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parer à temps d'une administration ou trop faible ou trop passionnée pour remplir sa mission, avaient laissé s'aggraver des situations qu'il était facile de rectifier à leur origine. Convenait-il encore à cette majorité, dans l'intérêt du pays, de seconder une administration évidemment incapable de présider à ses destinées ?

A M. Passy, dont le discours avait excité les acclamations des extrémités, et de fréquentes interruptions des centres, succéda M. Roul.

Dans son opinion, les hommes éminents, placés à la tête de la coalition, avaient déserté leurs principes; leur renommée en souffrait aussi bien que l'État, dont l'honneur et la force étaient fondés sur la sagesse de ses grands citoyens. N'était-il pas déplorable de voir ces mêmes hommes feindre des tendances qui n'existaient pas, et accuser dans le seul but de condamner? Ce désappointement de la foi polilique était mille fois plus redoutable que l'émeute sur la place publique, parce que celle-ci concentre et excite le courage des bons citoyens, tandis que l'autre les divise, émousse leur force morale, et tue leur patriotisme. Ce que les conjurés voulaient, avant tout, c'était le renversement du ministère. Ce but était bien plus manifeste dans le projet d'Adresse soumis à la Chambre, que dans l'Adresse des 221. L'orateur en tirait cette conséquence inévitable, que ce projet d'Adresse frappait une autorité au-dessus de celle des ministres ; car il renfermait une injonction qui n'était motivée ni par l'opinion du pays, ni par l'état des choses.

Dans un plaidoyer fort étendu, M. Billaut examinait avec beaucoup de clarté les reproches dirigés contre le ministère; il ne pouvait croire qu'il n'y eût au fond de pareils débats, que des questions de personnes. Comment se refaser à reconnaître le peu de confiance inspirée par le Cabinet, lorsque M. Dupin, lui-même, qui l'avait long

temps déclaré insuffisant, le regardait aujourd'hui comme impossible? Toutes les lois de rigueur, présentées par le ministère, n'avaient-elles pas été repoussées par la majorité, les lois d'utilité publique, ajournées ou péniblement débattues? Enfin, ce gouvernement dont personne n'avait oublié l'origine, n'était-il pas sous le poids d'un doute déplorable? Non, en aucun point, mais surtout en ce qui concernait la politique extérieure, la marche du ministère ne ressemblait à celle du Cabinet présidé par Casimir-Périer. En présence de l'affaiblissement du pouvoir de la couronne et du pays, menacés par l'impuissance de l'administration, M. Billaut votait pour l'Adresse.

M. Martin (du Nord) vint rendre justice à la coalition, en reconnaissant qu'elle avait pour but non pas seulement un changement de ministère, mais encore un changement de système.

Cette concession faite, le ministre des travaux publics se plaça sur le terrain de la défense: le reproche que l'on faisait au Cabinet de n'ètre pas parlementaire, était vague et bannal, et les accusations de servilité et de corruption, sans fondement; au surplus, le Cabinet pouvait se glorifier de tous ses actes, car ils avaient tourné à l'utilité publique, depuis l'amnistie jusqu'à la conclusion des différents avec Haïti. Cependant, les ministres ne voulaient pas garder le pouvoir, malgré la majorité, et ils étaient prêts à se retirer devant un projet d'Adresse hostile, s'il était accepté par la Chambre.

Du reste, l'orateur voyait quelque chose d'effrayant dans cette alliance des opinions les plus diverses, contre le ministère du 15 avril; alliance qui ne pouvait porter que des fruits amers pour la France et pour le pays.

M. Duvergier de Hauranne, dans une réplique savante et étudiée, mais plusieurs fois interrompue par des mou

vements divers, exprimait son opinion sur les principes du gouvernement représentatif, dont il voulait la réalité. Le vice fondamental de la situation, était, à ses yeux, le manque de confiance de la Chambre dans la politique des ministres. Le refroidissement de la Suisse et de la Belgique, et l'attitude de l'Angleterre envers la France, donnaient de justes sujets de craintes, qu'il fallait attribuer à la conduite irrésolue des hommes du 15 avril. A l'intérieur, le ministère était faible, cherchant son point d'appui dans les intérêts privés ; les inconvénients qui naissaient de sa situation peu parlementaire, devaient avoir pour résultats de fausser les règles les plus élémentaires du gouvernement représentatif, et d'affaiblir le pouvoir en compromettant la couronne. Comment pouvait-on prétendre que le Cabinet actuel suivit la même politique que ceux du 13 mars et du 11 octobre ?

