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égard. Rien de tout cela n'avait été fait. De plus, la convention du mois d'octobre 1832 stipulait, qu'Anvers serait pris par la France, et d'une autre part, que le roi des Belges retirerait ses troupes du territoire hollandais, c'està-dire du Limbourg et du Luxembourg. Cette convention n'avait pas été exécutée, et défense avait été faite, en 1855, au roi de Hollande, de tenter aucune hostilité contre le territoire belge, et notamment contre le Luxembourg et le Limbourg. L'orateur voyait dans les actes de la diplomatie un séquestre bienveillant et une suspension même du droit que l'on avait reconnu à la Hollande; de là, devait naître un sérieux débat que M. le comte Molé n'avait pas soulevé, parce qu'il l'avait cru impossible.

Quelques insinuations de M. le président du Conseil et de M. Villemain rappelèrent M. de Montalembert à la tribune. A ses yeux, la Belgique, loin d'avoir adhéré au traité des 24 articles avec une sorte de reconnaissance, comme on le prétendait, avait, au contraire, accueilli ce traité avec une profonde tristesse; il n'en fallait pour preuve que les expressions textuelles dont s'était servi le plénipotentiaires belge, le 14 novembre 1831.

« S. M. désirant épargner à son peuple tous les malheurs qu'entraînent à sa suite l'exécution forcée de ces 24 articles, et ne voulant pas exposer l'Europe à une guerre générale, cède à la loi impérieuse de la nécessité, adhère au conditions dures et onéreuses imposées à la Belgique par la conférence de Londres.»

En 1831, continuait l'orateur, la Belgique devait se résigner à ce langage, en 1838 sa situation et son attitude avaient changé. Si l'unique base de la politique du gouvernement était le texte du traité, pourquoi un traité plus ancien, celui des 18 articles n'avait-il pas trouvé dans le gouvernement français et chez toutes les grandes puissances de l'Europe les mêmes égards que le traité des 24 articles? cependant, c'était après l'acceptation des 18

articles par les Chambres belges que le roi avait consenti å prendre la couronne de Belgique.

Eh bien! ajoutait le noble pair, ce traité a été annulé d'un commun accord par toutes les puissances, et cela, après l'agression déloyale du roi de Hollande. Or, si l'on n'avait pas tenu compte du traité des 18 articles en 1831, on ne devait pas respecter davantage le traité des 24 articles; il ne fallait s'occuper que du traité définitif promis par la convention du 21 mai 1835.

" Il fallait dire au roi de Hollande Vous n'avez pas voulu entendre raison en temps utile, aujourd'hui je suis prêt à faire le traité définitif, mais je ne suis nullement disposé à reprendre un traité qui a été périmé par votre faute. >>

Dans le cours de ces débats, M. Villemain avait dit que M. de Montalembert, auquel la question belge appartenait, pour ainsi dire, de parenté et de famille, l'avait traitée avec chaleur et talent, et M. le comte Molé, par cette allusion d'une autre nature, mais non moins directe, savoir qu'en Angleterre tout le monde était anglais, avait éveillé la juste susceptibilité du noble pair, qui opposa à ces deux assertions que, en défendant la Belgique, non pour des causes de parenté; mais pour des raisons de conscience'; il ne se croyait pas moins bon Français que M. de Lafayette qui avait défendu la liberté en Amérique ou que M. le comte Molé, lorsqu'il avait, en 1830, reconnu la Belgique et proclamé le principe de la non-intervention; enfin continuait l'orateur, le gouvernement a-t-il soutenu dans le traité la question territoriale ? oui ou non.

Le chef du Cabinet refusa de s'expliquer sur une négociation non terminée, prétextant que ce serait risquer de compromettre des intérêts précieux à tous.

Le paragraphe 3, mis aux voix, fut adopté, et l'on passa à la discussion du 4e paragraphe, relatif à l'évacuation d'Ancône.

M. le duc de Broglie, après avoir déclaré qu'il n'avait à ce sujet aucune révélation diplomatique à faire, développa son opinion sur la conduite du gouvernement dans

cette affaire : la garnison n'aurait pas dû être retirée purement et simplement, sans rien stipuler en vue des éventualités de l'avenir, au risque de compromettre plus tard la tranquillité de l'Europe. L'expédition d'Ancône était éminemment sage et vraiment patriotique.

Le noble pair, s'appuyait sur la politique prudente, mais courageuse de Casimir-Périer, qui n'avait voulu, en 1851, ni laisser périr en Italie les germes de notre révolution, ni appeler à l'insurrection les provinces lombardo-vénitiennes, ajoutait :

« Il faut bien le confesser, le départ des troupes françaises est un adieu que le gouvernement français adresse aux populations de la Romagne; c'est une déclaration solennelle qu'il ne peut et ne veut plus rien tenter en leur faveur ; qu'il les livre à leur triste destinée. C'est le dernier coup porté aux promesses de 1831, ces promesses faites au nom de l'Europe tout entière. Les populations de ces contrées n'ont plus que le choix entre le gouvernement arbitraire, absolu, suranné des cardinaux-légats, et le gouvernement militaire des généraux autrichiens.

Ils auront le premier, s'ils demeurent tranquilles, et le second, pour peu qu'ils remuent.

