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de la commission sur le projet de loi du gouvernement et ses vues sur la situation des affaires en Orient.

Notre flotte, disait le rapporteur, a été considérablement reduite cette année, à cause de nos différends avec le Mexique et Buenos-Ayres.

Notre escadre, dans l'Archipel, continuait-il, a souffert de cette réduction, et l'on est tenté d'accuser la prudence du gouvernement, quand on voit qu'au moment même où les mouvements de l'armée : turque sur l'Euphrate menaçaient la paix du monde, la France n'avait dans le Levant que trois vaisseaux et quelques bâtiments légers: depuis, cette escadre a reçu des renforts; d'autres vont les suivre, et dans peu l'équilibre, rompu à son détriment, sera rétabli. Mais les huit à neuf vaisseaux dont le budget ordinaire permet de la composer ne suffiraient pas, si la diplomatie échouait dans ses efforts contre les causes nombreuses qui poussent à la guerre la Porte et l'Egypte.

M. Jouffroy, pénétrant alors dans la cause même de la situation, rendait compte de la politique suivie jusque-là par la France dans les phases diverses de cette question, et de celle que sa dignité et ses intérêts lui prescrivaient d'adopter dans les suites qu'elle pouvait avoir. Ce que l'on devait craindre avant tout, c'était la destruction de cet équilibre de l'Europe, qui fait de cette partie un monde, une famille d'états où la raison du plus fort est habituellement impuissante, et où les choses se règlent par la discussion et non par les armes. Contre ce danger, il n'y avait qu'un préservatif : la politique de l'Europe devait poser en principe que, quoi qu'il arrivât en Orient, elle n'admettrait pas qu'il pût en résulter pour personne une cause d'agrandissement. En effet, ajoutait le rapporteur, il sera éternellement de l'intérêt de toutes les puissances de l'Europe qu'Alexandrie et Constantinople ne tombent point entre les mains de quelques-unes d'elles, et qu'elles demeurent la propriété de gouvernements distincts et indépendants, avec lesquels il soit loisible à tout le monde de traiter et de commercer; car ces possessions donneraient une telle prépondérance aux puissances qui les occuperaient, que la liberté de la république européenne, liberté

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qui porte dans son sein l'avenir de la civilisation, en serait gravement compromise.

1er Juillet. M. le président du conseil, ministre des affaires étrangères, posa nettement la question. Depuis le traité de Kutaya, intervenu en 1855, entre l'Égypte et la Porte Ottomane, la Russie avait conclu, en 1858, avec la Turquie, le traité d'alliance défensive signé à UnkiarSkelessi, et ne s'était éloigné du Bosphore qu'à la demande de la France et de l'Angleterre; jusqu'alors la paix avait été maintenue; mais les événements récents annonçaient des hostilités prochaines, et Méhémet-Ali avait fait marcher ses troupes contre l'armée du sultan, prête à envahir ses frontières de Syrie. Ces faits menaçants nécessitaient l'accroissement de nos forces navales dans la Méditerranée. Cependant, le ministre se reposait de l'avenir sur les négociations déjà entamées par la France et par l'Angleterre.

La lice parlementaire était ouverté; toutes les sommités de la Chambre s'y précipitèrent.

Vint d'abord M. le duc de Valmy, dont l'argumentation fut une longue et vive censure de la conduite du gouvernement. Deux fois la Turquie, après la défaite de Koniah, avait fait appel à la France, et deux fois la France était restée neutre ou impuissante; de là l'intervention de la Russie, et le traité d'Unkiar-Skelessi. De plus, l'ambassade de France, en se portant médiatrice dans l'arrangement de Kutaya, avait pris sous sa garantie un premier partage de l'empire ottoman, partage contre lequel la Porte avait énergiquement réclamé. Également intéressés à la fortune de la Porte, et à celle de l'Égypte, par notre conduite indécise et flottante, nous ne pouvions que mécontenter le sultan et le vice-roi, et en voulant les épargner tous deux, nous perdions notre crédit sur l'un et sur l'autre.

Des hauteurs de ces considérations générales, l'orateur

descendait à la question du statu quo, et déclarait que la France provoquait la guerre en voulant la prévenir, et que l'empereur Nicolas avait répondu à nos réclamations, qu'il remplissait fidèlement les obligations du traité du 8 juillet, sans avoir égard à nos protestations; rien, d'ailleurs, dans le langage du ministère, ne démontrait qu'il eût adopté une politique capable de le mettre en position de régler sérieusement le statu quo dans lequel s'engloutissaient l'empire ottoman et l'équilibre de l'Europe.

M. de Carné, sans nier l'indécision de la France à l'origine de la question d'Orient en 1831 et 1832, croyait pou voir l'expliquer, tant par le vague de ces événements primordiaux, que par la position incertaine à cette époque de notre diplomatie, dont l'attention était alors occupée par les affaires d'Anvers et de l'Espagne. Mais laissant le passé pour ne s'occuper que de l'avenir, l'honorable député regardait comme impossible le rétablissement de l'harmonie; alors que le glaive était tiré, les congrès et les conférences seraient impuissants à régler la situation. D'ailleurs, la Russie, qui menaçait déjà Constantinople, et l'Angleterre, qui voulait l'isthme de Suez, avaient intérêt au maintien du statu quo.

En face des circonstances qui peuvent se produire, ajoutait l'orateur, il est de l'intérêt de la France d'agir immédiatement, d'agir seule, de déclarer qu'elle protège l'Égypte; qu'elle prend sons son abri une nationalité qui importe à l'équilibre européen; qu'elle la protège contre le despotisme maritime, tout aussi bien que contre le despotisme militaire.