Est-ce une seule et même politique, s'écriait l'orateur, que de former l'alliance des états constitutionnels ou de la dissoudre; que de protéger l'indépendance des petits états voisins, ou de la menacer; que de prendre Ancóne ou de l'évacuer? Est-ce une seule et même politique que d'élever et de fortifier le pouvoir de la Chambre ou de l'abaisser et de l'affaiblir; que de gouverner par les convictions et à l'aide des forces parlementaires, ou en dehors de ces forces et par les intérets? Le 13 mars et le 11 octobre, cela est vrai, voulaient, comme le 15 avril, l'ordre et la paix, mais non la paix sans dignité, non l'ordre sans moralité. Ce que les amis du 13 mars et du 11 octobre peuvent reprocher au 15 avril, c'est, tout en conservant la lettre morte du programme de ses prédécesseurs, d'en avoir répudié l'esprit ; c'est de s'être emparés, dans ce programme, de deux ou trois mots sans les comprendre, et d'avoir cru que cela suffisait.

Je prie d'ailleurs ceux qui prétendent que rien n'est changé dans la politique ministérielle, de vouloir bien comparer l'attitude des ministres du 13 mars et du 11 octobre devant la Chambre, et celle des ministres du 15 avril. Loin de se réfugier alors derrière l'inviolabilité royale, on lui servait de bouclier.

N'a-t-on pas dit que notre adresse était dirigée plus haut que le ministère? C'est bien là se mettre à l'abri derrière l'inviolabilité royale. . Loin de refuser à la Chambre le droit d'exprimer ses griefs en termes respectueux et de faire connaître les conditions de son concours, on ly engageait. Loin de s'indigner contre une commission qui ose dire que le trône est fondé sur la toute-puissance du vœu national, on le

disait soi-même. Si, à cette époque, une adresse semblable à celle que nous discutons eût été proposée, on l'aurait combattue, sans doute; mais comme hostile au ministère, non comme hostile à la royauté.»

A mesure qu'il avançait dans la discussion, M. Duvergier de Hauranne devenait plus pressant, plus incisif dans ses arguments. Par une attaque directe contre M. le comte Molé, il lui reprochait d'avoir tenté à diverses reprises de modifier le ministère au préjudice de quelques-uns de ses collègues. Le chef de ce ministère savait appliquer à propos les doctrines absolues qu'il avait professées dans sa jeunesse, et se tenait toujours prêt à prendre, du jour au lendemain, le mot d'ordre du vainqueur, et à abjurer toutes ses opinions. Il fallait, suivant l'orateur, que le Cabinet vécût ou mourùt tout entier, et que la Chambre prît une résolution franche et décisive; s'il combattait le ministère, c'est que ce ministère était faible et inhabile; qu'il ne faisait pas respecter au dehors la dignité du trône, et qu'il ne le couvrait pas au dedans de sa responsabilité.

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Les débats prenaient une haute importance, et la plus vive agitation régnait dans la Chambre. De fréquentes interruptions avaient troublé l'orateur, et se prolongèrent pendant une courte protestation du président du Conseil contre les accusations véhémentes de M. Duvergier de Hauranne.

M. Odillon-Barrot vint clore la discussion générale. Selon lui, des propos irritants avaient été échangés de part et d'autre, sans profit pour le pays; le pire de la situation. pour le ministère, était dans son origine; le mal résidait, non dans les personnes, mais dans le fond des choses, et il était toujours dangereux de violer la première des conditions du gouvernement représentatif. Le Cabinet semblait vouloir renier son passé et se présenter comme un homme nouveau; pourtant, son passé politique

pesait sur lui de tout son poids, et d'une manière inévitable.

L'amnistie était une question de vie ou de mort, issue du rejet des lois de disjonction et d'apanage; la dissolution de la Chambre dénotait, de la part du Cabinet, l'intelligence des dispositions du parlement; mais elle n'avait pas répondu à son attente, et la majorité ne lui revenait pas avec la nouvelle Chambre. Enfin, le remède efficace à tous les maux signalés par les précédents orateurs, serait de replacer le pouvoir parlementaire dans les conditions du gouvernement représentatif, et d'obéir aux avertissements solennels de la Chambre et du pays. Quoiqu'il parût dési rable à l'orateur qu'aucun amendement ne fût présenté à l'Adresse, il en réclamait cependant un en faveur de notre brave marine, qui était venue jeter un reflet de gloire sur ces tristes débats.

La Chambre ayant été consultée, prononça la clôture. 9 Janvier. M. Garnier-Pagès, inscrit pour parler sur le paragraphe relatif à la prospérité de la France et à la politique du ministère, protesta, au nom de son parti, contre l'amnistie que les paroles de M. Barrot semblaient accorder au passé du ministère; pour lui, il n'hésitait pas à voter l'Adresse qui condamnait le passé et le présent. S'il s'unissait, en ce moment, à MM. Thiers et Guizot, ce n'était pas assurément pour faire triompher leur politique; seulement, cette lutte entre les personnes et les principes, le confirmait assez dans sa conviction qu'une réforme électorale était nécessaire pour assurer à la Chambre sa dignité, à la France, la liberté ; voilà pourquoi il s'associait au vote de la coalition.

Le ministre de la justice répondit à ce discours, par cette courte observation : que les électeurs n'étaient point les seuls et vrais représentants du pays.

M. Barthe n'essaya pas de suivre l'honorable préopinant dans ses développements: il se contenta d'envisager les

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