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de ce bénéfice, c'est que le droit de révocation est indispensable à l'égard de magistrats qui n'ont à justifier ni d'un stage ni d'un diplôme, et qui exécutent comme officiers de police judiciaire les ordres du pouvoir exécutif11.

$117. On a vu comment l'inamovibilité a pénétré dans le droit français par la vénalité des offices, et comment les magistrats ont joui, avant 1789, d'une irrévocabilité égale à l'inviolabilité de la propriété privée'. Les gouvernements n'aiment cependant pas ce qui leur résiste, et, depuis que la vénalité a disparu, bien peu ont résisté à la tentation de porter la main ouvertement, ou d'une manière détournée, sur l'inamovibilité de la magistrature. Quant le nouvel ordre judiciaire fut fondé et les juges éligibles, la loi organique et les constitutions même leur assurèrent sans peine l'inamovibilité pendant la durée de leurs fonctions comment l'État aurait-il hésité à se lier envers des juges qui arrivaient naturellement, après deux ou cinq ans, au terme de leur mandat3? - mais, depuis la constitution du 22 frimaire an VIII, qui a donné au pouvoir exécutif la nomination des magistrats et à ceux-ci l'inamovibilité, ce dernier principe a été, à chaque changement de

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Exposé des motifs de la proposition de loi citée suprà, § 8, note 1. et le rapport de la commission de la Chambre des députés sur la proposition de loi de M. Etienne Flandin citée suprà, § 113, note 4. Comp, sur la division des cours et des tribunaux en classes, suprà, § 32, note 3.

10 Const. 22 frim. an VIII, art. 68. Ch. 4 juin 1814, art. 61. Ch. 14 août 1830, art. 52. Const. 4 nov. 1848, art. 87.

11 M. Camille Bérenger avait fait une proposition en sens contraire à l'Assemblée nationale de 1848 (Séance du 17 octobre 1848; Moniteur du 18, p. 2882. M. Berriat-Saint-Prix soutient que les juges de paix pourraient se prévaloir, à la rigueur, de l'inamovibilité, attendu que la constitution du 14 janvier 1852 proclame sans distinction (Voy. suprà, même §, note 7) le principe de l'inamovibilité de la magistrature (De l'indépendance des juges de paix, dans la Revue critique de législation et de jurisprudence, nouv. sér., t. VIII, 1879. p. 753). Cette proposition est doublement erronée : 1° la constitution de 1852 n'est plus en vigueur; 2o elle ne voulait certainement consacrer l'inamovibilité que dans les termes où elle existait antérieurement.

$117. Voy. suprà, § 102. Aj. Albert Desjardins, L'inamoribilité de la magistrature dans l'ancienne France (Dans la France judiciaire, t. V, 1881, I part., p. 49 et suiv., 82 et suiv.).

2 D. 26-24 août 1790, tit. II, art. 8. Const. 3 sept. 1791, tit. III, ch. v, art. 2. Const. 5 fruct. an III, art. 206. La constitution du 24 juin 1793 ne fait pas mention de l'inamovibilité, mais on a vu suprà, § 3, note 1, qu'elle ne fut jamais appliquée.

Voy. suprà, § 103.

Art. 41 et 68 (Voy, suprà, § 104).

gouvernement, remis en question, atteint indirectement, quelquefois même ouvertement violé.