« Je dis que déjà la force morale de l'action de la France serait immense, si elle changeait seulement le titre de son agent; si, au lieu d'un agent consulaire, elle avait à Alexandrie un agent diplo

matique.

• Vous attendez-vous sérieusement que la Porte ottomane vienne daus la conférence qui s'ouvrira, signer vos protocoles ? Rappelezvous donc ce qu'a été sa politique dans tous les temps. Rappelezvous, Messieurs, que, pour l'Ottoman, il n'est de providence que la force qu'il ne s'incline que devant les événements accomplis.

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Eh bien tant que le sultan n'aura pas vaincu son vassal, tant

qu'il conservera au fond du cœur son orgueil d'empereur et de calife, ou jusqu'à une nouvelle bataille de Koniah, jusque-là vos conseils seront impuissants, jusque-là, si vous voulez la paix par le concours de la Porte, laissez les armes prononcer, car c'est la seule voie pour en sortir.

⚫Or, la France viendrait en aide à la nationalité égyptienne, d'accord avec ses alliés, si ces alliés y consentaient, sinon elle marcherait seule, et par une initiative ferme et décidée provoquerait la séparation des deux moitiés de l'empire ottoman qui ne pouvaient plus demeurer réunis. Elle donnerait à l'Egypte les conditions stratégiques et militaires qui seules seraient capables d'assurer sa durée et garantirait ainsi l'existence de la Porte ottomane, en rendant impossible, ou du moins difficile, une nouvelle intervention russe.» .

M. Auguis traita la question d'un autre point de vue. L'Egypte gémissait sous le despotisme de Méhémet-Ali, tandis que la Turquie se régénérait par la civilisation. L'orateur n'en concluait pas que la France dût exclusivement accorder son appui à l'empire ottoman à l'exclusion de l'Egypte; seulement, il n'hésitait pas à déclarer que la France avait le plus grand avantage à ce que le sultan fût fort et puissant, et le pacha contenu dans les justes limites de son pouvoir.

M. Denis, membre de la commission qui avait examiné le projet de loi, ne s'associait cependant pas aux vues politiques qui avaient dicté le travail du rapporteur. La guerre, toute glorieuse qu'elle fût, blessait nos intérêts nationaux ; car il s'agissait avec l'Egypte, la Syrie, l'Asie mineure et la Turquie, d'an mouvement commercial d'exportation et d'importation qui se montait à 160 millions. En outre, il était visible que depuis 1834 nos relations avec le pacha d'Egypte n'étaient plus aussi amicales ; le gouvernement devait donc de préférence se tourner vers la Turquie.

J'entends bien, continuait l'honorable membre, qu'on me crie: Tons vous intéressez à un cadavre. A cela je réponds: De ce qu'un corps robuste est abattu, s'ensuit-il logiquement qu'il soit faible à ce point de ne pouvoir plus donner signe de vie. Eh! mon Dieu! rap

pelons-le nous, sous l'empereur Soliman II, la Turquie, entourée d'ennemis, attaquée et pressée sur trois points par les armées de Venise, de l'Autriche et de la Pologne, ses provinces envahies ou en proie à des déchirements intérieurs, ses trésors épuisés, se trouvait aussi près de sa ruine qu'elle peut l'être de nos jours la Turquie s'est relevée; il y a encore, croyez-moi, chez ce peuple musulman quelques-unes des vertus qui.présagent ou garantissent un long avenir social, le courage, la docilité, la bonne foi, c'est-à-dire un esprit de justice que ne peut même fausser son contact plus fréquent avec les Européens. Ses institutions législatives sont bonnes, peu nombreuses, appropriées au climat et au sol, et surtout respectées de ceux qu'elles sont applées à régir. En peut-on dire autant de tous les Etats de l'Europe? et ne sont-ce pas là des principes de virtualité incontestable et qui donnent la mesure des exagérations auxquelles on s'abandonne quand on ne craint pas de condamner à mort un vaste Etat encore plein de vie, mais dont l'existence gène les combinaisons systématiques que vous venez d'entendre et que vous entendrez encore; et si je viens de m'élever tout à l'heure contre les réformes, c'est que ces réformes ne sont qu'un changement de peau ; c'est que ces réformes prétendues ou réelles ont été conseillées à Halil-Pacha, gendre de sa hautesse, homme de peu de portée dans l'esprit, lequel a été pendant plusieurs mois ambassadeur à Saint-Pétersbourg, et qu'elles ne tendent qu'à un but que n'ont aperçu ni Halil-Pacha, ni le sultan lai-même, celui dé préparer adroitement les populations qui vivent sous le joug de la puissance ottomane à passer sans surprise sous la domination russe; elles doivent les façonner, les assouplir, les accoutumer d'avance à ce que nos formes pourraient avoir d'étrange et de choquant pour elles; en un mot, elles métamorphosent un peuple en un autre peuple; elles constituent en fait la pensée de Pierre et de Catherine, la création d'un empire russo-grec.

Et si nous laissons ces faits s'accomplir, que nous en reviendra-t-il? Honte et dommage, et cela, quelques offres éblouissantes qu'on puisse nous faire à la suite d'un dépécement de la Turquie dont chacun voudrait avoir sa part..

Dans la conviction de l'orateur, l'affaiblissement de la Turquie amènerait infailliblement les Russes à Constantinople. Il fallait donc prendre une prompte initiative dans la collision qui s'engageait, de concert avec l'Autriche, qui avait le même intérêt que la France, à ce que les ports da Levant demeurassent libres; il fallait s'adjoindre ensuite l'Angleterre, la rivale de la Russie en Asie, guérir les plaies intérieures de la Turquie, et restituer la Syrie au sultan. Dans ce but, il était nécessaire que la Chambre votât les fonds nécessaires pour tenir 18 vaisseaux au lieu

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