

2 Il connaît: 10 comme tribunal de cassation, des recours dirigés pour excès de pouvoir contre toutes les décisions administratives (L. 24 mai 1872, art. 9), et des recours, pour violation de la loi ou des formes de procédure, contre certaines décisions rendues en premier ressort en matière contentieuse administrative (L. 16 sept. 1807, art. 17; L. 27 juill. 1872, art. 30); 2° comme tribunal d'appel, des recours dirigés contre les décisions rendues en premier ressort en matière contentieuse administrative (L. 24 mai 1872, art. 9); 3° comme unique degré de juridiction, des recours formés contre les décrets non gouvernementaux, des demandes en interprétation de ces mêmes décrets, et des affaires contentieuses administratives qui lui sont directement soumises en vertu d'un texte formel (Ducrocq, op. cit., t. II, no 457 et suiv.).

3 L. 19 juill. 1845, art. 24. D. 25 juin 1852, art. 1, 20 et 21. Ces textes appartiennent à la législation de la monarchie de 1830 et du second Empire, mais la règle était la même, quoiqu'on l'ait contesté, sous le Consulat, le premier Empire et la Restauration (Serrigny, op. cit., t. 1, no 77). Les actes du pouvoir exécutif se sont appelés alternativement décrets, arrêtés ou ordonnances: ordonnances (ou encore édits, déclarations, lettres patentes) avant 1789; décrets sous le premier Empire, la République de 1818 et le second Empire; ordonnances sous la Restauration et la monarchie de 1830; ils s'appelaient arrêtés sous le Directoire: ils ont conservé le titre de décrets depuis 1870. Les actes du pouvoir législatif s'appelaient aussi décrets sous les Assemblées constituante et législative (Const. 3 sept. 1791, tit. III, ch. 1, sect. 11, art. 4, 9 et suiv.) et sous la Convention; c'est la constitution du 5 fructidor an III qui leur a donné le nom de lois qui leur est resté (Art. 92).

Un projet délibéré par le conseil d'État sur une instance engagée en 1812

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que « le conseil d'État statue souverainement sur les recours << en matière contentieuse administrative ». « Pourquoi main«tenir une fiction, a dit M. Batbie dans le rapport de la com«< mission à l'Assemblée nationale, et ne pas mettre dans la <«<loi une disposition qui soit conforme à la réalité ? Nous le <«< comprendrions, si la faculté de refuser l'approbation pou«vait influer utilement sur les décisions du conseil d'Etat, <<< mais il est reconnu que, si le chef du pouvoir exécutif usait « de ce droit, la bonne administration de la justice y perdrait beaucoup. Il y aurait à craindre que le caprice ou la passion politique ne fûssent plus écoutés que l'avis mùrement délibéré par le conseil d'État. Ce pouvoir pourrait être aussi, avant le vote, un moyen de pression pour obtenir « par la menace d'une réformation une majorité factice. Nous «< avons brisé une arme dont il serait possible de faire un si dangereux usage ». C'est depuis cette loi qu'il est vrai de dire que toute justice est déléguée'.

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§ 8. On appelle plus particulièrement autorité judiciaire celle qu'exercent les tribunaux judiciaires, et c'est la seule dont j'aie désormais à m'occuper. Il existe, en théorie, deux manières de comprendre sa compétence: on peut la fonder sur la nature des matières ou sur la nature des fonctions. Son rôle est de juger, disent les partisans du second système : elle l'a seule, mais elle n'en a pas d'autre; elle est étrangère à toute fonction administrative, mais elle est exclusivement compétente pour connaître des contestations, quels que soient l'objet du débat, la qualité des parties et la nature des intérêts en présence. Elle prononce aussi bien sur les procès où l'administration est partie que sur ceux qui s'agitent entre les citoyens; elle a le droit de mettre le pouvoir

n'a reçu l'approbation du chef de l'Etat que le 18 août 1856 (Recueil des arrêts du conseil, 1856, p. 545); un autre, arrêté par le conseil en 1852, n'a été signé par l'empereur que le 4 mai 1861 (Ib., 1861, p. 1026). Il est sans exemple que le pouvoir exécutif ait usé du droit de rendre un décret ou une ordonnance contraire au projet élaboré par le conseil d'Etat (Ducrocq, op. cit., t. II, n3480). 5 Art. 9.

Loc. cit., p. 15.

7 Il en était de même de 1848 à 1852 : le conseil d'Etat avait alors un pouvoir de décision propre en matière contentieuse, et la justice administrative lui était déléguée (L. 3 mars 1849, art. 6). Quant à la juridiction administrative des conseils de préfecture, elle a toujours été déléguée (Bathie, op. et loc. cit.).

