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ment de la Suisse pour la France, au grand contentement de l'Autriche, de la Prusse et de la Russie. Au reste, si la Sardaigne avait gardé le silence dans cette circonstance, elle avait du moins offert l'hospitalité aux Suisses, dans le cas d'une invasion française. La prétention de la France était donc exorbitante, en ce que la constitution du canton de Thurgovie conférait à Louis Bonaparte les droits et les devoirs d'une bourgeoisie réelle, et que dès 1832, le prince avait cessé d'être Français. Que failait-il donc faire, ajoutait l'orateur, du moment que Louis Bonaparte se livrait, disait-on, à des intrigues préjudiciables à son ancienne patrie? Il fallait suivre les formes usitées en de telles occurences : déférer l'affaire aux tribunaux du pays, à ceux de Thurgovie, et fournir devant ces tribunaux les preuves de ces trames et de ces intrigues dont on se plaiguait. A cette considération de rapports amicaux, se joignit celle des intérêts commerciaux des deux pays. La France exportait chaque année pour 157 millions de marchandises, et ses importations s'élevaient à une valeur de 60 à 70 millions. Or, si la Suisse entrait dans la ligne des douanes allemandes, elle formerait de nouveaux liens au préjudice de la France. M. Dubouchage terminait en regrettant que l'on eût donné tant d'importance politique à Louis Bonaparte, et doutait qu'aujourd'hui le gouvernement se hasardât à demander son expulsion du sol anglais où il s'était réfugié, dans les mêmes termes et du même ton qu'il avait fait pour la Suisse.

Dans l'opinion de M. Villemain, soustraire Louis Napoléon aux lois du pays, non par une générosité qui souvent sied bien à un gouvernement; mais par respect pour une sorte de légitimité impériale que l'on voyait rayonner de sa tête; déférer le procès Laity à la Chambre des pairs, que l'on établissait ainsi juges en matière de presse; puis, par un abus du droit du plus fort, méconnaître dans

Ann. hist. pour 1839.

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la conduite avec la Suisse ces principes généraux du droit public qu'il importe de conserver religieusement, et que les grands états doivent proclamer et maintenir en faveur des petits, c'était autant de fautes successives qu'il reprochait au gouvernement. Selon l'honorable pair, le procédé légal consistait à dire à la Suisse : «Un homme est chez vous qui nous inquiète, s'il est vrai qu'il soit citoyen de votre pays, répondez-nous de lui, vous qui êtes notre alliée. » Ainsi, la demande de la France n'eût pas dû être appuyée et recommandée par les ambassadeurs de diverses puissances étrangères. Cette demande, au reste, avait suscité plus d'embarras qu'elle n'en avait écarté. Le prince Louis s'était retiré volontairement et la Suisse n'avait pas cédé à notre ascendant.

M. le comte Molé rejetant une pareille interprétation de ses actes, affirmait qu'il ne s'était pas incliné devant une prétendue légitimité impériale, mais qu'il avait voulu épargner le neveu de l'empereur. Un peuple a toujours raison d'invoquer le droit des gens; la France l'avait fait. Quant à la nationalité de Louis Bonaparte, elle était désavouée par son passeport pris à Thurgovie, dans lequel il s'intitulait prince et Français. Le chef du Cabinet croyait n'avoir pas usé envers la Suisse du droit du plus fort. La modération montrée dans le dénouement de l'affaire, prouvait le contraire, et, malgré les sombres pronostics du préopinant, il espérait que la Suisse conserverait ses sympathies pour la France.

M. le comte Dubouchage prit de nouveau la parole:

• Il est vrai que M. le président de la Diète a prouvé, suivant ses propres lumières, que le jeune Louis Bonaparte n'était pas citoyen suisse; mais il est également vrai que contre cette opinion individuelle, huit cantons et deux demi-cantons, c'est-à-dire dix conseils représentatifs ont reconnu, après mûres délibérations, que le jeune Louis Bonaparte était citoyen suisse et bourgeois du canton de Thur

govie. Dix conseils souverains contre une opinion individuelle d'un membre de la Diète !

Monsieur le président du Conseil vient de parler de la longanimité de la politique du Cabinet français envers la Suisse: ce Cabinet s'est contenté, en effet, du départ volontaire de Louis Bonaparte, mais la Suisse s'est-elle engagée, s'il plaisait à ce jeune prince de revenir en Thurgovie, à lui refuser son territoire ? Non. Donc cette affaire n'est pas finie; donc elle peut être mue de nouveau, au grand détriment des intérêts réciproques de la France et de la Suisse. Et voilà ce qui arrive lorsqu'on commence mal et avec dureté une négociation, et qu'on la poursuit obstinément contre les formes légales et juridiques..

Cette discussion terminée, M. le comte de Tascher fit entendre, comme l'année précédente, quelques plaintes généreuses en faveur de la ville libre de Cracovie. Il rappela qu'elle venait de demander à la pitié de ses oppresseurs d'être déclarée prussienne ou autrichienne plutôt que de >mber sous la domination de la Russie. L'orateur osait enser que des protestations parties des tribunes françaises 1 e seraient pas tout-à-fait sans valeur et sans écho.

