que l'on jeta sur le ruisseau du chemin. Bien des générations passèrent sur ce pont. Tous ceux qui y passaient pour la première fois sentaient leur cœur saisi d'une émotion étrange. Ce pont fut submergé comme le reste de la terre par les eaux du déluge; mais quand les eaux se furent retirées, on trouva le pont à la même place sur le torrent du chemin. Dès lors la tradition conserva l'histoire de cet arbre merveilleux. La nuit même où l'arrêt de Jésus fut prononcé, un juif se le rappela. Ce bois, dit-il, est bien imbibé d'eau ; il est dur comme la pierre; nul autre ne convient mieux pour fabriquer une lourde croix. Et l'arbre fut déterré et il servit à composer la croix de Jésus. Elle était si pesante que trois fois le divin crucifié succomba sous son fardeau. C'est ainsi que de la tombe du premier homme sortit l'arbre qui, suivant la promesse de l'ange, devait rendre la vie à l'Humanité. SI L'OURS DE CROSEY (Canton de Clerval) E sire de Crosey était d'une humeur si peu sociable que ses voisins l'avaient surnommé l'Ours de Crosey. On dit qu'en temps de paix comme en temps de guerre, ce seigneur se tenait enfermé dans son château hérissé de tours. Jamais à ses fenêtres on ne le voyait promener ses regards sur les vertes prairies d'alentour et si de temps à autre, il se montrait au-dessus du donjon, c'était la nuit, à l'heure où les morts sortent de leurs sépulcres et où leurs fantômes se promènent enveloppés de leurs linceuls. Un jour que le libre baron de Montjoie, dont le château était voisin de celui de Crosey, célébrait les noces de son fils, il échappa à ce jeune seigneur de dire qu'il saurait bien faire sortir l'Ours de Crosey de sa tanière. Il prit donc ses armes, monta à cheval et se rendit devant le château du sire de Crosey. D'abord il l'invita poliment au tournoi que le baron de Montjoie, son père, allait donner à l'occasion de son mariage; mais, voyant qu'il ne daignait pas même lui répondre, il l'assaillit de moqueries et d'injures, allant jusqu'à le traiter de chevalier lâche et couard. Or, à peine ces mots étaient-ils sortis de la bouche de l'imprudent agresseur que le pont-levis du château s'abaissa, et qu'un homme d'une taille colossale, couvert de fer, et monté sur un grand cheval noir apparut à ses yeux. « Jeune insensé, lui dit-il, je crois qu'au lieu d'un lit de noces, tes parents eussent mieux fait de te préparer une bière. » Ayant dit ces mots, le sire de Crosey marcha la lance levée contre le jeune baron de Montjoie, et à peine ce dernier avaitil eu le temps de se mettre en défense, que, frappé par son terrible adversaire et enlevé de son coursier, il alla rouler à vingt pas plus loin avec une telle violence que le bruit de sa chute parvint jusqu'aux oreilles de sa jeune épouse qui accourait vers le lieu du combat. En vain, cette jeune dame, arrivée au moment même où l'épée du sire de Crosey allait trancher les jours de son époux, se jeta-t-elle aux genoux du vainqueur pour le prier d'épargner le jeune chevalier; on dit que pour toute réponse, après avoir égorgé son adversaire, le sire de Crosey laissa froidement sortir de sa bouche ces paroles qu'il prit ensuite pour devise: << Je terrasse La tradition ajoute que c'est depuis ce tempslà que les sires de Crosey eurent un ours dans leurs armoiries. Je trouve en effet dans la liste des chevaliers de Saint-George donnée par M. de Saint-Mauris, n° 699, un messire Antoine-François de Crosey, seigneur dudit lieu, marié à Péronne de Ronchaux, lequel fut reçu chevalier de Saint-George en 1635. Ce seigneur est mort en 1668. Il portait d'argent, à l'ours menaçant de sable. Sa devise était : « JE TERRASSE QUI M'AGACE » et il avait pour quartiers: 1o Crosey; 2° Moustier; 3° Allemand; 4° Saint-Maurice en Montagne. 52 LE SERPENT DE JEAN DUCROU EAN Ducrou était petit. Sa mère lui donnait chaque matin un bol de lait frais, que l'enfant buvait, assis devant la porte de la maison. Un jour, la mère, qui vaquait d'ordinaire pendant ce temps-là aux soins de son intérieur, entendit le petit Jean parler et dire à haute voix : « Mange! c'est à ton tour. · Assez ! C'est à moi maintenant. Ah! si tu vas trop vite, je te battrai.» La mère regarda par la fenêtre et vit Jean qui donnait des coups de sa cuillère à un serpent dont la tête se trouvait au niveau du vase de lait. La frayeur empêcha la mère de crier. Elle s'arma d'un bâton, se précipita sur l'animal et le tua. Jean se mit alors à pleurer à chaudes larmes, en reprochant à sa mère d'avoir tué son ami, qui venait tous les jours déjeuner avec lui. La mère ne réussit point à calmer le chagrin de son enfant qui mourut peu de jours après. de la griesse (du chagrin) que lui causa la mort de cet étrange compagnon. S 53 LE PUITS DE POUGERY (Canton de Clerval) UR le territoire de Crosey, il existe une vaste lande déserte, d'où l'œil n'aperçoit ni village ni hameau. C'est au milieu de ce finage désolé que se trouve le Puits de Pougery, au fond d'une combe sauvage, remplie de ronces et d'épines. Le Puits de Pougery est un abîme affreux, au fond duquel personne n'a jamais pénétré. On y a jeté tant de pierres depuis des siècles |