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au cardinal, devoit être de nettoyer la langue des ordures qu'elle avoit contractées ou dans la bouche du peuple, ou dans la foule du palais, ou dans les impuretés de la chicane, ou par les mauvais usages des courtisans ignorans, ou par l'abus de ceux qui la corrompent en l'écrivant, et de ceux qui disent bien dans les chaires ce qu'il faut dire, mais autrement qu'il ne faut (1). Le cardinal revit les statuts avec une attention minutieuse, et les approuva, après y avoir fait quelques corrections. Les lettres-patentes furent expédiées au mois de janvier 1635; mais leur enregistrement éprouva des difficultés; il n'eut lieu qu'au mois de juillet 1637, et le parlement crut devoir mettre la restriction suivante dans son arrêt : « A la charge que ceux de ladite as« semblée et académie ne connoîtront que de l'or<«<nement, embellissement et augmentation de la << langue française, et des livres qui seront par eux « faits, et par autres personnes qui le désireront et << voudront. »

Ce n'est point ici le lieu de parler des travaux de l'Académie Française, ni des services qu'elle a rendus à la langue et à la littérature. Nous ferons seulement remarquer que les plus petites choses s'agrandissoient sous la main de Richelieu, qu'il savoit éblouir les hommes qu'il se soumettoit en paroissant les élever, et que ce qu'il fondoit pour son propre intérêt ou pour sa gloire personnelle, étoit en même temps utile et avantageux à l'Etat.

Le Cid fut représenté, en 1636, à l'époque où l'Académie Française commençoit à prendre de la (1) Histoire de l'Académie Française, par Pélisson,

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consistance. Si on en croit Fontenelle, le succès prodigieux de cette tragédie alarma autant le cardinal que s'il avoit vu les Espagnols devant Paris. Plusieurs historiens pensent avec lui que ce fut la jalousie, qui porta Richelieu à faire faire la critique de la pièce par l'Académie: D'autres historiens réfutent cette accusation d'une manière au moins très-spécieuse. Ils représentent que le cardinal, qui se piquoit d'avoir une parfaite connoissance du théâtre, donnoit la préférence aux pièces d'intrigues; qu'il étoit peu sensible aux peintures brûlantes de l'amour, au charme de la haute poésie, à la vérité des sentimens et des caractères; qu'il fut beaucoup plus frappé de quelques inconvenances qui déparent le Cid, que des beautés inimitables qui en ont assuré le succès ; qu'ainsi il étoit sincère dans son opinion, lorsqu'il jugeoit si mal cette tragédie. Qu'ayant établi nouvellement l'Académie Française, il avoit voulu lui donner de l'importance en la chargeant d'examiner une pièce qui, selon lui, prêtoit à la critique, quoiqu'elle eût réuni les suffrages de la ville et de la Cour. Ils ajoutent que les sentimens de l'Académie sur le Cid, remarquables par l'esprit de justice et par la modération qui y dominent, furent soumis au cardinal, qui les approuva, après y avoir fait de légers changemens; qu'à cette époque Richelieu faisoit une pension à Corneille, et que la duchesse d'Aiguillon sa nièce accepta la dédicace de cette tragédie.

Richelieu, supportant seul tout le poids du gouvernement du royaume, ayant sans cesse à lutter contre les factions, formant et exécutant les plus grandes entreprises, agitant tous les cabinets de l'Europe

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NOTICE SUR RICHELIEU.

pour assurer leur succès, trouvoit ainsi non-seulement du loisir pour composer des ouvrages, mais encore pour prendre part à des débats littéraires. Cette prodigieuse aptitude aux affaires, cette liberté d'esprit qui lui permettoit de se livrer presque en même temps à des occupations si différentes, ont paru tellement inconcevables à quelques auteurs, qu'ils les ont attribuées à une conformation particulière de la tête du cardinal. Ils ont répété le bruit qui a couru dans le temps, que les chirurgiens chargés de l'ouverture du corps, avoient trouvé tous les organes de l'entendement doubles, et quelques-uns triples. Ils auroient dû dire ce qu'ils prétendoient désigner par les organes de l'entendement, sur lesquels les plus savans physiologistes n'ont encore rien découvert de positif. Ce qu'on ne peut nier, c'est qu'avec une constitution foible et délicate, malgré des maladies presque continuelles, Richelieu fut un de ces hommes extraordinaires qui apparoissent de loin en loin dans les siècles, et que la force de leur génie semble élever au-dessus de l'espèce humaine.

