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Après dix-huit audiences employées aux interrogatoires des prévenus, au réquisitoire du ministère public, aux plaidoyers des divers défenseurs, etc., Mr. Verne de Bachelard, président des assises, posa au jury, dans l'audience du 15 Mars 1833, la question de culpabilité des prisonniers du Carlo-Alberto. Le jury délibéra pendant plus de deux heures et demie et prononça un verdict négatif; le président formula un jugement d'acquittement.

Par son arrêt du 16, la cour ordonna la restitution des objets saisis sur le bâtiment.

A l'audience du 26 Juin suivant. le S. Ferrari, subrécargue-directeur du Carlo-Alberto, se présenta, en qualité de fondé de pouvoir du S. Ange George Barchi, négociant à Gènes, propriétaire du bâtiment, pour réclamer la restitution de ce navire à vapeur, ancré encore, à cette époque, dans le port de Marseille, ainsi que celle d'une somme de 26,000 francs, saisie le 4 Mai 1832, et déposée à la caisse des dépôts et consignations. Cette restitution étant la conséquence nécessaire et naturelle de l'acquittement de tous les accusés du Carlo-Alberto, et le S. Barchi ayant justifié de son droit de propriété, le procureur du roi n'a point contesté la demande présentée par le S1. Ferrari; la cour l'a accueillie et a donné, séance tenante, main-levée du navire sarde et de la somme réclamée.

II.

Outrages commis en 1833, envers Mr. BARROT, consul de France à Carthagène (Nouvelle-Grenade). 1)

Dans la nuit du 26 au 27 Juillet 1833, une famille anglaise avait été assassinée à deux lieues de Carthagène : dans la matinée du 27, le consul anglais et celui des États-Unis de l'Amérique septentrionale étaient allés chercher les restes de ces malheureuses victimes. Mr. Barrot, consul de France, qui se trouvait à la campagne à quelques lieues de Carthagène, n'avait point été informé de cet événement, et n'avait pu, par conséquent, accompagner ses collègues dans l'accomplissement de leur triste devoir. Ce ne fut que dans l'après-midi qu'il revint à Carthagène. Il se hâta de se joindre à ses collègues qui venaient d'arriver au quai de la douane, dans l'intention d'accompagner les corps morts jusqu'à l'église. Une populace immense couvrait le quai.

Le consul de France était à quelques pas de là, attendant avec deux ou trois amis que les corps eussent été mis à terre et que la procession fût organisée. Tout à coup et sans aucun motif un agent de police, en état d'ivresse, vint lui intimer l'ordre de se retirer. Ce fut en vain que Mr. Barrot lui fit connaître sa qualité, et lui expliqua les motifs qui rendaient sa présence nécessaire pour prendre sa place dans le cortége. L'homme de la police s'emporta; il saisit le consul avec violence et ordonne à ses soldats de l'emmener. L'ivresse de cet homme était évidente: ses soldats refusèrent d'obéir, et la populace qu'il chercha à soulever, resta impassible. Mr. Barrot qualifiant la conduite de cet homme, l'alcade Alandete, avec le mépris qu'elle méritait, se re

1) V. Phases et causes célèbres du droit maritime, par Mr. DE CUSSY, T. II, p. 342.

tira, pour mettre fin à une scène publique aussi scandaleuse.

Au moment où il allait se mettre à table, un domestique vint le prévenir qu'un agent de police, accompagné de quelques gens armés, entrait dans la cour. C'était le même alcade qui, oubliant l'inviolabilité de l'hôtel consulaire, sur lequel flottait le pavillon tricolore, venait, au mépris des immunités d'un agent étranger, arrêter le consul de France. Mr. Barrot lui ordonna trois fois de se retirer et le menaça d'avoir recours à la force pour le chasser de chez lui.

Une partie de ces faits se trouvent relatés dans une lettre que nous placerons plus loin, et qui appartient à la relation qu'a donnée la France maritime, à laquelle nous empruntons une partie de cet exposé.

Dès le soir même, Mr. Barrot adressa aux autorités supérieures une plainte détaillée, par laquelle il réclamait, comme consul de France, la réparation qui lui était due; on lui répondit que justice serait faite, mais sa plainte resta deux mois dans les bureaux du juge d'instruction. De son côté, l'agent de la police avait fait son rapport, et sans que le consul de France eût reçu la plus simple information qu'une instruction se suivait contre lui-même, ce fonctionnaire diplomatique fut condamné à la prison, comme coupable d'avoir résisté à la justice à main armée. La première notification qui lui fut donnée de toute cette affaire, fut l'ordre de se rendre en prison.

