muniquer à la Chambre la copie des documents dont il venait d'être parlé, demandait qu'il n'y eût aucune publicité, si elle ne devait pas être complète; sans cela, toute discussion devenait impossible. De son côté, M. Thiers signala les répugnances qu'il avait eues à vaincre pour obtenir communication d'une dépêche qui émanait de lui, et fit remarquer que l'on avait peutêtre pas observé à l'égard de la commission, les formes convenables. M. Baude, qui n'admettait pas l'interprétration que donnait M. Thiers du traité conclu avec le Saint-Siége, fit ressortir au contraire que les institutions imposées par l'étranger étaient toujours funestes ou éphémères; aussi se rangeait-il du côté du ministère, et votait pour l'amendement. L'honorable M. Guizot, appréciant la valeur des arguments de M. le président du Conseil, la tradition des Cabinets antérieurs, et l'étendue de l'engagement que la France avait contracté, induisait des paroles mêmes de Casimir-Périer et de ses successeurs, que les ministères qui avaient précédé celui du 15 avril n'avaient jamais eu la pensée d'évacuer Ancône, au moins sans garanties pour l'avenir ; il établissait que notre engagement même laissait entier le droit de prendre les précautions nécessaires, et de rendre connexes et dépendantes l'évacuation et les institutions libérales à donner à la Romagne, promises d'ailleurs par le Saint-Siége, dans son propre intérêt; l'orateur, préoccupé aussi d'un plus grand intérêt, celui de l'Europe, ajoutait: Messieurs, l'Europe se croit, se sent toujours aux prises avec des révolutions possibles. Il ne faut pas qu'elle se trompe; pour les prévenir, pour les maîtriser, elle a besoin du concours de la France, de l'influence de la France, de la France sage en même temps que libre, monarchique en même temps que constitutionnelle; cette influence est nécessaire au repos de l'Europe. Savez-vous quel était le résultat de la présence de ces quelques soldats français et de ces quelques pièces de canon sur ce point si re culé, dites-vous, de l'Italie ? C'est que dans toute l'Italie les esprits sensés, éclairés, les bons esprits avaient une satisfaction et une espérance; les mauvais esprits, au contraire, les esprits désordonnés se sentaient contenus, contenus non par une force absolument ennemie, mais par la même force qui donnait satisfaction et espérance aux bons esprits. Cela était, Messieurs, pour nous un grand honneur, et pour l'Europe un bien immense. Je ne sais si l'on a agi prudemment en se privant de ce concours. Messieurs, à chacun ses œuvres; à M. Casimir-Périer l'occupation d'Aucône, aux ministres qui lui ont succédé, le maintien de cette position, à vous, l'évacuation. » Conserver Ancône, c'était dans l'opinion d'un autre député (M. Thil), violer les traités et tout ce qu'il y a de plus respectable parmi les hommes et les nations, et il louait le Cabinet d'avoir exécuté un traité qu'il n'avait pas fait, mais qui était pour lui obligatoire. M. Chaix-d'Est-Ange prit part à la discussion; il était évident pour lui que la politique suivie par la France depuis Richelieu avait été d'avoir toujours en Italie une porte ouverte pour s'opposer à l'agrandissement de la maison d'Autriche au préjudice de la péninsule et de l'équilibre européen constitué par les traités de 1815. C'était donc dans cette vue que, lors du mouvement de 1831, le gouvernement français avait demandé au Saint-Siége des institutions plus libérales, afin d'ôter ainsi à l'Autriche tout prétexte de revenir dans les Légations pacifiées. Or, les libertés promises n'ayant pas été accordées, Casimir-Périer avait occupé et dut occuper Ancône. Il est vrai, la fidélité aux traités devait être réciproque; toutefois, elle ne devait pas consister seulement à exécuter les clauses contraires à nos intérêts, mais encore celles qui lui étaient favorables. N'avions-nous pas dès-lors le droit de demander que les institutions promises à l'Italie lui fussent octroyées d'après la convention obligatoire de 1832? En outre, établir un débat sans le faire reposer sur des pièces, des documents quelconques, ou plutôt combattre avec des pièces d'un côté, et avec rien de l'autre, cela semblait à l'orateur la violation d'un prin cipe, et une atteinte grave à l'équité; à son avis, le devoir d'un président du Conseil était de déposer sur le bureau de la Chambre toutes les pièces et notes diplomatiqnes d'une affaire une fois terminée; enfin, la conservation d'Ancône jusqu'à l'évacuation de la part de l'Autriche, et jusqu'à la concession des libertés promises aux Légations par le Saint-Siége, telle était, selon M. Chaix-d'Est-Ange, l'exécution des traités sainement entendus. M. Jacques Lefebvre inférait du crédit de six mois seulement porté au budget de 1834, que le Cabinet du 11 octobre ne considérait pas comme devant être d'une longue durée l'occupation d'Ancône. Le motif des institutions libérales à donner, ne lui paraissait pas acceptable; car, si nous