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votre attention particulière, est la situation du Portugal. II importe extrêmement que vous saisissiez la première occasion de prier le gouvernement espagnol de vous expliquer sans réserve ses sentiments et ses intentions à cet égard. Dans toutes les conversations que vous pourrez avoir à ce sujet avec les ministres espagnols, vous leur ferez observer que S. M. ayant consenti à respecter elle-même la neutralité du Portugal, elle ne pourra souffrir que cette neutralité soit molestée par aucune autre puissance quelconque; le roi compte à cet égard sur la justice et la magnanimité de S. M. C., et il espère que ni, par elle-même, ni concurremment avec la France, S. M. ne mettra à exécution aucune mesure qui puisse exposer la sécurité et l'indépendance de ce pays. Vous ne cacherez cependant pas au ministère espagnol, que si le roi d'Espagne permettait l'entrée de troupes françaises quelconques sur ses territoires, ou ne s'y opposait pas de force, S. M. regarderait cet acte comme lui imposant la nécessité de regarder la conduite de l'Espagne comme un motif légitime de guerre de sa part. Quant au Portugal, j'ai encore à vous signifier que le bon plaisir de S. M. est que vous cultiviez la meilleure intelligence avec le ministre de cette puissance à Madrid, et que vous concouriez avec lui à travailler à la sécurité des états de S. M. T. F.

Vous ayant ainsi exposé les procédés de la part de l'Espagne qui feraient juger à propos à S. M. de commencer les hostilités contre cette puissance, je dois ajouter que les intentions de S. M. sont, que s'il arrive un seul de ces événements, vous fassiez les plus fortes représentations contre, et que si vous ne recevez pas une réponse satisfaisante, vous ayez à quitter Madrid à l'instant, et à vous rendre à Lisbonne d'où vous retournerez en Angleterre. Avant votre départ, vous informerez de votre intention les officiers commandant les vaisseaux de S. M. dans la Méditerranée, à Lisbonne et à Gibraltar, afin qu'ils puissent commencer sans délai les hostilités contre l'Espagne.

Mr. Frère, après avoir eu une conférence avec le prince de la Paix, rendit compte de son résultat à lord Hawkesbury

par la dépêche suivante du 3 Juin, en y joignant une copie de la lettre qu'il avait adressée à Mr. de Cevallos, secrétaire d'État au département des affaires étrangères.

No. II.

Dépêche de Mr. Frère adressée à lord Hawkesbury, datée d'Aranjuez, le 3 Juin 1803.

(Extrait.)

... Dans une occasion précédente j'avais pressé le prince de la Paix à déclarer explicitement quelles étaient les intentions de sa cour, me fondant sur ce que, par les conditions du huitième article du traité de St. Ildéphonse, l'hostilité de l'Espagne était liée si étroitement avec celle de la France, que la Grande-Bretagne une fois entrée en guerre, aurait le droit de commencer immédiatement des hostilités contre l'Espagne. Il répondit que cela pouvait paraître ainsi; mais que l'exécution des traités ne devait pas être considérée comme absolument indispensable, mais comme une chose dépendante des circonstances; et par quelques autres expressions semblables, il sembla chercher à me donner à entendre qu'il ne pensait pas que l'état des choses nécessitât l'exécution du traité. Il fit usage à cette occasion d'un raisonnement nouveau et très-compliqué; d'abord, il dit qu'il désirait connaître le sujet de la dispute actuelle, et si l'on devait la regarder comme la continuation de la guerre précédente, parce que dans ce cas l'Espagne n'y prendrait aucune part; mais que si c'était une nouvelle guerre, fondée sur de nouvelles causes, elle pourrait dans ce cas être forcée de considérer le traité comme obligatoire; qu'en conséquence, il était nécessaire de

4) L'art. VIII du traité porte «La demande que fera l'une des puis»sances des secours stipulés par les articles précédents, suffira pour »prouver le besoin qu'elle en a, et imposera à l'autre puissance l'obli"gation de les disposer, sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans aucune >> discussion relative à la question, si la guerre qu'elle se propose est » Offensive ou défensive; ou sans qu'on puisse demander aucune explication quelconque qui tendrait à éluder le plus prompt et le plus exact » accomplissement de ce qui est stipulé.>>

connaître à ce sujet l'opinion des autres puissances comprises au traité d'Amiens. Il ajouta que le roi d'Espagne n'avait pas pris part à la dernière guerre comme allié de la France en vertu de ce traité. Je lui en citai le dernier article, qui est particulièrement dirigé contre l'Angleterre, et dont il semblait ne pas se souvenir; et voyant que cette fois la discussion ne finirait pas, je déterminai d'y revenir dans ma première conférence. Il me prévint cependant, lors de ma première entrevue suivante, et il me dit à mon entrée dans l'appartement: <«< Eh bien, il semble que nous allons avoir la guerre.»> Je lui dis que j'espérais que par le mot nous, il ne voulait pas dire l'Espagne et l'Angleterre. Il répondit que non; que l'Espagne était résolue à conserver sa neutralité. Je répliquai, que si le gouvernement espagnol était résolu à la neutralité, il ne nous restait qu'à connaître si nous étions d'accord dans nos idées sur la neutralité, et si dans la définition qu'il en faisait, il comprenait la permission de passage aux troupes françaises. J'ajoutai que les moyens d'assurer et de garantir cette neutralité devaient être concertés avec la Grande-Bretagne. Ici i refusa une seconde fois d'entrer en discussion, et il me référa à ma correspondance officielle avec M. Cevallos. Je rédigeai en conséquence la note ci-jointe, dans laquelle je me bornai à dessein à la seule question de l'interprétation du traité de St. Ildéphonse.