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législatif en cause, en critiquant l'usage qu'il a fait de ses attributions, et en refusant d'appliquer les lois qu'elle juge inconstitutionnelles. C'est ce qu'on exprime en disant, dans ce système, qu'une même matière est législative, administrative ou judiciaire, suivant qu'il s'agit de faire la loi, de l'appliquer en dehors d'une instance, ou de statuer sur une contestation'. Cette théorie, qui étend singulièrement la compétence des tribunaux, transforme la magistrature en un corps politique, et permet à l'autorité judiciaire régulièrement saisie de se placer au-dessus des autres', n'est pas celle du droit français. La compétence de l'autorité judiciaire n'est fondée, en France, que sur la nature des matières. D'une part, elle s'applique à toutes celles de droit privé et de droit pénal, les embrasse en leur entier, et comprend à la fois le jugement des contestations qui s'y réfèrent et l'exercice de la juridiction gracieuse3, en sorte que les tribunaux administratifs ne peuvent connaître de ces mêmes contestations, ni quand elles se produisent d'une manière principale, ni quand elles se présentent sous forme de questions préjudicielles au jugement d'un procès administratif'. Aussi dit-on que « la vie,

§ 8.1 Odilon Barrot, De l'organisation judiciaire en France (dans les Comptes-rendus de l'Académie des sciences morales et politiques, t. XCVI, 1871, p. 27 et suiv.). Jousserandot, op. cit., p. 17 et suiv. Eymard-Duvernay, Proposition de loi pour la réforme de l'organisation judiciaire déposée au Sénat le 27 janvier 1880 (Journal officiel du 11 mars, p. 2890). La commission d'organisation judiciaire, instituée par le décret du 19 septembre 1870, s'est ralliée à la même idée (Procès-verbaux (Paris, 1871), p. 6 et suiv.).

2 M. Jousserandot explique cependant que la magistrature n'exercerait pas un pouvoir politique en refusant d'appliquer une loi inconstitutionnelle, parce que son intervention ne serait pas générale et spontanée, mais toujours successive, provoquée par une demande en justice, et restreinte à des cas particuliers (Op. cit., p. 31 et suiv.). M. de Tocqueville a établi victorieusement la thèse contraire à propos de la magistrature américaine (Op. cit., t. I, p. 166). 3 Voy., sur la juridiction gracieuse, infrà, § 67.

Par exception, la juridiction administrative est compétente pour réprimer les contraventions de grande voirie (L. 29 flor. an X, art. 1). L'article 1er du Code pénal appelle contravention « l'infraction que la loi punit des peines de simple police », c'est-à-dire d'un à cinq jours d'emprisonnement et de 1 à 16 francs d'amende (C. pén., art. 465 et 466). Les faits qualifiés contraventions de grande voirie sont punis de peines beaucoup plus fortes (Ed. déc. 1607, Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises (Paris, 1822-1833), t. XV, p. 335; D. 19-22 juill. 1791, tit. I, art. 29; L. 23 mars 1842, art. 1), mais on leur donne le nom de contraventions, parce que ce mot désigne lato sensu, dans la langue du droit criminel, les infractions punissables qui ne puisent pas leur criminalité dans la moralité du fait et dans l'intention de l'agent, et qui consistent uniquement dans l'infraction matérielle à une prescription ou prohibition de la loi (Chauveau-Adolphe et Faustin-Hélie, op. cit., t. I, n° 16;

<«<l'honneur, la liberté et la propriété des citoyens sont placés «<sous la sauvegarde de l'autorité judiciaire ». D'autre part, sa compétence est étrangère aux matières législatives et administratives, et notre organisation judiciaire est dominée par deux principes essentiels qui séparent l'autorité judiciaire : 1o du pouvoir législatif; 2o du gouvernement et l'administration.

3

§ 9. I. Le décret des 16-24 août 1790 porte que « les tribu«naux ne peuvent prendre directement ou indirectement « aucune part à l'exercice du pouvoir législatif, ni empêcher « ou suspendre l'exécution des décrets du corps législatif, « à peine de forfaiture ». Les constitutions des 3 septembre 1791, et 5 fructidor an III3 renouvellent cette prohibition, et l'article 127-1° du Code pénal la sanctionne : <«<< Seront coupables de forfaiture et punis de la dégradation civique les juges qui se seront immiscés dans l'exercice du pouvoir législatif, soit par des règlements contenant des dispositions législatives, soit en arrêtant ou en suspendant « l'exécution d'une ou de plusieurs lois, soit en délibérant sur <«<le point de savoir si les lois seront publiées ou exécu«<tées ». Enfin la loi du 30 août 1883 dispose que « toute « délibération politique est interdite aux corps judiciaires »3.

