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Galates; il a laissé assez d'écrits pour nous faire connaître et apprécier d'autres aspects de sa riche nature. Qu'on relise, à cet effet, la seconde Épître aux Corinthiens, l'Épître aux Philippiens ou ce chefd'œuvre du genre épistolaire qu'est le billet à Philémon! Où trouver des sentiments plus vifs et plus délicats, plus de tendresse d'âme, d'exquise bonté, de dévouement sans bornes? L'histoire impartiale ne juge pas un homme sur une boutade d'une demi-heure. Au reste, même dans le violent plaidoyer qu'est l'Épitre aux Galates, on discernerait encore tel passage où Paul sait faire autre chose que lancer des anathèmes. On ne saurait oublier non plus que son œuvre écrite n'est pas toute son œuvre. Paul est apôtre par vocation, il n'est écrivain et théologien qu'au hasard des circonstances. C'est sur sa longue vie d'abnégation et sur les résultats de son activité intégrale qu'il faut baser un jugement équitable.

Par ses longues études et ses nombreux travaux sur l'Ancien et le Nouveau Testament, M. Loisy était préparé à sonder la valeur exégétique des arguments de l'Épître aux Galates : cette partie de son livre ne sera pas la moins remarquée de ceux qui sont au courant des questions de ce genre, car elle condense, en quelques pages, plus de résultats critiques et résout plus de difficultés que des commentaires techniques, hérissés de notes et de dissertations. On s'étonnera, néanmoins, qu'après avoir découvert, dans l'argumentation de Paul une subtilité toute rabbinique, il ne lui accorde, comme éducation littéraire, que les enseignements des synagogues de Tarse, et qu'il l'hellénise un peu trop et, en tout cas, trop tôt quand, avant sa conversion il suppose que l'idée du Messie national ne lui agréait point à raison de ses relations avec les païens, ou encore qu'il ait pu imaginer le Christ sur le type de certains dieux païens, comme médiateur de salut éternel.

L'hellénisme a passé, en grande partie, dans l'esprit de Paul par la voie des Septante et n'a guère dépassé ces limites. Mais tout ceci est affaire de nuances. Dans les grandes lignes, la figure de Paul, qui se dégage de ce « Commentaire », se sera enrichie de traits nouveaux qui pourront compenser ceux que la critique enlève à l'histoire traditionnelle. Au reste, il ne faut pas oublier que ce n'est là qu'une ébauche et que l'œuvre définitive, remettant au point certains détails, pourra placer dans un jour éclatant, une si belle et si noble exis

tence. En tout cas, ce n'est pas de cet ouvrage, de quelque façon qu'on le juge par ailleurs, que M. de Sacy aurait dit que « la sécheresse et la banalité sont de l'essence du commentaire ». Des œuvres d'exégèse comme celle-ci ne restent plus des livres ésotériques, utiles à quelques initiés, mais fermés au grand public. Que si l'apparat des notes et des références ne se déploie pas dans une synthèse si concise, et si énergique, il ne faut pas croire que l'auteur eût été embarrassé de le produire, mais il l'a sacrifié à des fins plus utiles être sobre, clair, précis, profond sans obscurité, avec une pointe de malice et de fine raillerie qui ne sont pas pour déplaire au lecteur français. C. TOUSSAINT.

:

LES ÉTUDES ROMANES EN BELGIQUE (1900-1914).

DEUXIÈME ET DERNIER ARTICLE (1).

IV

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La

Histoire littéraire. Études spéciales: Épopées et romans. limite assignée à mon article m'interdit d'analyser l'examen que M. Wilmotte a fait des idées de M. Bédier sur les légendes épiques dans la Revue historique de novembre-décembre 1915: Une nouvelle théorie sur l'origine des chansons de geste. C'est beaucoup plus et c'est tout autre chose qu'un compte rendu; c'est une étude solidement documentée où il développe des vues personnelles qu'il a déjà exposées ou esquissées dans ses travaux antérieurs, l'Évolution du roman français aux environs de 1150 et Observations sur le « Roman de Troie ». L'une des pensées directrices de ces deux essais est que l'épopée a été, plus souvent qu'on ne croit, tributaire du roman ; d'autre part, dit-il, ce dernier a produit au x11° siècle des œuvres que l'on a eu tort de ne pas considérer davantage, lorsqu'on s'est avisé

(3)

Voir le premier article dans le

cahier d'août, p. 347.

