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LITTÉRAIRE.

Des Monumens

DU

PREMIER AGE DU CHRISTIANISME,

ENVISAGÉS SOUS le rapport des traits de ressEMBLANCE
QU'ILS PEUVENT Avoir eus avec ceUX DU PAGANISME '.

Messieurs, j'avais été forcé, l'année dernière, par l'état de ma santé, gravement altérée à la suite de malheurs que vous connaissez en partie, et qui ne sont aussi réparés qu'en partie, d'interrompre le cours des leçons que j'avais entreprises, et qui avaient pour objet la connaissance des principaux monumens funéraires de l'antiquité profane et sacrée. Je vais reprendre aujourd'hui ce sujet intéressant, sinon précisément au point où je l'avais laissé, du moins dans l'une des questions les plus vastes et les plus curieuses qui s'y rattachent. Vous n'avez peut-être pas oublié que j'avais annoncé l'intention de terminer l'examen des tombeaux antiques par la description des catacombes chrétiennes, afin de vous montrer,

Discours prononcé à l'ouverture du Cours d'Archéologie à la Bibliothèque du roi, le 7 mai 1833.

par la comparaison des uns et des autres, ce qu'il avait pu y avoir de commun entre deux systèmes de croyance et de civilisation si différens, et de vous faire connaître, de la manière la plus positive et la plus sûre, quel avait été le sort et quel avait été l'emploi d'une foule d'élémens de la civilisation antique, que le christianisme avait appropriés à son usage. C'est cette recherche que je me propose d'entreprendre avec assez de détails, pour que vous puissiez y trouver quelque instruction, et peut-être aussi quelque intérêt. L'objet de nos entretiens de cette année sera donc l'examen des monumens funéraires du premier âge du christianisme, envisagés principalement sous le rapport des traits de ressemblance qu'ils peuvent avoir eus avec les monumens analogues de l'antiquité profane; ou, pour exprimer différemment la même idée, mon intention est de vous faire connaître, par l'examen des monumens authentiques du christianisme primitif, tels qu'ils se retrouvent dans les catacombes de Rome, quels sont, en fait d'objets matériels, comme en fait d'idées morales, d'images symboliques de toute espèce, les emprunts que la société nouvelle fit au paganisme, en s'établissant sur ses ruines.

Ce seul énoncé suffit pour vous faire pressentir, Messieurs, l'importance et l'intérêt du sujet que je me suis proposé de traiter devant vous. Mais il ne rend que plus nécessaires les explications où je vais entrer, pour établir clairement et complétement un sujet si grave, qui touche à tant de questions de l'ordre le plus élevé, de même qu'à tant de susceptibilités de la nature la plus délicate, et dont l'intérêt archéologique s'accroît encore 1 Voyez la France Littéraire, tom. III, pag. 62-64, 1832.

de celui des considérations morales et philosophiques qui s'y rattachent.

Les monumens de la décadence romaine, considérés sous le seul rapport matériel, sous celui de l'art qui les produisit, n'offriraient sans doute, en général, que des objets peu dignes de notre attention, puisqu'ils ne nous présenteraient guère de modèles suffisamment dignes de notre imitation, si nous ne devions y voir autre chose que ces monumens eux-mêmes. Mais, à l'époque dont il s'agit, vous savez, Messieurs, qu'une révolution morale, la plus grande qui se soit jamais opérée dans le monde, s'accomplissait d'une manière plus ou moins active, plus ou moins patente, au sein d'une société travaillée de mille besoins, de mille passions différentes. La terre, jusqu'alors livrée tout entière aux illusions du polythéisme, et couverte de ses monumens, allait changer de face; une religion nouvelle se préparait à renverser tous les principes, à modifier toutes les formes de la civilisation; et, en attendant qu'elle pût démolir d'un seul coup l'édifice qu'elle voulait remplacer, elle le sapait dans ses fondemens, elle le détruisait pièce à pièce, et s'emparait de ces matériaux, restés sans objet ou sans emploi, suivant qu'elle pouvait les convertir à son usage et les détourner à son profit. Or, c'est sans contredit, Messieurs, un spectacle digne de tout l'intérêt d'un esprit philosophique, que celui de cette lutte de deux religions qui se combattent, de deux sociétés, dont l'une travaille incessamment à s'élever sur les ruines de l'autre, se renouvelle avec ses débris et se pare de ses dépouilles; et c'est précisément là le tableau, instructif et curieux à tant d'égards, que nous

offre l'archéologie romaine, dans sa dernière période, et à l'époque particulière que je viens d'indiquer.

J'ai dit l'archéologie, et ce n'est pas sans raison que j'insiste sur ce mot, qui rappelle à votre esprit, déjà familiarisé avec l'intelligence des monumens antiques, l'une des branches les plus fécondes de nos connaissances, celle qui n'eut peut-être jamais d'applications plus importantes, plus variées et plus sûres que dans ce cas-ci. En effet, pour quiconque ne connaît de la révolution morale produite par le christianisme que les monumens littéraires qu'elle a laissés, c'est-à-dire les annales de ses persécutions et de ses triomphes, les plaidoyers de ses docteurs et les apologies de ses martyrs, écrits éloquens, mais passionnés, fidèles, sans doute, et précisément par ce motif, que, dans un temps où tout est passion, la vérité même doit se montrer passionnée comme l'erreur; pour quiconque, je le répète, n'a consulté que les livres, j'ose dire qu'il ne connaît que la partie la moins intéressante, peut-être, du vaste sujet qu'il étudie. Une société qui se modifie, une civilisation qui se renouvelle, un monde tout entier qui se transforme, se composent d'une multitude d'élémens divers, qui ne sauraient se placer dans la pensée, ou sous la plume de l'écrivain. L'historien, proprement dit, ne tient compte que des événemens; le panégyriste et le détracteur, toujours plus ou moins dominés par les habitudes de la rhétorique, ne représentent que des opinions, opinions respectables, sans doute, quand elles sont couronnées par le martyre, puisqu'elles n'ont pu partir que d'une conviction profonde. Mais les faits mêmes, mais les élémens matériels de cette révo

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