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$118. 1° La constitution du 22 frimaire an VIII instituait trois listes d'éligibles: la liste communale, formée par les habitants de chaque commune et comprenant le dixième d'entre eux; la liste départementale, formée par les citoyens portés sur les listes communales et comprenant le dixième. d'entre eux; la liste nationale, formée par les citoyens portés sur les listes départementales et comprenant le dixième. d'entre eux'. La constitution décida que ces listes seraient renouvelées tous les trois ans que les électeurs pourraient rayer les personnes qui y étaient inscrites, et les remplacer par d'autres que les membres du tribunal de première instance seraient pris dans la liste communale ou dans la liste départementale, ceux des tribunaux d'appel dans la liste départementale, et ceux du tribunal de cassation dans la liste nationale3 enfin, que les uns et les autres ne conserveraient leurs fonctions à vie qu'autant qu'ils seraient maintenus sur les listes d'éligibles'. Le Gouvernement, qui n'était pas sans influence sur la formation des listes, put, de cette manière, épurer à son gré la magistrature". Il reçut bientôt du Sénat un pouvoir plus considérable aux termes du sénatus-consulte du 12 octobre 1807, une commission fut nommée pour procéder à l'examen des juges « qui seraient signalés par leur incapacité, leur inconduite et les déportements dérogeant « à la dignité de leurs fonctions, Sa Majesté conservant le « droit de prononcer définitivement sur le maintien ou la ré« vocation des juges désignés dans le rapport de la commis«<sion »>". L'inamovibilité fut ainsi supprimée de fait : 1) pour les magistrats nommés antérieurement au 12 octobre 1807, dont les uns furent expressément destitués, les autres sim

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5 De Raynal, Le tribunal et la cour de cassation (Paris, 1879), Introduction, P. LIX et suiv.

6 Art. 2 et 6.

7 D. 24 mars 1808, art. 1.

G. I.

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plement omis par les décrets qui nommèrent à nouveau les membres des cours d'appel; 2) pour les magistrats nommés après le 12 octobre 1807, qui ne devaient recevoir leurs provisions à vie qu'après cinq ans d'exercice', et qui, en réalité, ne les reçurent jamais 10.

$119. 2o L'Empire pesa encore sur les décisions des tribunaux par l'institution des conseillers-auditeurs, et surtout par celle des juges-auditeurs. Le décret du 16 mars 18081 et la loi du 20 avril 1810 établirent dans chaque cour d'appel quatre à six conseillers-auditeurs chargés des enquêtes, interrogatoires et autres actes d'instruction, et ayant voix délibérative à vingt-sept ans. Ils jouissaient, du moins, d'une certaine sécurité, pouvaient obtenir après cinq ans d'exercice des lettres de provision à vie, et participaient jusque-là à l'inamovibilité des conseillers titulaires; mais, au-dessous d'eux, la même loi du 20 avril 1810 établissait des jugesauditeurs à la disposition du garde des sceaux, par conséquent à la discrétion du Gouvernement, qui pouvaient être envoyés dans les tribunaux composés de trois juges, avec voix consultative dans toutes les affaires et voix délibérative toutes les fois qu'ils avaient présenté un rapport ou qu'ils remplaçaient un juge titulaire'; le décret du 22 mars 1813 ajouta qu'ils pourraient être envoyés dans un autre tribunal du ressort de la cour d'appel qui les aurait présentés. Les auteurs de l'acte de déchéance du 3 avril 1811 pensaient, sans doute, à toutes ces mesures, lorsque, dans le préambule de leur déclaration, ils faisaient un crime à Napoléon d'avoir détruit l'indépendance des corps judiciaires *.

§ 120. 3o La charte du 4 juin 1814 porta que « les juges

8 Voy., notamment, D. 10 déc. 1810, art. 1.

9 SC. 12 oct. 1807, art. 1.

10 De Raynal, op. et loc. cit.

$119. Art. 13 et 14.

2 Art. 12.

3 D. 16 mars 1808, art. 7.

Art. 13.

Art. 5. Le duc de Broglie, op. cit., p. 131 et suiv.

