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MADAME JOURDAIN.

Hélas! mon dieu! mon mari est devenu fou.

M. JOURDAIN, se relevant et s'en allant. Paix, insolente. Portez respect à monsieur le mamamouchi.

MADAME JOURDAIN, seule.

Où est-ce donc qu'il a perdu l'esprit? Courons l'empêcher de sortir. ( appercevant Dorimene et Dorante.) Ah! ah! voici justement le reste de notre écu. Je ne vois que chagrin de tous côtés.

SCENE II.

DORANTE, DORIMENE.

DORANTE.

Oui, madame, vous verrez la plus plaisante chose qu'on puisse voir; et je ne crois pas que dans tout le monde il soit possible de trouver encore un homme aussi fou que celui-là. Et puis, madame, il faut tâcher de servir l'amour de Cléonte, et d'appuyer toute sa mascarade. C'est un fort galant homme et qui mérite que l'on s'intéressé pour lui.

DORIMENE.

J'en fais beaucoup de cas, et il est digne d'une bonne fortune.

DORANT E.

Outre cela, nous avons ici, madame, un ballet qui nous revient, que nous ne devons pas laisser perdre; et il faut bien voir si mon idée pourra réussir.

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J'ai vu là des apprêts magnifiques; et ce sont des choses, Dorante, que je ne puis plus souffrir. Oui, je veux enfin vous empêcher vos profusions; et, pour rompre le cours à toutes les dépenses que je vous vois faire pour moi, j'ai résolu de me marier promptement

avec vous. C'en est le vrai secret ; et toutes ces choses finissent avec le mariage.

DORANTE.

Ah! madame, est-il possible que vous ayez pu prendre pour moi une si douce résolution!

DORIMENE.

Ce n'est que pour vous empêcher de vous ruiner; et, sans cela, je vois bien qu'avant qu'il fût peu vous n'auriez pas un sou. I

DORANTE.

Que j'ai d'obligation, madame, aux soins que vous avez de conserver mon bien ! Il est entièrement à vous, aussi-bien que mon cœur ; et vous en userez de la façon qu'il vous plaira.

DORIMENE.

J'userai bien de tous les deux. Mais, voici votre homme; la figure en est admirable.

SCENE HII.

M. JOURDAIN, DORIMENE, DORANTE.

DORANTE.

Monsieur, nous venons rendre hommage,

madame

et moi, à votre nouvelle dignité, et nous réjouir avec vous du mariage que vous faites de votre fille avec le fils du grand Turc.

M. JOURDAIN, après avoir fait les révérences à la turque.

Monsieur, je vous souhaite la force des serpents et la prudence des lions.

DORIMENE.

J'ai été bien aise d'être des premieres, monsieur, à venir vous féliciter du haut degré de gloire où vous êtes monté.

M. JOURDAIN.

Madame, je vous souhaite toute l'année votre ro

sier fleuri. Je vous suis infiniment obligé de prendre part aux honneurs qui m'arrivent; et j'ai beaucoup de joie de vous voir revenue ici, pour vous faire les très humbles excuses de l'extravagance de ma femme.

DORIMENE.

Cela n'est rien, j'excuse en elle un pareil mouvement; votre cœur lui doit être précieux, et il n'est pas étrange que la possession d'un homme comme vous puisse inspirer quelques alarmes.

M. JOURDAIN.

La possession de mon cœur est une chose qui vous est tout acquise.

DORANTE.

Vous voyez, madame, que monsieur Jourdain n'est pas de ces gens que les prospérités aveuglent, et qu'il sait, dans sa grandeur, connoître encore ses amis.

DORIMENE.

C'est la marque d'une ame tout-à-fait généreuse,

DORANTE.

Où est donc son altesse turque ? Nous voudrions bien, comme vos amis, lui rendre nos devoirs.

M. JOURDAIN.

Le voilà qui vient; et j'ai envoyé quérir ma fille pour lui donner la main.

SCENE IV.

M. JOURDAIN, DORIMENE, DORANTE;
CLÉONTE, habillé en Turc.

DORANTE, à Cléonte.

Monsieur, nous venons faire la révérence à votre altesse comme amis de monsieur votre beau-pere, et l'assurer, avec respect, de nos très humbles services.

M. JOURDAIN.

Où est le truchement, pour lui dire qui vous êtes, et lui faire entendre ce que vous dites? Vous ver

rez qu'il vous répondra, et il parle turc à merveille. Hola! où diantre est-il allé? ( à Cléonte.) Strouf, strif, strof, straf: monsieur est un grande ségnore, grande ségnore, grande ségnore; et madame, une granda dama, granda dama. ( voyant qu'il ne se fait point entendre.) Ah! (à Cléonte, montrant Dorante.) Monsieur, lui mamamouchi françois; et madame, mamamouchi françoise. Je ne puis pas parler plus clairement. Bon, voici l'interprete.

SCENE V.

M. JOURDAIN, DORIMENE, DORANTE; CLÉONTE, habillé en Turc; COVIELLE déguisé.

M. JOURDAIN.

Où allez-vous donc ? nous ne saurions rien dire sans vous. (montrant Cléonte.) Dites-lui un peu que monsieur et madame sont des personnes de grande qualité, qui lui viennent faire la révérence, comme mes amis, et l'assurer de leurs services. ( à Dorimene et à Dorante.) Vous allez voir comme il va répondre.

COVIELLE.

Alabala crociam acci boram alabamen.

GLÉONTE.

Cataléqui tubal ourin soter amalouchan!

M. JOURDAIN, à Dorimene et à Dorante. Voyez-vous ?

COVIELLE.

Il dit: Que la pluie des prospérités arrose en tout temps le jardin de votre famille.

M. JOURDAIN.

Je vous l'avois bien dit qu'il parle turc..

DORANTE.

Cela est admirable.

SCENE V I.

LUCILE, CLÉONTE, M. JOURDAIN, DORIMENE, DORANTE, CO VIELLE.

M. JOURDAIN.

Venez, ma fille, approchez-vous, et venez donner la main à monsieur, qui vous fait l'honneur de vous demander en mariage.

LUCILE.

Comment, mon pere! comme vous voilà fait ! Estce une comédie que vous jouez ?

Non, non,

M. JOURDAIN.

ce n'est pas une comédie; c'est une affaire fort sérieuse, et la plus pleine d'honneur pour vous qui se peut souhaiter. (montrant Cléonte.) Voilà le mari que je vous donne.

A moi, mon pere?

LUCILE.

M. JOURDAIN.

Oui, à vous. Allons, touchez-lui dans la main, et rendez grace au ciel de votre bonheur.

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LUCILE.

Je ne veux point me marier.

M. JOURDAIN.

Je le veux, moi, qui suis votre pere.

Je n'en ferai rien.

LUCILE.

M. JOURDAIN.

Ah! que de bruit! Allons, vous dis-je; çà, votre

main.

LUCILE.

Non, mon pere, je vous l'ai dit, il n'est point de pouvoir qui me puisse obliger à prendre un autre mari que Cléonte; et je me résoudrai plutôt à toutes

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