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minelle et correctionnelle à raison de faits relatifs à leurs fonctions et qu'ils ne sont civilement responsables que dans les cas et suivant les formes de la prise à partie*. Ces tribunaux ont une existence légale, quoiqu'ils ne soient pas organisés par une loi on ne comprendrait donc ni que leurs membres fussent traités avec moins d'égards que les autres juges; ni surtout, étant donné le caractère traditionnel et paternel de leur juridiction fondée sur un usage immémorial, acceptée par le consentement universel, et investie d'une mission de pure confiance, qu'ils fùssent rendus responsables des jugements qu'ils ont rendus de bonne foi.

3 Voy., en sens contraire, le même arrêt.

Montpellier, 3 avr. 1856 (D. P. 57. 2. 3). Voy., en sens contraire, le rapport de M. Pataille cité suprà, § 57, note 8.

CHAPITRE III

LE MINISTÈRE PUBLIC

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SECTION PREMIÈRE

L'organisation du ministère public.

SOMMAIRE. § 168. But et utilité de l'institution du ministère public. § 169. Son origine et son histoire. — § 170. Les officiers du ministère public sont les agents du pouvoir exécutif. — § 171. Suite. Ils dépendent de lui. § 172. Suite. Ils ne dépendent pas des cours et tribunaux près desquels ils exercent leurs fonctions. - § 173. Unité et indivisibilité du ministère public. § 174. Suite. Composition des différents parquets. - § 175. Suite. 1o Des parquets de cours d'appel. — § 176. Suite. Assemblées générales du parquet. § 177. Suite. Le secrétaire général du parquet. § 178. Suite. 2o Composition des parquets des tribunaux de première instance. § 179. Suite. 3o Composition du parquet de la cour de cassation. - § 180. Suite. Remplacement, en cas de besoin, des membres du ministère public. - § 181. Suite. Les attachés au parquet. - § 182. Les membres du ministère public sont des magistrats. § 183. Suite. Conditions d'aptitude à ces fonctions. § 184. Suite. Prérogatives et obligations des membres du ministère public. § 185. Suite. Leur amovibilité, leur responsabilité, et la discipline judiciaire en ce qui les concerne.

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§ 168. « Nous avons aujourd'hui, dit Montesquieu, une <«<loi admirable: c'est celle qui veut que le prince établi pour <«< faire exécuter les lois prépose un officier dans chaque tri<«<bunal pour poursuivre en son nom tous les crimes, de << telle sorte que la fonction des délateurs est inconnue parmi <«<nous; la partie publique veille pour les citoyens, elle agit, <«<et ils sont tranquilles »1. On n'est pas partout convaincu que notre ministère public soit si admirable: on ne mécon

§ 168. 1 Op. cit., liv. VI, ch. vIII. Aj. Merlin, op. cit., vo Ministère public, $I; Larocheflavin, op. cit., liv. II, ch. vii (p. 92); Henrion de Pansey, op. cit., t. I, p. 278 et suiv.

naît pas les avantages de l'accusation publique sur l'accusation privée, qui peut tantôt sommeiller par peur, lassitude, indifférence ou corruption, tantôt devenir un moyen de chantage entre les mains de gens sans aveu 2; mais on craint dans plusieurs pays qu'un ministère public aussi fortement constitué que le nôtre, et entièrement soumis, comme lui, au pouvoir exécutif, ne soit, au point de vue politique, une arme trop puissante dans les mains d'un gouvernement, et, au point de vue judiciaire, qu'il ne détruise l'égalité entre l'accusation et la défense que les pays libres considèrent comme le principe essentiel de la procédure criminelle3.

§ 169. L'origine du ministère publie n'est ni romaine ni germanique'; elle est purement française, et je ne crois pas, quoi qu'on ait pu dire, qu'elle remonte au-delà du XIVe siècle, et qu'il y ait autre chose qu'une ressemblance fortuite, et le plus souvent lointaine, entre les procureurs de Philippe-leBel ou de ses fils, et les fonctionnaires du Bas-Empire ou de l'Empire franc (defensores civitatum, curiosi, saiones, procu