6 Voy. supra, § 20, note 3.

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« nommés par le roi seraient inamovibles »1, et exclut par-là de l'inamovibilité les magistrats du régime précédent. En conséquence, l'ordonnance du 15 février 1815 réduisit le personnel de la cour de cassation en éliminant quelques-uns de ses membres actuels'; celle du 18 septembre 1815, qui instituait les membres de la cour d'appel de Paris, annonçait dans son préambule l'intention de donner à la magistrature « la stabilité que lui assurera l'institution royale Proclamer qu'une nouvelle investiture était nécessaire, c'était se réserver le droit de la refuser, et, de fait, plusieurs magistrats furent exclus3. M. Hyde de Neuville demanda même à la Chambre des députés, dans sa session de 1815, de suspendre l'inamovibilité pendant un an; la commission, aggravant encore cette proposition, demanda qu'à l'avenir les magistrats ne fùssent jamais inamovibles qu'un an après avoir été nommés, et, malgré les efforts de Royer-Collard, la Chambre adopta le projet de loi : il vint échouer devant la Chambre des pairs'. D'autre part, l'institution des jugesauditeurs fut étendue par l'ordonnance du 19 novembre 18235 aux tribunaux composés de plus de trois juges; de 1820 à 1830, il en fut nommé cinq ou six cents. La Charte du 14 août 1830 s'exprimait comme celle de 1814 : « Les juges << nommés par le roi sont inamovibles », mais, de fait, la monarchie de Juillet fut le gouvernement le plus respectueuxde l'inamovibilité qu'il y ait eu depuis le commencement du siècle la loi du 10 décembre 1830 supprima immédiatement les juges-auditeurs, et interdit pour l'avenir la nomination de conseillers-auditeurs; la proposition de soumettre le corps judiciaire à une nouvelle investiture fut repoussée lors de la révision de la charte par la Chambre des députés".

§ 120. 1. Art. 58.

2 Art. 2.

2 Thiers, op. cit., t. XIX, p. 9. Albert Desjardins, op. cit., p. 23. Chambre des députés, 3 et 28 nov. 1815; Chambre des pairs, 18 et 19 déc. 1815 (Archives parlementaires, t. XV, p. 177 et suiv., 345, 456 et suiv., 478 et suiv., 488 et suiv.). De Barante, op. cit., t. I, p. 167 et suiv.

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§ 121. 4° Le Gouvernement provisoire de 1848 n'eut aucun égard à l'inamovibilité: il approuva, le 24 mars, les suspensions édictées en province par ses commissaires extraordinaires; il décida, le 17 avril, qu'elles seraient prononcées à l'avenir par le garde des sceaux; il destitua, le 1er mai, M. Barthe, premier président de la cour des comptes. Toutefois, l'Assemblée constituante proclama pour l'avenir l'inamovibilité de la magistrature', et la proposition de donner une nouvelle investiture aux magistrats du précédent régime fut rejetée par deux fois le 10 avril 1849 par l'Assemblée constituante, et le 8 août de la même année par l'Assemblée législative. Après le coup d'État du 2 décembre 1851, le décret sur la limite d'âge hâta le renouvellement du corps judiciaire en précipitant la retraite d'un assez grand nombre de ses membres; il n'est pas défendu de croire que ce fut le but caché du décret, et il est certain que c'en fut le résultat'. Enfin, le Gouvernement de la Défense nationale (délégation de Bordeaux) ayant proclamé, le 28 janvier 1871, la déchéance de quinze magistrats inamovibles qui avaient fait partie des commissions mixtes de 1852, l'Assemblée nationale a cassé ce décret, le 25 mars 1871, sans excuser en quoi que ce fût la conduite de ces magistrats, et seulement par égard pour le principe de l'inamovibilité.

$122.5° La troisième République n'a pas non plus résisté à la tentation de porter la main sur l'inamovibilité de la magistrature. Lorsqu'elle a voulu, comme c'était son droit, restreindre un personnel regardé à raison comme trop nombreux', elle n'a consenti ni à en opérer la réduction par voie d'extinction, ni à la faire porter sur les magistrats le plus récemment nommés ou le plus voisins de

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§ 121. ↑ Const. 4 nov. 1848, art. 24. M. Boussi avait proposé, dans la séance du 17 octobre 1848, que la première investiture des magistrats ne fût valable que pour cinq ans; MM. Crémieux et Dupin s'étaient récriés : « Ce serait mettre la magistrature à l'encan, » disait le premier; « ce serait la mettre à l'essai,

« à l'épreuve, » disait le second (Moniteur du 18, p. 2883).

2 Moniteur du 11 avril, p. 1315, et du 9 août, p. 2639.

3 Albert Desjardins, op. cit., p. 40.

Journal officiel du 27,

p. 204.

§ 122. 1 Voy. sur ce point, suprà, § 27, note 1.

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