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les estimons extrêmement grandes, non tant parce qu'elles le sont en elles-mêmes, comme parce que c'est la main de Dieu qui nous les met au cœur, comme ferait une mère qui, pour amadouer son enfant, lui mettroit ellemême les grains de dragée en la bouche l'un après l'autre ; car, si l'enfant avoit de l'esprit, il priseroit plus la douceur de la miguardisé et caresse que sa mère lui fait que la douceur de la dragée même : et ainsi. c'est beaucoup, Philothée, d'avoir les douceurs; mais c'est la douceur des douceurs, de considérer que Dieu, de sa main amoureuse et maternelle, nous les met en la bouche, au cœur, en l'ame et en l'esprit. 4° Les ayant reçues ainsi humblement, employonsles soigneusement, selon l'intention de celui qui nous les donne. Pourquoi pensons-nous que Dieu nous donne ces douceurs? Pour nous rendre doux envers un chacun, et amoureux envers lui. La mère donne la dragée à l'enfant, afin qu'il la baise; baisons donc ce Sauveur qui nous donne ces douceurs. Or, baiser le Sauveur, c'est lui obéir, garder ses commandements, faire ses volontés, suivre ses désirs; bref, l'embrasser tendrement avec obéissance et fidélité. Quand * donc nous aurons reçu quelque consolation spirituelle, faut ce jour-là se rendre plus

diligents à bien faire et à nous humilier. 5o II faut outre tout cela renoncer de temps en temps à telles douceurs, tendretés et consolations, séparant notre cœur d'icelles, et protestant qu'encore que nous les acceptions humblement et les aimions, parce que Dieu nous les envoie, et qu'elles nous provoquent à son amour, ce ne sont néanmoins pas elles que nons cherchons, mais Dieu et son saint amour, non la consolation, mais le consolateur; non la douceur, mais le doux Sauveur; non la tendreté, mais celui qui est la suavité du ciel et de la terre: et en cette affection nous nous devons disposer à demeurer fermes au saint amour de Dieu, quoique de notre vie nous ne dussions jamais avoir aucune consolation; et de vouloir dire également sur le mont de Calvaire comme sur celui de Thabor: O Seigneur! il m'est bon d'être avec vous, ou que vous soyez en croix, ou que vous soyez en gloire. 6o Finalement, je vous avertis que s'il vous arrivoit quelque notable abondance de telles consolations, tendretés, larmes et douceurs, ou quelque chose d'extraordinaire en icelles, vous en confériez fidèlement avec votre conducteur, afin d'apprendre comme il s'y faut modérer et comporter; car il est écrit: As-tu trouvé le miel? manges-en ce qui suffit.

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CHAPITRE XIV.

DES SÉCHERESSES ET STÉRILITÉS SPIRI

TUELLES.

Vous ferez donc ainsi que je vous viens de dire, très-chère Philothée, quand vous avez des consolations. Mais ce beau temps si agréable ne durera pas toujours; ains il adviendra que quelquefois vous serez tellement privée et destituée du sentiment de la dévotion, qu'il vous sera advis que votre ame soit une terre déserte, infructueuse, stérile, en laquelle il n'y ait ni sentier ni chemin pour trouver Dieu, ni aucune eau de grâce qui la puisse arroser, à cause des sécheresses qui, ce semble, la réduiront totalement en friche. Hélas! que l'ame qui est en cet état est digne de compassion, et surtout quand ce mal est véhément! car alors, à l'imitation de David, elle se repaît de larmes jour et nuit, tandis que par mille suggestions l'ennemi, pour la désespérer, se moque d'elle, et lui dit: Ah! pauvrette, où est ton Dieu? par

quel chemin le pourras-tu trouver? qui te pourra jamais rendre sa joie de la sainte grâce?

Que ferez-vous donc en ce temps-là, Philothée ? Prenez garde d'où le mal vous arrive. Nous sommes souvent nous-mêmes la cause de nos stérilités et sécheresses.

I. Comme une mère refuse le sucre à son enfant qui est sujet aux vers, ainsi Dieu nous ôte les consolations quand nous y prenons quelque vaine complaisance, et que nous sommes sujets aux vers de l'outrecuidance. Il m'est bon, ô mon Dieu! que vous m'humiliez: oui, car avant que je fusse humilié, je vous avois offensé.

II. Quand nous négligeons de recueillir les suavités et délices de l'amour de Dieu lorsqu'il en est temps, il les écarte de nous en punition de notre paresse. L'Israélite qui n'amassoit la manne de bon matin, ne le pouvoit plus faire après le soleil levé, car elle se trouvoit toute fondue.

III. Nous sommes quelquefois couchés dans un lit de contentements sensuels et consolations périssables, comme étoit l'épouse sacrée ès Cantiques. L'époux de nos ames heurte à la porte de notre cœur ; il nous inspire de nous remettre à nos exercices spirituels; mais nous marchandons avec lui, d'autant qu'il

nous fâche de quitter ces vains amusements, et de nous séparer de ces faux contentements; c'est pourquoi il passe outre, et nous laisse croupir; puis, quand nous le voulons chercher, nous avons beaucoup de peine à le trouver; aussi l'avons-nous bien mérité, puisque nous avons été si infidèles et déloyaux à son amour, que d'en avoir refusé l'exercice pour suivre celui des choses du monde, Ah! vous avez donc de la farine d'Égypte; Vous n'aurez donc point de la manne du ciel. Les abeilles haissent toutes les odeurs artificielles, et les suavités du Saint-Esprit sont incompatibles avec les délices artificieuses du monde.

IV. La duplicité et finesse d'esprit exercée és confessions et communications spirituelles que l'on fait avec son conducteur, attire les sécheresses et stérilités; car, puisque vous mentez au Saint-Esprit, ce n'est pas merveille s'il vous refuse sa consolation; vous ne voulez. pas être simple et naïf comme un petit enfant, vous n'aurez donc pas la dragée des petits enfants.

V. Vous vous êtes bien saoulée des contentements mondains; ce n'est pas merveille si les délices spirituelles vous sont à dégoût. Les colombes jà saoules, dit l'ancien proverbe, trouvent amères les cerises. Il a rempli

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