Images de page
PDF
ePub

avec David: O mon Dieu! c'est pour vous que j'ai supporté l'opprobre, et que la confusion a couvert mon visage.

J'excepte néanmoins certains crimes si atroces et infâmes que nul n'en doit souffrir la calomnie, quand il s'en peut justement décharger, et certaines personnes de la bonne réputation desquelles dépend l'édification de plusieurs; car, en ce cas, il faut tranquillement poursuivre la réparation du tort reçu, suivant l'avís des théologiens.

CHAPITRE VIII.

DE LA DOUCEUR ENVERS LE PROCHAIN, ET REMÈDE CONTRE L'IRE.

LE saint chrême, duquel, par tradition apostolique, on use en l'Église de Dieu pour les confirmations et bénédictions, est composé d'huile d'olive mêlée avec le baume, qui représentent entre autres choses les deux chères et bien-aimées vertus qui reluisoient en la sacrée personne de Notre-Seigneur, lesquelles il nous a singulièrement recommandées; comme si par icelles notre cœur devoit être spécialement consacré à son service, et

appliqué à son imitation: Apprenez de moi, dit-il, que je suis doux et humble de cœur. L'humilité nous perfectionne envers Dieu, et la douceur envers le prochain. Le baume, qui (comme j'ai dit ci-dessus) prend toujours le dessous parmi toutes les liqueurs, représente l'humilité; et l'huile d'olive, qui prend toujours le dessus, représente la douceur et la débonnaireté, laquelle surmonte toutes choses, et excelle entre toutes les vertus, comme étant la fleur de la charité, laquelle, selon saint Bernard, est en sa perfection, quand nonseulement elle est patiente, mais quand outre cela elle est douce et débonnaire. Mais prenez garde, Philothée, que ce chrême mystique composé de douceur et d'humilité soit dedans votre cœur car c'est un des grands artifices de l'ennemi, de faire que plusieurs s'amusent aux paroles et contenances extérieures de ces deux vertus, qui, n'examinant pas bien leurs affections intérieures, pensent être humbles et doux, et ne le sont néanmoins nullement en effet ce que l'on reconnoît parce que, nonobstant leur cérémonieuse douceur et bumilité, à la moindre parole qu'on leur dit de travers, à la moindre petite injure qu'ils reçoivent, ils s'élèvent avec une arrogance non pareille. On dit que ceux qui ont pris le préservatif, que l'on appelle communément la

grâce de saint Paul, n'enflent point étan mordus et piqués de la vipère, pourvu que la grâce soit de la fine: de même, quand l'humilité et la douceur sont bonnes et vraies, elles nous garantissent de l'enflure et ardeur que les injures ont accoutumé de provoquer en nos cœurs. Que si étant piqués et mordus par les médisants et ennemis, nous devenons fiers, enflés et dépités, c'est signe que nos humilités et douceurs ne sont pas véritables et franches, mais artificieuses et apparentes.

Ce saint et illustre patriarche Joseph, renvoyant ses frères d'Égypte en la maison de son père, leur donna ce seul avis: Ne vous courroucez point en chemin. Je vous en dis de même, Philothée : cette misérable vie n'est qu'un acheminement à la bienheureuse; ne nous courrouçons donc point en chemin; les uns avec les autres; marchons avec la troupe de nos frères et compagons, doucement, paisiblement et amiablement: mais je vous dis nettement et sans exception, ne vous courroucez point du tout, s'il est possible, et ne recevez aucun prétexte, quel qu'il soit, pour ouvrir la porte de votre cœur au courroux; car saint Jacques dit tout court et sans réserve, que l'ire de l'homme n'opère point la justice de Dieu. Il faut voirement résister au mal, et réprimer les vices de ceux que nous avons en charge, constamment

et vaillamment, mais doucement et paisiblement. Rien ne mate tant l'éléphant courroucé, que la vue d'un agnelet; et rien ne rompt si aisément la force des canonnades, que la laine. On ne prise pas tant la correction qui sort de la passion, quoique accompagnée de raison, que celle qui n'a aucune autre origine que la raison seule; car l'ame raisonnable étant naturellement sujette à la raison, elle n'est sujette à la passion que par tyrannie; et partant, quand la raison est accompagnée de passion, elle se rend odieuse, sa juste domination étant avilie par la société de la tyrannie. Les princes honorent et consolent infiniment les peuples, quand ils les visitent avec un train de paix; mais, quand ils conduisent des armées, quoique ce soit pour le bien public, leurs venues sont toujours désagréables et dommageables; parce qu'encore qu'ils fassent exactement observer la discipline militaire entre les soldats, si ne peuvent-ils jamais tant faire qu'il n'arrive toujours quelque désordre, par lequel le bon homme est foulé: ainsi, tandis que la raison règne, et exerce paisiblement les châtiments, corrections et répréhensions, quoique ce soit rigoureusement et exactement, chacun l'aime et l'approuve; mais, quand elle conduit avec soi l'ire, la colère et le courroux, qui sont, dit saint

Augustin, ses soldats, elle se rend plus effroyable qu'amiable, et son propre cœur en demeure toujours foulé et maltraité. Il est mieux, dit le même saint Augustin écrivant à Profuturus, de refuser l'entrée à l'ire juste et équitable, que de la recevoir pour petite qu'elle soit; parce qu'étant reçue, il est malaisé de la faire sortir; d'autant qu'elle entre comme un petit surgeon, et en moins de rien elle grossit et devient une poutre. Que si une fois elle peut gagner la nuit, et que le soleil se couche sur notre ire, ce que l'Apôtre défend, se convertissant en haine, il n'y a quasi plus moyen de s'en défaire; car elle se nourrit de mille fausses persuasions; puisque jamais nul homme courroucé ne pensa son courroux être injuste.

Il est donc mieux d'entreprendre de savoir vivre sans colère, que de vouloir user modérément et sagement de la colère; et quand, par imperfection et foiblesse, nous nous trouvons surpris d'icelle, il est mieux de la repousser vîtement; car pour peu qu'on lui donne de loisir, elle se rend maîtresse de la place, et fait comme le serpent, qui tire aisément tout son corps d'où il peut mettre la tête. Mais comment la repousserai-je, me direz-vous? Il faut, ma Philothée, qu'au premier ressentiment que vous en aurez, vous ramassiez promptement vos

« PrécédentContinuer »