Images de page
PDF
ePub

Dans son opinion, il n'y avait pas eu de traité entre la Belgique et le roi des Pays-Bas, mais bien entre les Belges et les cinq puissances; de plus, le traité des 24 articles n'ayant jamais été exécuté par les cinq puissances, ne liait réellement personne; puisqu'il n'avait plus à discuter sur le droit, il y aurait déloyauté à exciter les Belges, sans avoir les moyens certains de les aider. On se trouvait en présence de deux termes extrêmes : la conférence, qui ne voulait rien céder, et les Belges, qui ne voulaient rien céder non plus. M. Thiers prétendait donc qu'au point où cette affaire en était venue, la commission avait dû proposer à la Chambre de laisser au gouvernement seul la charge et la responsabilité d'une telle résolution; il rappelait que le ministère du 11 octobre était allé à Anvers, et avait pris sur lui cette importante décision; comme il ne s'agissait pas d'une négociation terminée, mais d'une Adresse qui devait avoir en vue l'avenir, la Chambre ne pouvait exprimer une confiance qu'elle n'avait pas et qu'elle ne pouvait pas avoir.

M. le président du Conseil, toujours sur la brèche, parla pour l'amendement. La seule différence qu'il voyait entre l'opinion de M. Thiers et la sienne, c'est qu'il regardait, lui, le traité des 24 articles comme obligatoire, sans renoncer pour cela à obtenir des modifications, tandis que M. Thiers voulait qu'on cherchât les moyens d'en ajourner l'exécution ou d'y échapper complètement. D'ailleurs, disait le ministre, l'intention de l'honorable préopinant avait été, avant tout, de condamner la conduite du Cabinet et d'en revenir à l'accusation d'insuffisance et d'inhabileté. M. le comte Molé repoussait donc un pareil reproche et souhaitait que l'époque fût venue de dérouler aux yeux de la Chambre et du pays le tableau de ce qu'il avait fait pour la Belgique; c'était en 1832 qu'il aurait fallu plaider la cause belge. Depuis lors, la prise d'Anvers était venue se placer entre les deux peuples, et cependant le général

!

Chassé n'avait évacué la citadelle qu'en vertu des 24 articles. Il était à désirer que l'on entrât dans la réalité des affaires et que l'on sût distinguer ce qui était possible d'avec ce qui était impraticable, sous peine de se compromettre et d'être obligé de reculer ensuite ou de tirer l'épée sans l'avoir prévu. Le président du Conseil ne craignait donc pas d'affirmer qu'il avait fait plus que l'honorable préopinant n'eût pu faire lui-même, ajoutant que jamais il n'avait hésité dans cette question qui portait dans ses flancs les éventualités les plus menaçantes, non seulement pour la Belgique, mais pour l'Europe.

Après cette orageuse discussion, l'amendement de M. Lanyer fut adopté au scrutin par 216 voix contre 219 sur 428 votants.

12 Janvier.- Un incident singulier, tout-à-fait inattendu marqua le commencement de la séance. M. Dupin annonça que le sieur Prédaval demandait à la Chambre la permission de faire citer en police correctionnelle un de ses membres. M. Mauguin, dont il était ici question, apprit à la Chambre qu'il s'agissait d'un brevet d'invention vendu par le sieur Prédaval à des conditions que ce dernier n'avait pas remplies, et d'une assignation devant les juges correctionnels, dirigée par cet individu contre sept personnes au nombre desquels lui-même se trouvait. Les explications données, la demande d'autorisation de poursuites fut renvoyée dans les bureaux, et le 23 janvier, après une délibération à ce sujet, la Chambre consultée refusa l'autorisation.

L'ordre du jour appelait ensuite la discussion du quatrième paragraphe. Un amendement de MM. Debelleyme, La Pinsonnière et de Jussieu, relatif aux affaires d'Ancône, fut développé au nom de ses deux collègues par ce dernier qui loua, sans restriction, la conduite du ministère dans l'évacuation d'Ancône, et ne pensait pas qu'il y eût

justice à prétendre que le Cabinet n'avait pas été gardien fidèle de nos alliances. M. de Jussieu proposait de rédiger l'amendement dans les termes suivants :

« Vous nous annoncez, Sire, que les troupes autrichiennes ont quitté la Romagne, et que les nôtres sont sorties d'Ancône. La France, après avoir hâté par sa présence le terme de l'intervention étrangère dans les Etats du Saint-Siége, dont l'indépendance nous intéresse à un si haut degré, a donné un nouveau témoignage de son respect pour les traités et de la loyauté qui convient à une grande nation.>>

M. Duchâtel ne jugea pas de cette manière l'évacuation d'Ancône, faite sans garantie, sans condition; ce qui était la faute la plus grave: il eût été facile d'ailleurs de l'éviter ; il ne fallait pour cela que se conformer aux traditions de Casimir-Périer, qui avait voulu faire régner en Italie l'influence française, et objecter, comme lui, aux puissances, la violation de la nationalité polonaise. Non seulement la politique qui abandonnait Ancône portait atteinte à la dignité de la France, mais elle était aussi un danger pour le maintien de la paix; c'est ce qui déterminait M. Duchâtel à appuyer le projet d'Adresse.

