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mangeons le pain d'amertume, et vivons parmi les angoisses. Et comme le miel, qui est fait des fleurs de thym, herbe petite et amère, est le meilleur de tous; ainsi la vertu qui s'exerce en l'amertume des plus viles, basses et abjectes tribulations, est la plus excellente de toutes.

Vous voyez souvent de vos yeux intérieurs J.-C. crucifié, nu, blasphêmé, calomnié, abandonné, et enfin accablé de toutes sortes d'ennuis, de tristesses et de travaux; et considérez que toutes vos souffrances, ni en qualité, ni en quantité, ne sont aucunement comparables aux siennes, et que jamais vous ne souffrirez rien pour lui, au prix de ce qu'il a souffert pour vous.

Considérez les peines que les martyrs souffrirent jadis, et celles que tant de personnes endurent, plus grièves sans aucune proportion que celles èsquelles vous êtes, et dites: Hélas! mes travaux sont des consolations, et mes peines des roses, en comparaison de ceux qui, sans secours, sans assistance, sans allégement, vivent en une mort continuelle, accablés d'afflictions infiniment plus grandes.

CHAPITRE IV.

de l'humilité pour L'EXTÉRIEUR.

EMPRUNTEZ, dit Élisée à une pauvre veuve, et prenez force vaisseaux vides, et versez l'huile en iceux. Pour recevoir la grâce de Dieu en nos cœurs, il les faut avoir vides de notre propre gloire. La crécerelle criant et regardant les oiseaux de proie, les épouvante par une propriété et vertu secrète; c'est pourquoi les colombes l'aiment sur tous les autres oiseaux, et vivent en assurance auprès d'icelle : ainsi l'humilité repousse Satan, et conserve en nous les grâces et dons du Saint-Esprit ; et pour cela, tous les saints, mais particulièrement le roi des saints et sa mère, ont toujours honoré et chéri cette digne vertu, plus qu'aucune autre, entre toutes les morales.

Nous appelons vaine la gloire qu'on se donne, ou pour ce qui n'est pas en nous, ou pour ce qui est en nous, mais non pas à nous; ou pour ce qui est en nous et à nous; mais qui ne mérite pas qu'on s'en glorifie. La noblesse de la race, la faveur des grands, l'honneur populaire, ce sont choses qui ne sont pas en nous, mais ou en nos prédécesseurs, ou en

l'estime d'autrui. Il y en a qui se rendent fiers et morgans pour être sur un bon cheval, pour avoir un panache à leur chapeau, pour être habillés somptueusement: mais qui ne voit cette folie? Car s'il y a de la gloire pour cela, elle est pour le cheval, pour l'oiseau et pour le tailleur; et quelle lâcheté de courage est-ce d'emprunter son estime d'un cheval, d'une plume, d'un godron? Les autres se prisent et regardent, pour des moustaches relevées, pour une barbe bien peignée, pour des cheveux crêpés, pour des mains douillettes; pour savoir danser, jouer, chanter: mais ne sont-ils pas lâches de courage, de vouloir enchérir leur valeur, et donner du surcroît à leur réputation, par des choses si frivoles et folâtres ? Les autres, pour un peu de science, veulent être honorés et respectés du monde, comme si chacun devait aller à l'école chez eux, et les tenir pour maîtres : c'est pourquoi on les appelle pédants. Les autres se pavauent sur la considération de leur beauté, et croient que tout le monde les muguette. Tout cela est extrêmement vain, sot et impertinent; et la gloire qu'on prend de si foibles sujets, s'appelle vaine, sotte et frivole.

On connaît le vrai bien comme le vrai baume: on fait l'essai du baume en le distillant dedans l'eau; car s'il va au fond et qu'il prenne le

dessous, il est jugé pour être du plus fin et précieux: ainsi, pour connoître si un homme est vraiment sage, savant, généreux, noble, il faut voir si ses biens tendent à l'humilité, modestie et soumission; car alors ce seront de vrais biens : mais s'ils surnagent, et qu'ils veuillent paroître, ce seront des biens d'autant moins véritables, qu'ils seront plus apparents. Les perles qui sont conçues ou nourries au vent et au bruit des tonnerres, n'ont que l'écorce de perle, et sont vides de substance: ainsi les vertus et belles qualités des hommes qui sont reçues et nourries en l'orgueil, en la jactance et en la vanité, n'ont qu'une simple apparence du bien, sans suc, sans moëlle et sans solidité.

Les honneurs, les rangs, les dignités, sont comme le safran, qui se porte mieux et vient plus abondamment d'être foulé aux pieds. Ce n'est plus honneur d'être beau quand on s'en regarde: la beauté, pour avoir bonne grâce, doit être négligée; la science nous déshonore quand elle nous enfle, et qu'elle dégénère en pédanterie.

Si nous sommes pointilleux pour les rangs, pour les séances, pour les titres, outre que nous exposons nos qualités à l'examen, à l'enquête et à la contradiction, nous les rendons viles et abjectes; car l'honneur, qui est

beau étant reçu en don, devient vilain quand il est exigé, recherché et demandé. Quand le paon fait sa roue pour se voir, en levant ses belles plumes, il se hérisse tout le reste, et montre de part et d'autre ce qu'il y a d'infâme : les fleurs qui sont belles, plantées en terre, flétrissent étant maniées. Et comme ceux qui odorent la mandragore de loin et en passant, reçoivent beauconp de suavité, mais ceux qui la sentent de près et longuement, en deviennent assoupis et malades: ainsi les honneurs rendent une douce consolation à celui qui les honore de loin et légèrement, sans s'y amuser ou s'en empresser; mais à qui s'y affectionne et s'en repaît, ils sont extrêmement blåmables et vitupérables.

La poursuite et amour de la vertu commence à nous rendre vertueux ; mais la poursuite et amour des honneurs commence à nous rendre méprisables et vitupérables. Les esprits bien nés ne s'amusent pas à ces menus fatras' de rang, d'honneur, de salutations; ils ont d'autres choses à faire c'est le propre des esprits fainéants. Qui peut avoir des perles, ne se charge pas de coquilles; et ceux qui prétendent à la vertu, ne s'empressent point pour les honneurs. Certes, chacun peut eutrer en son rang, et s'y tenir sans violer l'humilité, pourvu que cela se fasse négligemment

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