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tous trois bien impertinents de parler devant moi avec cette arrogance, et de donner impudemment le nom de science à des choses que l'on ne doit pas même honorer du nom d'art, et qui ne peuvent être comprises que sous le nom de métier misérable de gladiateur, de chanteur, et de baladin.

LE MAÎTRE D'ARMES.

Allez, philosophe de chien !

LE MAITRE DE MUSIQUE.

Allez, belître de pédant!

LE MAÎTRE À DANSER.

Allez, cuistre fieffé!

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Comment, marauds que vous êtes!... (Le philo sophe se jette sur eux, et tous trois le chargent de coups.)

M. JOURDAIN.

Monsieur le philosophe!

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE.

Infâmes! coquins! insolents!

M. JOURDAIN.

Monsieur le philosophe!

LE MAÎTRE D'ARMES.

La peste de l'animal!

Messieurs!

M. JOURDAIN.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE.

Impudents!

M. JOURDAIN.

Monsieur le philosophe!

LE MAITRE À DANSER.

Diantre soit de l'âne bâté !

Messieurs!

M. JOURDAIN.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE.

Scélérats!

M. JOURDAIN.

Monsieur le philosophe!

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Au diable l'impertinent!

Messieurs!

M. JOURDAIN.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Frippons! gueux! traîtres! imposteurs!

M. JOURDAIN.

Monsieur le philosophe! Messieurs! Monsieur le philosophe! Messieurs! Monsieur le philosophe! (lls sortent en se battant.)

SCENE V.

M. JOURDAIN, UN LAQUAIS.

M. JOURDAIN.

Oh! battez-vous tant qu'il vous plaira, je n'y saurois que faire, et je n'irai pas gâter ma robe pour vous séparer. Je serois bien foa de m'aller fourrer parmi eux, pour recevoir quelque coup qui me feroit mal.

SCENE V I.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE, M. JOURDAIN, UN LAQUAIS.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE, raccommodant son collet.

Venons à notre leçon.

M. JOURDAIN.

Ah! monsieur, je suis fàché des coups qu'ils vous ont donnés.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Cela n'est rien. Un philosophe sait recevoir comme

il faut les choses; et je vais composer contre eux une satyre du style de Juvénal, qui les déchirera de la belle façon. Laissons cela. Que voulez-vous apprendre?

M. JOURDAIN.

Tout ce que je pourrai; car j'ai toutes les envies du monde d'être savant; et j'enrage que mon pere et ma mere ne m'aient pas fait bien étudier dans toutes les sciences quand j'étois jeune.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE,

Ce sentiment est raisonnable; nam, sine doctrina, vita est quasi mortis imago. Vous entendez cela, et vous savez le latin, sans doute?

M. JOURDAIN.

Oui; mais faites comme si je ne le savois pas : expliquez-moi ce que cela veut dire.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Cela veut dire que, sans la science, la vie est presque une image de la mort.

M. JOURDAIN..

Ce latin-là a raison.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. N'avez-vous point quelques principes, quelques commencements des sciences?

M. JOURDAIN.

Oh! oui, Je sais lire et écrire.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE.

Par où vous plaît-il que nous commencions? Voulez-vous que je vous apprenne la logique ?

M. JOURDAIN.

Qu'est-ce que c'est que cette logique?

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

C'est elle qui enseigne les trois opérations de l'esprit.

M. JOURDAIN.

Qui sont-elles ces trois opérations de l'esprit ?
LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

La premiere, la seconde, et la troisieme. La pre

miere est de bien concevoir, par le moyen des universaux; la seconde, de bien juger, par le moyen des catégories; et la troisieme, de bien tirer une conséquence, par le moyen des figures, Barbara, celarent, Darii, ferio, baralipton, etc.

M. JOURDAIN.

Voilà des mots qui sont trop rébarbatifs. Cette logique-là ne me revient point. Apprenons autre chose qui soit plus joli.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Voulez-vous apprendre la morale ?

La morale?

Oui.

M. JOURDAIN.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

M. JOURDAIN.

Qu'est-ce qu'elle dit, cette morale ?

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Elle traite de la félicité, enseigne aux hommes à modérer leurs passions, et...

M. JOURDAIN.

Non, laissons cela : je suis bilieux comme tous les diables, et il n'y a morale qui tienne; je me veux mettre en colere tout mon soul, quand il m'en prend

envie.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.
Est-ce la physique que vous voulez apprendre?

M. JOURDAIN.

Qu'est-ce qu'elle chante, cette physique?

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

La physique est celle qui explique les principes des choses naturelles, et les propriétés du corps; qui discourt de la nature des éléments, des métaux, des minéraux, des pierres, des plantes, et des animaux; et nous enseigne les causes de tous les météores, l'arcen-ciel, les feux volants, les cometes, les éclairs, le

tonnerre, la foudre, la pluie, la neige, la grêle, les vents, et les tourbillons.

M. JOURDAIN.

Il y a trop de tintamarre là-dedans, trop de brouillamini.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Que voulez-vous done que je vous apprenne?

M. JOURDAIN.

Apprenez-moi l'orthographe.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. Très volontiers.

M. JOURDAIN.

Après, vous m'apprendrez l'almanach, pour savoir quand il y a de la lune, et quand il n'y en a point. LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Soit. Pour bien suivre votre pensée, et traiter cette matiere en philosophe, il faut commencer, selon l'ordre des choses, par une exacte connoissance de la nature des lettres, et de la différente maniere de les prononcer toutes. Et là-dessus j'ai à vous dire que les lettres sont divisées en voyelles, ainsi dites voyelles, parcequ'elles expriment les voix ; et en consonnes, ainsi appelées consonnes, parcequ'elles sonnent avec les voyelles, et ne font que marquer les diverses articulations des voix. Il y a cinq voyelles, ou voix, A, E, I, O, U.

M. JOURDAIN.

J'entends tout cela.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE. La voix A se forme en ouvrant fort la bouche, A.

A, A. Oui.

M. JOURDAIN.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

La voix E se forme en rapprochant la mâchoire d'en bas de celle d'en-haut, A, E.

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