DE SON ÉMINENTISSIME

ARMAND-JEAN DU PLESSIS,

CARDINAL DUC DE RICHELIEU. **

PAR-DEVANT Pierre Falconis, notaire royal en la ville de Narbonne, fut présent en sa personne éminentissime Armand-Jean du Plessis, cardinal duc de Richelieu et de Fronsac, pair de France, commandeur de l'ordre du SaintEsprit, grand-maître, chef et surintendant-général de la navigation et commerce de ce royaume, gouverneur et lieutenant-général pour le Roi en Bretagne; lequel a fait entendre audit notaire l'avoir mandé en l'hôtel de la vicomté de ladite ville, où il est à présent en son lit, malade, pour recevoir son testament et ordonnance de dernière volonté, en la manière qui s'ensuit :'

Je, Armand-Jean du Plessis de Richelieu, cardinal de la sainte église romaine, déclare qu'ayant plu à Dieu, dans la grande maladie en laquelle il a permis que je sois tombé, de me laisser l'esprit et le jugement aussi sains que je les ai jamais eus, je me suis résolu de faire mon testament et ordonnance de dernière volonté.

PREMIÈREMENT.

Je supplie sa divine bonté de n'entrer point en jugement avec moi, et de me pardonner mes fautes par l'application du précieux sang de Jésus-Christ son fils, mort en croix

(1) L'original de ce testament se trouvoit dans l'étude de M°. Le Cerf, notaire à Paris, rue Saint Honoré n°. 83. L'expédition a été faite sur l'original.

pour la rédemption des hommes, par l'intercession de la Sainte Vierge sa mère et de tous les Saints, qui, après avoir vécu en l'église catholique et apostolique et romaine, en laquelle seule on peut faire son salut, sont maintenant glorieux en paradis.

Lorsque mon âme sera séparée de mon corps, je désire et ordonne qu'il soit enterré dans la nouvelle église de la Sorbonne de Paris, laissant aux exécuteurs de mon testament, ci-après nommés, de faire mon enterrement et funérailles ainsi qu'ils l'estimeront plus à propos.

Je veux et ordonne que tout l'or et l'argent monnoyé que je laisserai lors de mon décès, en quelque lieu qu'il puisse être, soit mis és mains de madame la duchesse d'Aiguillon, ma nièce, et de M. de Noyers, conseiller du Roi en son conseil d'Etat, secrétaire de ses commandemens, fors et excepté la somme de quinze cent mille livres que j'entends et veux être mise entre les mains de Sa Majesté, incontinent après mon décès, ainsi que je l'ordonnerai ci-après.

Je prie madame la duchesse d'Aiguillon ma nièce, et M. de Noyers, aussitôt après mon décès, de payer et acquitter mes dettes, si aucunes se trouvent lors, des deniers que j'ordonne ci-dessus être mis entre leurs mains; et, mes dettes payées, sur les sommes qui resteront, faire des œuvres de piété utiles au public, ainsi que je leur ai fait entendre, et à M. Lescot nommé par Sa Majesté à l'évêché de Chartres, mon confesseur; déclarant que je ne veux qu'ils rendent aucun compte à mes héritiers, ni autres, des sommes qui leur auront été mises entre les mains, et dont ils auront disposé.

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Je déclare que, par contrat du 6 juin 1636 devant Guerreau et Pargue, j'ai donné à la couronne, mon grand hôtel `que j'ai bâti sous le nom du Palais-Cardinal, ma chapelle d'or enrichie de diamans, mon grand buffet d'argent ciselé, et un grand diamant que j'ai acheté de Lopès. Toutes lesquelles choses le Roi a eu agréable, par sa bonté, d'accepter

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