M. Jacques Lefebvre, au contraire, insista sur la sainteté des traités, et soutint qu'aux termes de celui de 1851, le Saint-Siége avait eu le droit de réclamer la retraite simultanée des troupes françaises et autrichiennes; et comment la Chambre pouvait-elle blâmer le gouvernement d'avoir exécuté scrupuleusement ses engagements?

Aux yeux du maréchal Clausel, l'évacuation d'Ancône, sans garanties, était une grande imprudence. Cette place était toute l'Italie, plus que l'Italie; c'était en un mot un poste de guerre contre nous, et l'honorable député augurait mal des suites de cet abandon.

Le général Lamy ne partageait point l'opinion du maréchal: Ancône, disait-il, ne peut pas être défendue. Dans une aussi faible position, une garnison de 1,500

hommes lutterait difficilement contre 80,000 Autrichiens. La prudence, aussi bien que l'honneur et l'obéissance aux traités, nous conseillaient donc le parti que l'on a pris. M. Larabit regrettait cet abandon prématuré d'Ancône. En effet, la conséquence de l'occupation, c'était la promulgation d'institutions libérales, destinées à régir la Romagne. Quant à la position militaire d'Ancône, il fallait s'en rapporter à l'opinion de Napoléon, mentionnée dans les mémoires d'O'meara. Suivant ce grand capitaine, Ancône était la clef de la haute Italie, et pouvait rendre de grands services dans le cas d'une guerre en Italie avec l'Autriche. L'orateur répondait ensuite au général Lamy que nos 1,500 hommes de garnison étaient pour nous un moyen d'envoyer en Italie 10,000 ou 50,000 hommes, et d'y contrebalancer l'influence autrichienne.

M. le général Bugeaud, sans appuyer ni combattre l'amendement, ne prenait la parole que pour constater que nous avions toujours en Italie cet ascendant moral que nous donnaient une population de 55 millions d'hommes et notre position sur la Méditerranée.

M. Lacrosse blâmait l'abandon; Ancône, disait-il, est un poste militaire que l'on pouvait aisément fortifier, et qui devait servir utilement notre marine et nos transactions commerciales.

M. Bertin de Vaux, qui avait fait partie de l'expédition d'Ancône, niait son utilité comme point stratégique et comme station maritime. En effet, on ne pouvait de là couper les communications de l'ennemi; le port d'Ancône n'avait pu contenir plus de deux frégates, et le manque d'eau avait empêché le vaisseau le Suffren d'y mouiller.

M. Thiers, en sa qualité d'ancien président du Conseil, déclarait avoir recueilli les renseignements les plus précis sur la situation de la place. Après cet examen, il s'était rassuré sur le sort de la garnison; et rappelait à ce sujet une lettre de Bonaparte, alors général en chef de l'ar

1

mée d'Italie (1798), dans laquelle il était dit, qu'avec 1,500 hommes et 2 ou 3,000 liv. pour fortifier un monticule voisin, cette ville soutiendrait facilement un trèslong siége. Les fortifications de la lunette Saint-Stéphano, et les grands travaux établis par Bonaparte, avaient été détruits, ajoutait M. Thiers; mais la lunette subsistait et il était possible d'y soutenir encore un siége de 45 jours au moins, en cas d'une brusque attaque. En 1830, il y avait 58 pièces de canons, dont 18 en bon état, de sorte que la population se joignant aux 1,500 hommes de la garnison française, la place pouvait fournir la plus vigoureuse résistance.

M. le président du Conseil, ministre des affaires étrangères, après quelques détails de M. Bertin de Vaux sur le matériel de la citadelle, reprit la parole et fit comme dans l'autre Chambre, un récit très-circonstancié des troubles intérieurs de l'Italie, de l'appel du Saint-Siége aux troupes autrichiennes et de l'occupation brusque, mais nécessaire d'Ancône, par Casimir-Périer, qui n'entendait pas que l'on portât atteinte à l'équilibre de l'Europe, dans les Légations. M. Molé, à l'appui de ses opinions, crut devoir communiquer à la Chambre les diverses dépêches relatives à cette affaire, et notamment celle de M. Thiers, du 14 mars 1856, adressée à notre embassadeur à Rome, dans laquelle on lisait que la retraite des Autrichiens ne devait pas entrainer nécessairement celle des troupes françaises. Il en concluait que le chef du Cabinet du 22 février était le premier qui eût entendu dans ce sens l'occupation d'Ancône; enfin, d'après les notes de Casimir-Périer, n'était-il pas évident que l'illustre ministre avait pris l'engagement, à la face de l'Europe, de se retirer le jour où les troupes autrichiennes se retireraient? M. le président du Conseil avait voulu rester fidèle à cette noble et loyale politique.

M. Guizot, sur le refus de M. le comte Molé, de com

« PrécédentContinuer »