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infiniment au progrès, et sont presque irré'parables à la fin, il faut, avant toutes choses, que vous sachiez ce que c'est que la vertu de dévotion; car d'autant qu'il n'y en a qu'une vraie, et qu'il y en a grande quantité de fausses et vaines, si vous ne connaissez quelle est la vraie, vous pourriez vous tromper, et vous amuser à suivre quelque dévotion impertinente et superstitieuse.

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Arélius peignoit toutes les faces des images qu'il faisoit, à l'air et ressemblance des femmes qu'il aimoit et chacun peint la dévotion selon sa passion et fantaisie. Celui qui est adonné au jeûne, se tiendra pour bien dévot pourvu qu'il jeûne, quoique son cœur soit plein de rancune; et n'osant point tremper sa langue dedans le vin, ni même dans l'eau, par sobriété, ne se feindra point de la plonger dedans le sang du prochain, par la médisance et calomnie. Un autre s'estimera dévot, parce qu'il dit une grande multitude d'oraisons tous les jours, quoiqu'après cela sa langue se fonde toute en paroles fâcheuses, arrogantes et injurieuses, parmi ses domestiques et voisins. L'autre tire fort volontiers l'aumône de sa bourse pour la donner aux pauvres; mais il ne peut tirer la douceur de son cœur pour pardonner à ses ennemis: l'autre pardonnera à ses ennemis; mais tenir

raison à ses créanciers, jamais qu'à vive force de justice. Tous ces gens-là sont vulgairement tenus pour dévots, et ne le sont pourtant nullement. Les gens de Saül cherchoient David en sa maison: Michol ayant mis une statue dedans un lit, et l'ayant couverte des habillements de David, leur fit accroire que c'étoit David même qui dormoit malade. Ainsi beaucoup de personnes se couvrent de certaines actions extérieures appartenantes à la sainte dévotion, et le monde croit que ce soient gens dévots et spirituels; mais en vérité ce ne sont que des statues et fantômes de dévotion.

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La vraie et vivante dévotion, ô Philothée! présuppose l'amour de Dieu ains elle n'est autre chose qu'un vrai amour de Dieu; mais non pas toutefois un amour tel quel car en tant que l'amour divin embellit notre ame, il s'appelle grâce, nous rendant agréables à sa divine majesté; en tant qu'il nous donne la force de bien faire, il s'appelle charité; mais quand il est parvenu jusques au degré de perfection, auquel il ne nous fait pas seulement bien faire, mais nous fait opérer soigneusement, fréquemment et promptement, alors il s'appelle dévotion. Les autruches ne volent jamais, les poules volent pesamment, toutefois bassement et rarement; mais les aigles, les colombes, les arondelles, volent souvent,

vitement et hautement ainsi les pécheurs ne volent point en Dieu, ains font toutes leurs courses en la terre et pour la terre. Les gens de bien qui n'ont pas encore atteint la dévotion, volent en Dieu par leurs bonnes actions, mais rarement, lentement et pesamment : les personnes dévotes volent en Dieu fréquemment, promptement et hautement. Bref, la dévotion n'est autre chose qu'une agilité et vivacité spirituelle, par le moyen de laquelle la charité fait ses actions en nous, ou nous par elle, promptement et affectionnément ; et comme il appartient à la charité de nous faire généralement et universellement pratiquer tous les commandements de Dieu, il appartient aussi à la dévotion de nous les faire faire promptement et diligemment. C'est pourquoi celui qui n'observe tous les commandements de Dieu, ne peut être estimé ni bon ni dévot, puisque, pour être bon, il faut avoir la charité, et pour être dévot, il faut avoir outre la charité, une grande vivacité et promptitude aux actions charitables.

Et d'autant que la dévotion gît en certain degré d'excellente charité, non-seulement elle nous rend prompts, actifs et diligents à l'observation de tous les commandements de Dieu; mais, outre cela, elle nous provoque à faire promptement et affectionnément le plus de

honnes œuvres que nous pouvons, encore qu'elles ne soient aucunement commandées, ains seulement conseillées ou inspirées. Car, tout ainsi qu'un homme qui est nouvellement guéri de quelque maladie, chemine autant qu'il lui est nécessaire, mais lentement et pesamment; de même le pécheur étant guéri de son iniquité, il chemine autant que Dieu lui commande, pesamment néanmoins, et lentement, jusques à tant qu'il ait atteint la dévotion; car alors, comme bien sain, non-seulement il chemine, mais il court et saute en la voie des commandements de Dieu, et de plus il passe et court dans les sentiers des conseils et inspirations célestes. Enfin la charité et la dévotion ne sont non plus différentes l'une de l'autre, que la flamme l'est du feu, d'autant que la charité étant un feu spirituel, quand elle est fort enflammée, elle s'appelle dévotion: si que la dévotion n'ajoute rien au feu de la charité, sinon la flamme, qui rend la charité prompté, active et diligente, non-seulement à l'observation des commandements de Dieu, mais à l'exercice des conseils et inspirations célestes.

CHAPITRE II.

PROPRIÉTÉ et excellence dE LA DÉVOTION.

CEUX qui décourageoient les Israélites d'aller en la terre de promission, leur disoient que c'étoit un pays qui dévoroit les habitants, c'està-dire, que l'air y étoit si malin, qu'on n'y pouvoit vivre longuement, et que réciproquement les habitants étoient des gens si prodigieux, qu'ils mangeoient les autres hommes comme des locustes. Ainsi le monde, ma chère Philothée, diffame tant qu'il peut la sainte dévotion, dépeignant les personnes dévotes avec un visage fâcheux, triste et chagrin, et publiant que la dévotion donne des humeurs mélancoliques et insupportables. Mais comme Josué et Caleb protestoient que non-seulement la terre promise étoit bonne et belle, ains aussi que la possession en seroit douce et agréable; de même le Saint-Esprit, par la bouche de tous les saints, et Notre-Seigneur par la sienne même, nous assurent que la vie dévote est une vie douce, heureuse et aimable.

Le monde voit que les dévots jeûnent, prient et souffrent injures, servent les malades, donnent aux pauvres, veillent, contraignent leur

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