M. le comte Molé crut devoir s'associer aux sentiments <primés par le noble pair, en annonçant qu'une démarche vait été faite au nom de la France auprès des trois états rants de l'indépendance de Cracovie, et que le gouverne"ent attendait des explications sur cette belle question. M. Villemain, passant au paragraphe 3, relatif aux afires de la Belgique et de la Hollande, revenait sur le disours de M. de Montalembert, et s'étonnait de ce que le président du Conseil n'avait pas cherché à refuter cette assertion principale que la politique française avait toujours une tendance fàcheuse à reculer. La politique qui avait occupé Ancône ne ressemblait pas à celle qui l'abandonnait et qui désespérait si vite de pouvoir défendre le Luxembourg et le Limbourg. La Chambre des pairs ne devait pas sanctionner un sacrifice inutile et proclamer que la dignité était sauve pourvu que l'on s'attachât servilement à la lettre du traité des 24 articles; c'était au ministère à prendre sur lui la responsabilité du démembrement de la Belgique.

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On peut dire à MM. les ministres, ajoutait l'orateur avec énergie, on ne vous demande pas de faire la guerre pour violer un traité ; mais on vous demande quand un traité est remis en discussion par la force des choses, si vous avez fait tout ce que vous devriez faire dans l'intérêt du peuple voisin, votre allié. Ce traité ne peut être considéré d'une manière absolue; il a été remis en question pour la dette, il l'est également pour le territoire. Avez-vous fait tous vos efforts sur la seconde question comme sur la première ? La Belgique, après sept ans de paix, avait plus de ressources pour payer; la Belgique, après sept ans d'union, avait plus de répugnance à se démembrer. Avez-vous insisté à cet égard comme le permettait l'équité, comme le voulait l'honneur d'un peuple, votre allié..

M. Villemain reprochait ensuite au Cabinet d'avoir fait concevoir à la Belgique des espérances qui ne devaient pas se réaliser; d'avoir, par ses promesses, excité l'enthousiasme d'une nation amie, pour l'abandonner ensuite à elle-même, il ne voulait pas, à l'exemple de M. de Montalembert, provoquer l'héroïsme de la Belgique et l'exposer à de funestes mécomptes, mais, ajoutait-il, dites plutôt à notre gouverne

ment:

« Vous avez laissé s'engager ce roi; vous avez laissé ce patriotisme qui espérait en vous se manifester avec tant d'ardeur et d'empire ; vous avez laissé cet enthousiasme se former dans toute la Belgique.

Eh bien! n'avez-vous pas le droit de pousser jusqu'à la ténacité votre resistance diplomatique et régulière ? Car, enfin, ce traité n'est pas sacré ; on y déroge pour l'argent, pourquoi ne le modifierait-on pas pour le territoire ?

a Enfin, si vous avez trouvé un obstacle invincible, n'avez-vous pas encore la puissance de la ténacité qui refuse, de la ténacité qui ajourne, qui raisonne, qui expose de quelle conflagration l'Europe pourrait être menacée ! Et quand le roi de Hollande a eu sept ans pour se raviser, pour se déterminer, pourquoi la Belgique n'auraitelle que quelques jours? Pourquoi ne lui donner que jusqu'au 10 février? Pourquoi, au 15 février, Venloo devra-t-il être occupé ? Pourquoi, à cette époque, les Belges seraient-ils condamnés à un heroisme peut-être imprudent, ou à une soumission? »

L'orateur pensait en outre que la question de territoire n'avait pas été traitée comme elle aurait dû l'être; que la France pouvait intervenir dans ce conflit et oser beaucoup

sans craindre la guerre : la révolution de juillet en était une preuve éclatante, et le statu quo en Europe était encore plus favorable à toutes les autres puissances qu'à la France réduite en deçà des limites de la monarchie de Louis XIV, mais renfermant une population compacte de trente-trois millions d'âmes. La conclusion de ce discours, qui avait excité toute l'attention de la Chambre, était que le pays ne donnerait sa confiance qu'au gouvernement qui aurait le senti❤ ment de sa force et de sa dignité.

M. le président du Conseil, sans chercher à affaiblir l'impression que ces paroles pouvaient avoir produites, se contenta d'affirmer que le ministère prenait sur lui toute la responsabilité des négociations entamées avec l'étranger sous sa direction.

Dans la suite de la discussion, M. Molé attribuait à la politique suivie par le Cabinet actuel, c'est-à-dire à celle qui voulait l'exécution du traité des 24 articles, la prise d'Anvers et les conférences relatives aux affaires de la Belgique. Le ministère ne pouvait accepter le reproche de s'être présenté devant les Chambres pour leur demander de trancher la difficulté soulevée par la question hollandobelge; car il avait constamment défendu la Belgique partout où il lui semblait légitime de la défendre, et ne l'avait jamais encouragée dans des voies où il eut été si dangereux pour elle d'entrer. En terminant, M. Molé faisait remarquer à l'honorable préopinant que la question de la dette était distincte de celle du territoire, et que cette question avait scule été réservée par le protocole n. 48.

M. Villemain, tout en reconnaissant la modération de ce langage, n'admettait pas que la révision de la question territoriale, mise un instant de côté, fùt inutile; bien au contraire, la logique, le temps, le droit, l'état des esprits faisaient une loi de provoquer un nouvel examen à cet

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