voulions rester éternellement à Ancône, il dépendait de nous de déclarer ces institutions insuffisantes; l'orateur concluait de là, qu'on pourrait trouver d'éternels prétextes à éluder les traités, et les engagements diplomatiques seraient bientôt sans effet. M. Thiers revint sur la question, et en parcourant les phases, depuis le commencement, il demandait à la Chambre la permission de justifier sa dépêche, que M. le président du Conseil avait lue à la tribune. Le but de cette dépêche, assurait l'ancien ministre des affaires étrangères, était de faire savoir à la cour de Rome, par notre ambassadeur, que la sortie des Autrichiens n'entraînait pas nécessairement celle de nos troupes; que leur retraite était liée à la concession des libertés promises et attendues. Jamais, continuait M. Thiers on eût osé demander l'évacuation d'Ancône à un Cabinet qui aurait eu quelque fermeté ; l'intérêt et la dignité de la France avaient été compromis, et ce triste résultat ne se fût pas produit, st des négociations préalables avaient eu lieu. Le ministère du 15 avril avait donc perdu, et peut-être sans retour, l'influence que notre position à Ancône nous assurait en Italie. M. le comte Molé, faisant face à toutes les attaques, de vue diplomatique, M. le marquis de Lagrange, loin d'accuser le Cabinet d'avoir blessé la Suisse, reprochait à celle-ci d'avoir offensé la France, et d'avoir abusé du droit d'asyle pour tramer contre nous de perfides machinations. La Suisse est, dit-on, une barrière; mais les Russes, en 1789, les Autrichiens, en 1813 et 1814, la franchirent sans obstacle, cette prétendue barrière, pour envahir ensuite les frontières de la France. Dans la négociation entamée au sujet de Louis Napoléon, peut-être avait-on commencé mal à propos et fini trop vite, mais dans tous les cas l'honorable membre ne voulait pas qu'un seul mot d'improbation inséré dans l'Adresse, vînt sanctionner la conduite de la Suisse envers nous; car elle avait été déloyale. Il votait donc la suppression du paragraphe. Ce n'était pas la demande d'expulsion de Louis Napoléon, mais la forme de cette demande, que désapprouvait M. Hippolyte Passy, et qui, suivant lui, avait amené toutes les difficultés de la situation. Quant à la constitution helvétique, l'orateur s'étonnait de l'attaque dont elle avait été l'objet. Dans cet état fédératif, chaque canton avait sa souveraineté : les diètes n'étaient pas des assemblées législatives, mais des conseils diplomatiques, déléguant un plénipotentiaire par chaque canton, obligé de demander à ses commettants des instructions nouvelles à chaque incident; de plus, il n'y avait pas de citoyens suisses, mais des citoyens de Berne, de Genève, etc. Or, que fallait-il faire vis-à-vis d'une telle nation? Il fallait demander d'abord à la Suisse ce qu'était Louis Napoléon. Cette question, adressée à la diète, eut été renvoyée au canton de Thurgovie, et, selon la réponse de ce canton, la France aurait exigé ouvertement ou l'expulsion, ou des garanties, que la loyauté suisse ne pouvait nous refuser; enfin, on n'avait pas eu dans cette et mesure l'assentiment de l'Angleterre, notre alliée. En Suisse, on avait encouragé le parti hostile à la France, abattu, par une démarche imprudente, le parti français. Dans cet état de choses, M. Passy désirait, de la part de la Chambre, quelques paroles de sympathie, afin de ranimer, dans la république helvétique, les sentiments de bienveillance qu'il n'y croyait pas éteints; telle était aussi la pensée de la commission. M. Baude, dont l'opinion n'était pas celle du préopinant, déclarait hautement que voter pour le paragraphe, c'était dire que les torts étaient du côté du gouvernement francais; que, jamais en face de l'étranger, dans aucun état représentatif, un blâme n'avait été dirigé contre le gouvernement national; que les départements de l'Est, du moment où l'honneur du drapeau avait été engagé, avaient manifesté des sentiments patriotiques qu'il souhaitait de voir dans la Chambre. M. Dufaure soutint le contraire; on avait incontestablement le droit d'apprécier et de juger les actes du pouvoir à l'intérieur et à l'extérieur; surtout, d'exprimer ce vœu si modéré, contenu dans la phrase du projet d'Adresse: qu'à l'avenir les liens d'amitié et d'alliance qui existaient entre les deux pays ne fussent pas rompus. L'honorable membre était convaincu qu'aucune intrigue n'avait été ourdie dans le château d'Arenemberg, depuis le retour de Louis Napoléon. D'ailleurs, le gouvernement n'avait-il pas eu tort de grandir outre mesure ce jeune prince, et de lui donner ainsi toute l'importance d'un prétendant? N'était-il pas aussi à déplorer que nous eussions, par nos démonstrations hostiles, par la réunion de nos troupes sur les frontières suisses, provoqué les cantons à prendre à leur tour les armes, les armes contre la France?... Le gouvernement helvétique n'était pas, comme on l'avait dit, l'anarchie organiAnn. hist. pour 1839. 5 |