2 C'est ce qui arrive aujourd'hui en Angleterre. Lorsqu'un crime intéresse directement l'Etat ou qu'il soulève la conscience publique, la poursuite est généralement exercée par les officiers de la Couronne, l'attorney general, ou son auxiliaire le solicitor general, qui représentent l'Etat sans cesser d'appartenir au barreau, ou par des membres du barreau auxquels la Couronne confie le soin d'agir en son nom. Dans les autres cas, l'accusation privée ne se produit pas, ou bien, dans certaines villes et particulièrement dans le ressort de la cour criminelle centrale, des gens sans honorabilité ni responsabilité sont à l'affût des scandales, et font la chasse aux poursuites. Cependant l'esprit d'initiative et l'habitude du self-government ont fait naitre des associations inspirées par un but moral ou intéressé qui se chargent de poursuivre certains délits : telles sont la Société pour la poursuite des écrits et gravures obscènes, la Société protectrice des animaux, l'Association des marchands et banquiers contre la fraude et la falsification des effets publics (Bulletin de la Société de législation comparée, 1876, p. 91; Nourrisson, De la participation des particuliers à la poursuite des crimes et des délits (Paris, 1894), p. 159 et suiv.).

3 Voy., sur l'état de cette institution dans les différents pays, la 1re édition de ce Traité, t. II, § 70, note 3, et les publications postérieures de la Société de législation comparée.

§ 169. 1 Voy., sur l'histoire de cette institution, Casteran, Notice historique sur le ministère public (dans la France judiciaire, t. II, 1877, I part., p. 468 et suiv.); Coumoul, Précis historique sur le ministère public (dans la Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 1881, p. 299 et suiv.); et les sources et autorités citées aux notes suivantes. On sait que l'accusation publique n'existait ni chez les Romains ni chez les Germains, et que l'accusation privée y était ouverte à tous (Voy., sur le droit romain, Inst. Just., liv. IV, tit. XVIII, § 1; Dig., LL. 3 pr., 7, pr. et § 1, De accus. (XLVIII, m; et, sur le droit germanique, Pardessus, La loi salique, p. 607).

ratores), en qui l'on a voulu voir les précurseurs du ministère public. Il est probable que les rois de France se firent de bonne heure représenter, dans les procès où ils poursuivaient leur intérêt personnel ou un intérêt public, par des procureurs ou avocats spécialement nommés pour chaque affaire, et que ces charges temporaires se transformèrent en offices permanents quand le pouvoir royal entreprit de réprimer à la fois les abus de la féodalité et les

2 Les procuratores Cæsaris, chargés de veiller à la conservation du patrimoine des empereurs (Dig., L. 1, § 1, De off. proc. Cæs., I, XIX), que les rois francs ont conservés dans leurs domaines sous le titre de schulteti ou d'actores, ou même sous leur ancien nom de procuratores Lex Burgundionum, tit. L, c. 3, dans Pertz, op. cit., Leges, t. III, p. 554; Lex Wisigothorum, liv. VIII, tit. 1, c. 5, dans Walter, Corpus juris germanici (Berlin, 1824), t. I, p. 576; Ansegisi capitularia, liv. IV, c. 3 et 44 (dans Pertz, op. cit., Leges, t. I, p. 312 et 318); Hincmar, De ordine palatii, c. xxIII (dans ses Œuvres completes, éd. Paris, 1645, t. II, p. 209); Ducange, op. cit., ve Schultetus), n'agissaient pas au nom de la société c'étaient de simples intendants, et ce qui le prouve encore, c'est que les simples particuliers avaient aussi de semblables actores (Lex Burgundionum, loc. cit.; Lex Wisigothorum, liv. VI, tit. 1, c. 5, dans Walter, op. cit., t. I, p. 540). Les defensores civitatum (Comp. suprà, § 46, note 5), chargés de prévenir les crimes et les délits, de dénoncer les coupables et de les traduire en justice (Cod. Just., LL. 4, 6 et 7, De def. civ., I, LV), ne sont pas non plus les prédécesseurs du ministère public: leur caractère électif et municipal, le discrédit et la désuétude où cette institution tomba (Cod. Théod., L. 1, De def. civ., I, XXIX; Cod. Just., LL. 1, 3 et 4, De def. civ., I, Lv; Nov. XV, præf.), ne permettent pas d'attribuer cette origine à une magistrature conférée par le roi, émanation et organe du pouvoir central. Les curiosi chargés, à la fin de l'Empire romain, de parcourir les provinces, et de signaler à l'empereur les abus qu'ils y auraient remarqués, cessaient toute fonction dès que les tribunaux étaient saisis, et n'avaient, par conséquent, aucune des attributions judiciaires qui distinguent le ministère public (Cod. Théod., LL. 1 et 8, De cur., VI, xxix; Cod. Just., L. 1, De cur., XII, xx). Enfin, les saiones, dont il est question dans la loi des Wisigoths (Loc. cit.) et dans l'histoire des Ostrogoths (Cassiodore, Variæ, liv. IV, c. XXXII et XXXIV, dans ses Euvres complètes, éd. Paris, 1600, t. I, p. 111 et 112), et en qui l'on a prétendu voir les premiers officiers du ministère public, n'étaient que des sergents chargés de missions assez humbles, comme de poursuivre l'exécution des jugements; cette fonction n'existait même pas dans l'Empire carlovingien, sinon chez les Espagnols qui s'y étaient réfugiés pour échapper à la domination des Maures (Præceptum pro Hispanis, dans Baluze, Capitularia regum Francorum, éd. Paris, 1780, t. I, col. 500). Je ne rapporte ici que les opinions les plus accréditées sur l'origine du ministère public, mais on a proposé d'autres systèmes encore moins vraisemblables. Voy., sur ces divers points, Merlin, op., vo et loc. cit.; Boncenne, op. cit., t. I, p. 559 et suiv.; Pardessus, Essai historique sur l'organisation judiciaire, p. 189 et suiv.; Henrion de Pansey, op. et loc. cit.; Schaffner, Geschichte der Rechtsverfassung Frankreichs (Francfort, 1859), t. II, p. 432 et suiv.; Meyer, op. cit., t. III, p. 234 et suiv.; Ortolan et Ledeau, op. cit., t. I, p. xix et suiv.; Morin, op. cit., t. I, p. 50.