La conduite des autorités locales reste inqualifiable; elle est sans aucune excuse possible, et nous ne saurions admettre pour en atténuer l'iniquité, l'ignorance absolue qui enveloppe à la fois la population et les hommes que leurs fonctions magistrales placent à la tête de l'état de la Nouvelle-Grenade. Du moment que ce pays était parvenu à former une nation. dont l'indépendance avait été reconnue par les grands états

européens et les grands états de l'Amérique, le gouvernement devait appeler dans ses conseils des hommes capables de donner, nous ne dirons pas à l'éducation publique, le développement qu'elle aurait dû avoir, mais aux autorités locales les instructions et directions conformes aux principes les plus simples du droit des gens, au premier rang desquels se trouve, certes, le respect dû aux agents politiques envoyés par les états étrangers.

En recevant l'ordre de se rendre en prison, ou Mr. Barrot devait de bon gré obéir à cette mesure inouïe, et attendre, sous les verroux de la geole, la réparation qui lui était due et qui ne pouvait manquer de lui être donnée; ou protester contre la violation de son inviolabilité, de l'immunité personnelle inhérente aux fonctions dont il était revêtu, et qui devait amener une rupture entre la France et la république de la Nouvelle-Grenade; il adopta, ainsi qu'il convenait qu'il le fit, ce dernier parti, et il écrivit au gouverneur de Carthagène pour réclamer ses passeports; demande qui fut repoussée. Mr. le commandant Gilbert, de la goëlette de l'État la Topaze qui se trouvait alors dans le port, se rendit alors chez le gouverneur; il lui déclara que le consul de France ne reconnaissait pas aux autorités de Carthagène le droit de l'arrêter, qu'il allait, en conséquence, s'embarquer à bord de la Topaze, et que la violence seule pourrait l'en empêcher. «Quelque faible que soit ma goëlette», ajouta Mr. le commandant Gilbert, «je me ferai plutôt couler, une fois le con>> sul à mon bord, que de ne pas défendre énergiquement >> son inviolabilité. >>

Le gouverneur n'ayant tenu aucun compte de cette démarche, Mr. Barrot sortit en grand uniforme de son domicile et se dirigea vers le quai de la douane où un canot de la Topaze l'attendait; Mr. Gilbert accompagnait le consul de France, ainsi que le consul anglais, le consul des États-Unis,

MMrs. Michel, Paragnac, etc. La populace, excitée depuis deux jours par des écrits incendiaires où tous les étrangers étaient désignés comme autant d'ennemis, remplissait le quartier où était située la maison du consul de France, et fit entendre des cris de mort; celle qui se trouvait sur le quai avait insulté les marins du canot, à la tête desquels se trouvait Mr. Doulé, second commandant de la Topaze. A la vue de Mr. Barrot et des personnes qui l'accompagnaient, les vociférations redoublèrent; mais lorsqu'il se présenta à la porte de la ville, il la trouva fermée. Mr. Barrot se vit donc dans l'obligation de retourner chez lui, entouré, pressé, insulté par la multitude dont l'exaspération et le nombre augmentaient à chaque pas.

Dans une ville de guerre, où se trouvaient de nombreux postes militaires, «on ne vit pas», dit la France maritime, «un seul officier se produire pour rétablir l'ordre; les auto>> rités restèrent renfermées chez elles, laissant à la populace >> son libre arbitre; il y eut même des conseillers municipaux, >> des officiers supérieurs qui, au milieu de la foule, faisaient >> tous leurs efforts pour l'exalter davantage, et demandaient » à grands cris la mort du consul.» Dieu ne voulut pas qu'un crime de cette nature fût accompli: il reste inconcevable, en effet, que cette populace furieuse ne se soit pas jetée sur les victimes qui étaient venues s'offrir à sa rage.

En se présentant devant son domicile, Mr. Barrot le trouva gardé par des soldats qui croisèrent la baïonnette contre lui et lui refusèrent l'entrée de sa maison.

Mr. Barrot comprit alors qu'une plus longue résistance deviendrait une folie qui comprometterait sans utilité la vie des amis qui l'avaient accompagné, «et, poussé, traîné par >>le peuple, ayant la mort sous les yeux à chaque pas, la voyant » dans tous les regards, l'entendant dans toutes les bouches, »>il arriva jusqu'à la prison qui se referma sur lui. »

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