« Car de penser que le Saint-Siége soit plus en état aujourd'hui qu'en 1831 de réprimer le moindre soulèvement, ce serait se faire une étrange illusion. Quand je lis dans les journaux le magnifique et redoutable étalage des forces militaires dont le Saint-Siége dispose, franchement je suis un peu augure de mon métier, et il m'est diffcile de ne pas sourire. Le gouvernement le sait comme moi, tout cela n'existe que sur le papier; et fort heureusement; car si l'armée pontificale s'élevait, comme on nous l'imprime, à vingt ou vingt-cinq mille hommes, le danger serait bien plus grand. L'événement a prouvé, en effet, qu'autant de telles troupes étaient propres à exciter des soulèvements, par leur indiscipline, leur brutalité et leurs pillages, autant elles sont incapables de les réprimer; plus il y en au rait, plus elles seraient mal payées, et plus le mal inévitable.

« Et de penser, d'un autre côté, que le gouvernement autrichien laissera la moindre agitation s'établir dans la Romagne sans y porter à l'instant la main, ce serait une autre illusion.

« L'événement a prouvé encore que sa prévoyance sur ce sujet n'était jamais en défaut ; qu'elle avait même, on peut le dire, quelque chose de divinatoire, quelque chose de prophétique. Les gens qui n'oublient rien peuvent se souvenir, en effet, qu'en 1831, lors de la scconde occupation, la proclamation du général autrichien, annonçant à ses soldats qu'ils allaient marcher sur Bologne, a précédé, de plusieurs jours, la demande à lui adressée par ie Saint-Siége.

. Je le répète 'donc, les habitants de la Romagne n'ont plus que le choix, mais ils ont le choix entre le gouvernement des cardinauxlégats et celui des généraux autrichiens. Or, est bon de le savoir, entre ces deux sortes de gouvernements, les habitants de la Romagne n'hésitent pas : ils préfèrent, ils ont toujours préféré le gouvernement des généraux autrichiens; ils trouvent celui-là, ce qu'il est en effet, beaucoup plus éclairé, plus raisonnable, plus impartial.

Et si l'Europe, ajoutait le noble duc, dans le cas où nous conserTerions la citadelle d'Ancône, prenait part dans ce démêlé et se constituait en congrès pour résoudre une question de territoire, alors on demanderait compte à l'Autriche, à la Prusse et à la Russie de l'occupation de Francfort et de Cracovie, qui était aussi une question terririale comme celle d'Ancòne. »

Après avoir rappelé les traités de 1831, que les uns voulaient déchirer et jeter au vent, les autres exécuter dans toute leur rigueur, M. de Broglie exprimait l'opinion qu'il était insensé d'armer la France, d'exciter toutes les passions démagogiques et d'ébranler tous les trônes, pour reconquérir la Belgique et recouvrer la rive gauche du Rhin, la Savoie et le comté de Nice; mais il faisait observer que pour un peuple, il fallait distinguer entre le droit et l'obligation d'user de ce droit; qu'un gouvernement loyal n'entreprenait pas la guerre sans un motif légitime, sans un intérêt suffisant et une chance raisonnable de succès. La politique consiste à savoir proportionner les moyens au but, et les sacrifices aux avantages.

L'ancien ministre des affaires étrangères finissait ce long et remarquable plaidoyer, qui avait excité un vif intérêt dans toute la Chambre, en disant: «que les gouvernements devaient être loyaux observateurs de leur parole; mais dupes, jamais. Or, à son avis, c'était être quelque chose de plus que loyal, de se croire tenus envers les autres à des considérations auxquelles ils ne s'estimaient tenus envers nous ; de recevoir de leur part, sous formes d'actes ou d'arguments, une monnaie qu'ils nous refusaient ensuite, lorsque nous la leur offrions; c'était être quelque chose de plus que loyal, de se dégarnir les mains autre

préoccupait bien moins que la politique bien comprise de son pays. Pouvait-on d'ailleurs faire souscrire des conventions au Saint-Siége, pour ménager à la France la possibilite d'un retour? Tel n'était pas l'avis de M. le comte Molé; ca c'était encore porter atteinte à l'indépendance du SaintSiége qui, assurément, aurait résisté. Au reste, des démarches avaient été faites, il devait le dire, et elles avaient été repoussées par le pontife; seulement la France avait garde dans les négociations la dignité d'une puissante alliée.

M. Villemain soutint de nouveau que l'opinion avait été blessée par l'abandon d'Ancône. A voir la marche des af faires, il semblait que l'on plaçait la politique sur une espèce de fatalisme et qu'un ministère n'eût désormais qu'à exécuter les injonctions des traités antérieurs, sans avoir d'avis à prendre ni de responsabilité à subir. Indépendamment des diverses conventions, le fait capital pour la France, c'était notre présence à Ancône; et, avant le ministère du 15 avril, personne n'avait voulu se charger de l'évacuation de cette place; l'abandon d'Ancône était une concession fâcheuse faite à l'Autriche. Il n'était pas d'une sage et bonne politique de s'exposer à la nécessité de demander aux Chambres cent mille hommes et cent millions, comme le disait M. le président du Conseil, dans le cas où l'Autriche rentrerait dans la Romagne. L'orateur rappelait en outre le sacrifice du Luxembourg et du Limbourg qui s'accomplissait; l'abandon de la plus grande partie de la dette imposée à la république d'Haïti ; puis l'affaire d'Alger où, par un traité défavorable, l'on avait borné nos possessions d'une manière dangereuse pour leur durée ; ensuite l'on avait tout concilié en laissant tout échapper de nos mains.

La discussion redoublait de vivacité: M. le comte Molé reparut à la tribune, pour se défendre de plusieurs accusations; il persistait à soutenir que l'occupation d'An

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