AU LECTEUR. 1 Ce livret sortit de mes mains l'an 1608. En sa seconde édition, il fut augmenté de plusieurs chapitres; mais trois de ceux qui étoient en la première furent oubliés par mégarde. Depuis, il a été souvent imprimé sans mon su; et avec les impressions, les fautes s'y sont multipliées. Or, le voilà maintenant de nouveau corrigé, et avec tous ses chapitres, mais toujours sans citations, parce que les doctes n'en ont pas besoin, et les autres ne s'en soucient pas. Quand j'use des paroles de l'Écriture, ce n'est pas toujours pour les expliquer, mais pour m'expliquer par icelles, comme plus aimables et vénérables. Si Dieu m'exauce, tu en feras bien ton profit, et recevras beaucoup de bénédictions. Mon cher lecteur, je te prie de lire cette préface, pour ta satisfaction et la mienne. «La bouquetière Glycera savoit si proprement diversifier la disposition et le mélange des fleurs, qu'avec les mêmes fleurs elle faisoit une grande variété de. bouquets; de sorte que le peintre Pausias demeura court, voulant contrefaire à l'envie cette diversité d'ouvrages; car il ne sut changer sa peinture en tant de façons comme Glycera faisoit ses bouquets. Ainsi le Saint-Esprit dispose et arrange avec tant de variété les enseignements de dévotion qu'il donne par les langues et les plumes de ses serviteurs, que la doctrine étant toujours la même, les discours néanmoins qui s'en font sont bien différents, selon les diverses façons desquelles ils sont composés. Je ne puis certes, ni veux, ni dois écrire en cette Introduction, que ce qui a déjà été publié par nos prédécesseurs sur ce sujet. Ce sont les mêmes fleurs que je te présente, mon lecteur; mais le bouquet que j'en ai fait sera différent des leurs, à raison de l'agencement dont il est façonné. Ceux qui ont traité de la dévotion, ont presque tous regardé l'instruction des personnes fort retirées du commerce du monde, ou au moins ont enseigné une sorte de dévotion qui conduit à cette entière retraite. Mon intention est d'instruire ceux qui vivent ès villes, ménages, à la cour, et qui, par leur condition, sont obligés de faire une vie \ commune quant à l'extérieur; lesquels bien souvent, sous le prétexte d'une prétendue impossibilité, ne veulent seulement pas penser à l'entreprise de la vie dévote, leur étant avis que comme aucun animal n'ose goûter de la graine de l'herbe nommée Palma Christi, aussi nul homme ne doit prétendre à la palme de la piété chrétienne, tandis qu'il vit emmi la presse des affaires temporelles. Et je leur montre que, comme les mères-perles vivent emmi la mer, sans prendre aucune goutte d'eau marine, et que vers les îles Chélidoines il y a des fontaines d'eau bien douce au milieu de la mer, et que les pyraustes volent dedans les flammes sans brûler leurs ailes; ainsi peut une ame vigoureuse et constante vivre au monde sans recevoir aucune humeur mondaine; trouver des sources d'une douce piété |