(2) Bulletin de l'Académie royale de Belgique, Classe des Lettres, 1903.

Extrait, Librairie Champion, Paris, 67 pages.

(3) Moyen Age (Paris), 1914, p. 93

119.

au

(1)

de les classer chronologiquement, à la lumière de la critique interne : lieu de la méthode qui s'efforce de les dater par les allusions historiques ou d'ordre externe qu'elles renferment, il en voudrait une qui baserait leur chronologie sur l'analyse interne et comparative des sentiments et des thèmes littéraires qu'elles contiennent. L'espace nous manque pour montrer combien ce critérium trop négligé est d'un maniement délicat, mais, si même il n'est pas d'une utilisation infaillible, l'on ne saurait nier qu'il soit un outil précieux, une fine pierre de touche aux mains des gens entendus et habiles ni que M. Wilmotte en ait tenté certaines applications qui sont heureuses. En l'occurrence, la critique littéraire dont il se réclame, et qu'il approprie « à des époques où la philologie est seule reine », a le mérite d'attirer l'attention sur l'importance, dans l'évolution du roman français, des poèmes inspirés de l'antiquité ». — Dans les Mélanges qui lui ont été offerts, M. Charlier a repris la question déjà discutée des rapports de l'Escoufle et du Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole. Il attribue les deux œuvres à Jean Renart, l'auteur du Lai de l'ombre, et il appuye sa thèse « surtout d'arguments littéraires très dignes d'attention », comme le dit l'éditeur français de ce charmant poème, M. Bédier. Ce dernier publiait les premiers résultats de sa vaste enquête sur les Légendes épiques lorsque M. Bethune a fait paraître, dans les Mélanges Kurth, une étude sur Quelques points de contact entre la poésie narrative du midi de la France et celle du Nord. Il n'est pas en parfait accord avec l'éminent maître du Collège de France, mais cette divergence de vues n'empêche pas ses investigations d'ètre intéressantes, sérieuses et documentées. - M. Counson n'a pas eu à discuter dans sa liste des Noms épiques entrés dans le vocabulaire commun; il n'a guère fait qu'un constat, mais un constat utile qui, cependant, n'a pas la prétention d'être complet. Nous y trouvons une série de preuves curieuses et convaincantes de la vogue dont certains types épiques ont joui. Parmi les créations poétiques que la faveur populaire a de la sorte élues, Obéron figure en une place très remarquée. Sa légende

(1) Voir une communication faite par M. Wilmotte à la Classe des Lettres de l'Académie royale de Belgique (Bulletin, 1900, p. 166-189) sur Gerbert de

Montreuil et les écrits qui lui sont attribués.

(2) P. 81-98.

(3) T. II, p. 155-172.

a rayonné au loin et ravi bien des imaginations. M. Counson en a esquissé l'évolution et il a montré que la Belgique fut l'un des principaux séjours du roi des Elfes. Notre pays fut aussi le séjour d'un autre héros, mais réel et vrai, héros dont l'histoire poétique vaudrait d'être racontée longuement c'est Godefroid de Bouillon. Le diligent professeur de Gand l'a entamée; il en a écrit l'introduction en 1912. - Avant cette date, la même histoire poétique avait fourni le principal objet de la Légende du Chevalier au cygne de M. Ferdinand Blondeaux. Le problème ici envisagé comporte trop d'éléments divers pour être élucidé en une étude d'une cinquantaine de pages, surtout que cette étude revient parfois sur elle-même ou s'égare en l'une ou l'autre digression. Nous n'avons là qu'un dessin général et dont toutes les lignes ne sont pas tracées d'une main sûre, mais les romanistes avertis en tireront certaines indications utiles et bien présentées. - Une légende poétique qui touche aussi, mais de moins près, à nos contrées belges est celle de Girard de Roussillon, le fondateur d'abbayes. L'on y a rattaché la légende de Badilon, chercheur de reliques, par des liens que M. Liégeois s'est efforcé de démêler. Grâce à des recherches qu'on lui doit également, mais beaucoup plus étendues, la figure d'un de nos héros essentiellement locaux est aujourd'hui située dans son cadre authentique c'est Gilles de Chin dont la renommée fut jadis très grande et se maintient encore au pays de Hainaut. M. Liégeois a ingénieusement démêlé la vérité et la fiction qui s'enchevêtrent dans les narrations littéraires qu'on lui a dédiées et, entre autres, dans un poème du xur° siècle dont il a eu le tort pourtant d'attribuer

