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MADAME JOURDAIN.

Oui; je sais que ce que je dis est fort bien dit, et que vous devriez songer à vivre d'autre sorte.

M. JOURDAIN.

Je ne parle pas de cela. Je vous demande ce que c'est que les paroles que vous dites ici.

MADAME JOURDAIN.

Ce sont des paroles bien sensées, et votre conduite ne l'est guere.

M. JOURDAIN.

Je ne parle pas de cela, vous dis-je ; je vous demande, ce que je parle avec vous, ce que je vous dis à cette heure, qu'est-ce que c'est ?

MADAME JOURDAIN.

Des chansons.

M. JOURDAIN.

Hé! non, ce n'est pas cela. Ce que nous disons tous deux ? le langage que nous parlons à cette

heure?

Hé bien?

MADAME JOURDAIN.

M. JOURDAIN.

Comment est-ce que cela s'appelle ?

MADAME JOURDAIN.

Cela s'appelle comme on veut l'appeler.

M. JOURDAIN.

C'est de la prose, ignorante.

De la prose?

MADAME JOURDAIN.

M. JOURDAIN.

Oui, de la prose. Tout ce qui est prose n'est point vers; et tout ce qui n'est point vers est prose. Et voilà ce que c'est que d'étudier! (à Nicole.) Et toi,

sais-tu bien comme il faut faire pour dire un U?

Comment?

NICOLE.

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M. JOURDAIN.

Oui, qu'est-ce que tu fais quand tu dis un U? ̧

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Oui ; mais quand tu dis U, qu'est-ce que tu fais ?

NICOLE.

Je fais ce que vous me dites.

M. JOURDAIN.

Oh! l'étrange chose que d'avoir affaire à des bêtes! Tu alonges les levres en dehors, et approches la mâchoire d'en-haut de celle d'en-bas. U, vois-tu? U; je fais la moue,

U.

Oui, cela est biau!

NICOLE.

MADAME JOURDAIN.

Voilà qui est admirable!

M. JOURDAIN,

C'est bien autre chose, si vous aviez vu O, et DA, DA, et FA, FA. f

MADA, ME JOURDAIN.

Qu'est-ce que c'est donc que tout ce galimatias-là ?

NICOLE.

De quoi est-ce que tout cela guérit?

M. JOURDAIN.

J'enrage, quand je vois des femmes ignorantes.

MADAME JOURDAIN.

Allez, vous devriez envoyer promener tous ces gens-là avec leurs fariboles.

NICOLE.

Et sur-tout ce grand escogriffe de maître d'armes, qui remplit de poudre tout mon ménage.,

M. JOURDAIN.

Quais! ce maître d'armes vous tient bien au cœur! Je te veux faire voir ton impertinence tout-à-l'heure. (après avoir fait apporter les fleurets, et en avoir donné un à Nicole.) Tiens; raison demonstrative; la ligne du corps. Quand on pousse en quarte, on n'a qu'à faire cela; et, quand on pousse en tierce, on n'a qu'à faire cela. Voilà le moyen de n'être jamais tué; et cela n'est-il pas bean d'être assuré de son fait, quand on se bat contre quelqu'un? Là, pousse-moi un peu, pour voir.

NICOLE.

Hé bien, quoi? (Nicole pousse plusieurs bottes à M. Jourdain.)

M. JOURDAIN.

Tout beau. Holà! ho! doucement. Diantre soit la coquine!

NICOLE.

Vous me dites de pousser.

M. JOURDAIN.

Oui; mais tu me pousses en tierce, avant que de pousser en quarte, et tu n'as pas la patience que je pare.

MADAME JOURDAIN.

Vous êtes fou, mon mari, avec toutes vos fantaisies; et cela vous est venu depuis que vous vous mêlez de hanter la noblesse.

M. JOURDAIN.

Lorsque je hante la noblesse, je fais paroître mon jugement; et cela est plus beau que de hanter votre bourgeoisie.

MADAME JOURDAIN.

Çamon vraiment ! il y a fort à gagner à fréquenter vos nobles et vous avez bien opéré avec ce beau monsieur le comte dont vous vous êtes embéguiné! M. JOURDAIN.

Paix, songez à ce que vous dites. Savez-vous bien, ma femme, que vous ne savez pas de qui vous parlez, quand vous parlez de lui? C'est une personne d'importance plus que vous ne pensez, un seigneur que l'on considere à la conr, et qui parle au roi tout comme je vous parle. N'est-ce pas une chose qui m'est tout-à-fait honorable, que l'on voie venir chez moi si souvent une personne de cette qualité, qui m'appelle son cher ami, et me traite comme si j'étois son égal? Il a pour moi des bontés qu'on ne devineroit jamais; et devant tout le monde il me fait des caresses dont je suis moi-même confus.

MADAME JOURDAIN.

Oui, il a des bontés pour vous et vous fait des caresses; mais il vous emprunte votre argent.

M. JOURDAIN.

Hé bien! ne m'est-ce pas de l'honneur de prêter de l'argent à un homme de cette condition-là ? et puis-je faire moins pour un seigneur qui m'appelle son cher ami?

MADAME JOURDAIN.

Et ce seigneur, que fait-il pour vous?

M. JOURDAIN.

Des choses dont on seroit étonné si on les savoit. MADAME JOURDAIN.

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Baste, je ne puis pas m'expliquer. Il suffit que si je lui ai prêté de l'argent, il me le rendra bien, et avant qu'il soit peu.

MADAME JOURDAIN.

Oui, attendez-vous à cela.

M. JOURDAIN.

Assurément. Ne me l'a-t-il pas dit? **

MADAME JOURDAIN.

Oui, oui; il ne manquera pas d'y faillir.

M. JOURDAIN."

Il m'a juré sa foi de gentilhomme.

Chansons.

MADAME JOURDAIN.

M. JOURDAIN.

Quais! vous êtes bien obstinée, na femme. Je vous dis qu'il me tiendra sa parole, j'en suis sûr.

MADAME JOURDAIN.

Et moi, je suis sûre que non, et que toutes les caresses qu'il vous fait ne sont que pour vous enjôler.

M. JOURDAIN.

Taisez-vous. Le voici.

MADAME JOURDAIN.

Il ne nous faut plus que cela. Il vient peut-être encore vous faire quelque emprunt, et il me semble que j'ai dîné quand je le vois.

M. JOURDAIN.

Taisez-vous, vous dis-je..

SCENE IV.

DORANTE, M. JOURDAIN, MADAME JOURDAIN, NICOLE.

DORANTE.

Mon cher ani monsieur Jourdain, comment vous portez-vous?

M. JOURDAIN.

Fort bien, monsieur, pour vous rendre mes petits services.

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