Annexe.

Note de Mr. Frère adressée à don Pedro Cevallos, ministre des affaires étrangères d'Espagne; datée d'Aranjuez, ce

Monsieur,

3 Juin 1803.

La situation actuelle des affaires étant de nature à rendre nécessaire une explication entre nos deux gouvernements, je me trouve dans le cas de m'adresser directement à V. Exc., ne doutant pas que, par un effet des sentiments d'amitié que V. Exc. m'a déjà fait l'honneur de m'annoncer de la part de S. M. C., je trouve dans les explications de V. Exc. la même franchise que je crois devoir mettre dans celles que j'ai l'honneur de lui soumettre.

La cour d'Espagne se trouvant liée avec la France par l'effet d'un traité assez récent, de telle manière que sa coopération avec cette puissance deviendrait exigible à la suite d'une simple réclamation de sa part, V. Exc. sentira sans doute que la construction littérale et l'adhésion formelle à cet article identifierait de telle manière l'Espagne avec la France, du moins quant à ses relations hostiles, que l'état de guerre avec cette dernière puissance suffirait pour constituer l'Espagne dans un état hostile vis-à-vis de la puissance ennemie de la France; elle autoriserait même une telle puissance à considérer d'abord comme ennemie une puissance, dont les efforts hostiles ne dépendant que de la volonté de l'ennemi déjà déclaré, attendraient seulement le moment de sa convenance pour agir.

V. Exc. me fera la justice de croire, que je suis bien loin de me complaire dans la contemplation de cette idée, et que si je m'y arrête, c'est uniquement pour avoir l'occasion de réitérer à V. Exc. d'une manière plus formelle les assurances que j'ai déjà eu l'honneur de lui donner verbalement; c'est-àdire, que le gouvernement de S. M. n'est nullement dans l'intention de donner d'abord une pareille interprétation à l'article du traité de St. Ildéphonse, ou de suivre une marche fondée sur le raisonnement, d'ailleurs juste et conséquent, que je viens d'indiquer; ensuite je désirerais faire sentir à V. Exc., que, malgré le juste prix que j'attache aux déclarations indirectes que V. Exc. m'a déjà faites sur les intentions amicales et pacifiques de S. M. C., néanmoins, en considération de l'existence d'un traité formel et récent, dont les stipulations ne sont pas compatibles avec l'exécution des intentions que je viens de citer, il serait intéressant et même nécessaire, que le gouvernement britannique reçût de la part de celui d'Espagne une déclaration, dont la forme et l'authenticité fussent capables de le rassurer contre les méfiances, que les anciennes liaisons et les traités existants avec son ennemi pourraient naturellement lui inspirer.

Il ne me reste qu'à exprimer à V. Exc. l'intérêt et l'impatience avec laquelle j'attendrai sa réponse, et de lui répéter mes assurances, etc.

J. H. FRÈRE.

Immédiatement après que Mr. Frère eut reçu la réponse évasive de Mr. de Cevallos à la lettre ci-dessus, et qu'il eût adressé une nouvelle note à ce ministre, il s'empressa d'envoyer ces deux pièces à lord Hawkesbury en les accompagnant de la dépêche suivante.

No. III.

Dépêche de Mr. Frère, à lord Hawkesbury; du 10 Juin 1803.

Milord,

Ayant gardé le messager quelques jours dans l'attente de la réponse de M. Cevallos, je puis à la fin vous l'envoyer, quoique je craigne bien que votre seigneurie ne la trouve pas plus satisfaisante que je ne l'ai trouvée moi-même.

Mon premier mouvement a été d'envoyer une réponse qui aurait indiqué la manière dont ma question avait été éludée, et qui l'aurait derechef énoncée de la manière la plus claire et la plus formelle. Pensant, néanmoins, que dans l'état actuel des choses, si on arrachait à l'Espagne une réponse cathégorique, cette réplique serait moins favorable que la réponse évasive que j'ai reçue, laquelle, même en supposant que ses intentions soient amicales, pourrait être le nec plus ultra de ce qu'elle oserait hasarder, sans une ouverture plus explicite de la part du gouvernement de S. M.; et croyant qu'il est de mon devoir, à tout prix, d'épuiser tous les moyens possibles de conciliation, j'ai fait la réponse ci-incluse, dans laquelle votre seigneurie verra que je prends sur moi d'interpréter d'une manière favorable la demande de Mr. Cevallos; et aussitôt que j'aurai reçu une copie de la correspondance officielle, je lui adresserai une explication de la nature de celle qu'il demande. J'ai l'honneur d'être, etc.

J. H. FRÈRE.

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