(4) Noms épiques Mélanges Chabaneau, Romanische Forschungen, 1907, p. 401-413; La légende d'Obéron: Revue générale (Bruxelles), 1903, I, p. 129-49; Introduction à l'histoire poétique de G. de Bouillon, Bruxelles, Editions de Durendal, 25 pages.

(2) Revue de Belgique (Bruxelles), 1903, I, p. 158-76, 230-42; II, p. 40-49, 371-80.

(3) Sur les légendes d'Obéron et du Chevalier au Cygne, voir les articles

bibliographiques de MM. Liégeois, Bethune et Ch. Martens dans le Bulletin d'histoire linguistique et littéraire française des Pays-Bas.

(4) La légende de saint Badilon dans les Mélanges Kurth, I, p. 41-52. Gilles de Chin, l'histoire et la légende, 1903, in-8, XXIV-169 pages. (Recueil des travaux des conférences... de l'Université de Louvain, Louvain, Peeters; Paris, Fontemoing).

la paternité à deux auteurs (les deux Gautier auxquels il pense ne doivent être qu'un seul et même homme). Sur le terrain quelque peu mouvant où il s'est engagé, il a travaillé d'accord avec son condisciple M. Bayot qui, lui, a consacré son premier gros effort philologique à un compagnon de gloire de Gilles de Chin, Gillion de Trazegnies. Ce dernier personnage est aussi du Hainaut, mais il n'apparaît dans la littérature qu'au xv° siècle, dans un roman en prose. Sur la naissance de sa légende, de ses sources et de ses dérivés, M. Bayot a dit des choses qui demeureront définitivement acquises, mais on reste hésitant devant l'hypothèse qui lui fait admettre un poème du xiv siècle que le romancier du siècle suivant se serait borné à remanier en prose. On hésite aussi, mais moins, devant son autre démonstration qu'il a effectuée en concordance avec M. Liégeois et d'après laquelle ce romancier serait aussi l'auteur d'un remaniement en prose de Gilles de Chin (de la même époque) et du Livre des Faits de Jacques de Lalaing. En revanche, je crois que beaucoup de ses lecteurs (et des lecteurs de son ami) seront d'accord avec eux pour repousser la conjecture en vertu de laquelle Gaston Raynaud prête cette biographie de Lalaing à Antoine de La Sale. -On ne prête qu'aux riches ou aux gens en vue. La Sale est un écrivain en vue et qui est généralement apprécié. Sa physionomie et son œuvre littéraire sont pourtant encore enveloppées de brumes. Les efforts n'ont pas manqué pour établir exactement son curriculum vitæ et régler ses comptes d'auteur. Ils sont partis notamment de Belgique où nous rencontrons MM. Ernest Gossart, Joseph Nève et Grojean qui se sont évertués à débrouiller la double énigme dont nous parlons. Leurs travaux figurent parmi les plus considérés de la bibliographie si touffue de La Sale. Il me faudrait une place dont je ne dispose pas pour en détailler les mérites spéciaux et les points

(1) Le roman de Gillion de Trazegnics, 1903, XXI-203 pages. (Même Recueil). (2) Gossart, A. de La Sale, sa vie et ses ouvrages, Bruxelles, Lamertin, 1902, 2o éd., in-8, 46 pages. - Nève, A. de La Sale, sa vie et ses œuvres d'après des documents inédits... suivi du Réconfort de Mme Du Fresne, du Paradis de la Reine Sibylle, etc... et de fragments

et documents inédits. Paris, Champion; Bruxelles, Falk, 1903, 291 pages. — Grojean, Antoine de La Sale, Revue de l'Instruction publique en Belgique, (Bruxelles), 1904, 153-187; Un nouveau manuscrit d'A. de La Sale, Annuaire de la Société des bibliophiles et iconophiles de Belgique, Bruxelles, 1910, p. 79-103.

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