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§ 10. 1° Il est défendu aux tribunaux de faire des règlements'. On appelait ainsi, dans l'ancienne jurisprudence, des Garraud, Droit pénal français (Paris 1888-1894), t. I, no 234). Tel est le caractère des contraventions de grande voirie (Ducrocq, op. cit., t. II, no 609 et suiv.) et de certaines infractions aux lois sur la presse (D. 17 févr. 1852, art. 11, 14, 18, 20, 22, 25, 29 et 32; L. 11 mai 1868, art. 2, 6, 8, 10, 11 et 15). Les questions relatives à l'état des personnes et au droit de propriété immobilière sont plus particulièrement du ressort des tribunaux civils (Voy., sur ce point et sur la théorie des questions dites préjudicielles, dont la solution préalable est nécessaire pour qu'un jugement puisse être rendu, mais dont la connaissance appartient à un autre tribunal que celui qui doit rendre ce jugement, t. II, §§ 412 et 450). Aucoc, op. cit., t. II, no 214. Aj. infrà, § 20.

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• Voy., sur ce principe, Sirey, op. cit., vo Compétence administrative, nos 16 et suiv., 405 et suiv.

Art. 14. Voy., sur ce point, infrà, § 150.

§ 10. 1 D. 16-24 août 1790, tit. II, art. 12. Const. 5 fruct, an III, art. 203. C. civ., art. 5. C. pén., art. 127-1o.

arrêts par lesquels les parlements déclaraient d'avance et d'une manière générale comment ils jugeraient un point de droit, lorsqu'à l'avenir il se présenterait devant eux, et faisaient ainsi la loi dans les limites de leur ressort. Cet usage, qui rappelle l'édit par lequel le préteur romain annonçait, en entrant en charge, la solution qu'il donnerait aux difficultés nouvelles et aux questions controversées, était une véritable usurpation du pouvoir législatif et l'oubli de ce principe essentiel que l'autorité judiciaire ne prévoit pas l'avenir et statue seulement sur le passé. L'expérience a prouvé qu'une prohibition formelle n'est pas inutile en pareille matière, et que les tribunaux, si éloignés qu'ils soient aujourd'hui d'empiéter de parti pris sur les attributions législatives, sont encore exposés à formuler par une erreur involontaire des dispositions réglementaires. La jurisprudence est intervenue à diverses reprises pour annuler, en vertu des textes précités, des arrêts ou des jugements qui prescrivaient la procédure à suivre dans un ressort judiciaire', ou qui adressaient aux parties en cause des injonctions ou des défenses qui n'étaient pas la conséquence légale et forcée du dispositifs. D'ailleurs, il n'est

2 Gaius, Comm. I, § 6. Dig., LL. 2, § 10. De or. jur. (I, 1); 7 pr., De jurisd. (II, 1). Accarias, Précis de droit romain, 3o éd. (Paris, 1879), t. I, p. 48, note 2; p. 49, note 2.

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3 Voy. suprȧ, § 5. Le plus ancien que l'on connaisse est un arrêt du parlement de Paris, de 1290, rapporté en ces termes dans les Olim: « Preceptum fuit omnibus ballivis et magistris nundinarum Campanie quod de contrac« tibus initis extra nundinas non dent litteras sicut de corpore nundinarum, « nec justicient obligatos per tales litteras sicut de corpore nundinarum » (Beugnot, Les Olim (Paris, 1839-1844), t. II, p. 303). Ces arrêts n'avaient d'autorité que s'ils étaient rendus par les chambres assemblées ; ceux d'une chambre ne liaient pas les autres (Connanus, Commentarii juris civilis, liv. I, ch. xvi (éd. Paris, 1558, p. 64); Merlin, op. cit., vo Arrêt, no 8). D'ailleurs, il n'est pas sans exemple qu'un arrêt de règlement ait été plus tard abrogé ou modifié par un autre en sens contraire (Merlin, op., vo et loc. cit.).

Je citerai, à titre d'exemples, l'annulation d'un arrêt qui défendait aux avoués d'assister dorénavant aux interrogatoires en matière d'interdiction judiciaire (Req. 26 avr. 1841; D. A. vo Avoué, no 136); d'un arrêt qui ordonnait qu'à l'avenir les jugements commerciaux des tribunaux de première instance ne feraient plus mention de la présence du ministère public (Req. 12 juill. 1847; D. P. 47. 1. 255); d'un arrêt qui décidait que les parties devraient désormais se faire représenter par des avoués devant les tribunaux correctionnels (Req. 29 juill. 1851; D. P. 51. 1. 202). Voy., pour plus de détails, Dalloz et Vergé, Code civil annoté (Paris, 1873-1874), art. 5, nos 2 et suiv.

Voy. Dijon, 30 janv. 1840 (D. A. vo Vente publique d'immeubles, no 1961; annulation d'un jugement qui interdisait à un particulier de vendre, à l'avenir, ses immeubles aux enchères publiques); Aix, 25 févr. 1847 (D. P. 47. 2. 85; annulation d'un jugement qui défendait à une partie de s'immiscer dorénavant dans

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