& Cela paraît résulter de l'ordonnance du 25 mars 1302 (Voy. infrà, même §). Ortolan et Ledeau, op. cit., t. I, p. xxxi.

empiètements de la juridiction ecclésiastique', mais l'ordonnance du 25 mars 1302 est la première qui fasse mention du ministère public: elle ordonne que les procureurs du roi prêteront le même serment que les magistrats, paieront eux-mêmes leurs substituts s'ils jugent à propos d'en avoir, et ne pourront occuper pour les parties privées, à l'exception de leurs proches parents*.

La nouvelle institution dut se généraliser promptement, puisqu'une ordonnance du 18 juillet 1318 supprima les procureurs dans les pays de coutume où les baillis défendraient désormais les causes du roi, et les maintint seulement dans les pays de droit écrit. Ce temps d'arrêt ne fut pas de très longue durée, car, à la fin du XIVe siècle, on vit les gens du roi', possesseurs de leurs charges en titre d'office et, par conséquent, inamovibles, établis près de toutes les juridictions, même des plus spéciales et de celles qui avaient un caractère purement local et seigneurial'; et, après la création des présidiaux 10, l'ordonnance de novembre 1553 prescrivit qu'« en chacun siège de nos prévôtés des «< villes de notredit royaume, ressortissant dûment pardevant <<< nosdits baillis et sénéchaux, et où y a siège présidial, sera mis, institué, établi un procureur pour nous, pour assister <«< aux expéditions de justice civile, politique et criminelle »". D'ailleurs, le ministère public n'arriva pas avant la fin du

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Le ministère public n'existait pas encore au XIIe siècle : l'exposé de la coutume de Beauvoisis par Beaumanoir suppose que le système de l'accusation privée est encore en vigueur (Op. cit., ch. XXX, no 90; t. I, p. 446). 5 Ch. 15 et 20 (Ordonnances des rois de France, t. I, p. 360).

6 Ch. 29 (Ib., t. I, p. 660).

7 Gentes nostræ (0. 25 mars 1302, ch. 24; Ib., t. I, p. 361). Les officiers du ministère public ont seuls gardé ce titre de gens du roi, qu'ont porté primitivement tous les officiers royaux, notamment les juges (Lettres patentes de Charles VI, juin 1394; Ib., t. VII, p. 626) et les trésoriers des armées (O. juin 1338, ch. 28; Ib., t. II, p. 127).

Denisart, op. cit., vo Avocats du roi, no 3. Comp. suprà, § 102.

9 0.8 févr. 1360 (Ordonnances des rois de France, t. XIV, p. 489). Les Olim, t. I, p. 309. Statuts de Bragerac (1327), II° part., art.,19 (Dans Bourdot de Richebourg, Nouveau coutumier général (Paris, 1724), t. IV, IIe part., p. 1015). 10 Ces tribunaux furent créés par un édit de janvier 1551, pour juger au civil et en dernier ressort jusqu'à 250 livres, et pour connaître au criminel des délits des « vagabonds et gens mal vivants »; leur compétence en dernier ressort, en matière civile, fut portée par l'édit de juillet 1580 à 1000 livres de capital ou 50 livres de rente (Isambert, op. cit., t. XIII, p. 248; t. XIV, p. 485). 11 0. janv. 1551 (Isambert, op. cit., t. XIII, p. 248).

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