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l'accorda; mais cette garde ne devait servir qu'à commettre un attentat plus grand encore !

Le consul revint chez lui; les cris les plus affreux se firent entendre: Mata le! que muera! et la foule s'armait de pierres et de bâtons.

Arrivé à sa porte, le consul voulut entrer; mais les soldats avaient reçu des ordres d'un officier, frère de l'alcade Alandete; ils empêchèrent le consul d'entrer chez lui. La résistance était vaine: elle pouvait entraîner la mort du consul, du brave commandant Gilbert, et de tous les amis et compatriotes qui l'entouraient. S'abandonnant sans crainte au péril plus grand qui l'attendait, le consul se résigna à la violence qu'on lui faisait, et, pour éviter de grands malheurs, prit le chemin de la prison où le poussait la multitude insurgée. Les cris devinrent plus forcenés, et la populace, armée de pierres, menaçait à chaque instant sa vie; une seule lancée, et le signe de l'honneur placé sur sa poitrine, son uniforme, rien n'était respecté; tout était violé à la fois; il périssait! et nous tous qui l'entourions, avec lui!

Enfin, Mr. Barrot arriva à la prison, où il est maintenant enfermé à côté des assassins du colonel Woodbine. Nul ordre n'était donné pour l'y recevoir; il n'y fut pas moins écroué, et illégalement écroué, d'après les lois du pays et sans observer les formalités d'usage.

Voilà les faits, et nous le déclarons, Mr. le duc, chacun de nous en a été témoin.

V. Exc. nous demandera peut-être où était l'autorité? Elle n'a paru nulle part, elle a laissé tout faire au peuple insurgé; les alcades de quartier, chargés de la police de la ville, sont tous restés dans leur maison, d'où ils voyaient ce qui se passait. Leur indifférence dans une circonstance aussi grave nous induit à soupçonner qu'ils approuvaient la conduite des agitateurs. L'autorité militaire, que leur devoir était de prévenir, n'a point été avertie et par conséquent ne s'est point présentée. V. Exc. nous demandera encore: n'était-ce qu'une vile populace qui se livrait à ces excès? Non, Mr. le duc, dans ses rangs se trouvaient des hommes influents par leur position sociale: on y vit même un conseiller municipal une pierre à la main et vociférant. Ces hommes,

nous les nommerons au jour de la réparation, à ceux qui seront chargés de nous l'obtenir.

Depuis longtemps, Mr. le duc, nous nous trouvions dans ce pays en butte à de continuelles vexations, auxquelles, faute d'un consul, nous étions souvent obligés de nous soumettre. Le gouvernement du roi nous l'envoya, et alors nous crûmes à une protection efficace. Mr. Barrot arriva; nul mieux que lui ne pouvait nous assurer la sécurité dont nous avions besoin, attendu qu'un long séjour dans l'Amérique du Sud lui donnait une connaissance exacte du caractère et des mœurs des habitants de ces contrées, avantage qui lui donnait une grande facilité de se concilier leur bienveillance et leur

amitié.

Eh bien! lui aussi devait subir les conséquences de la prévention nationale contre l'étranger; il a été outragé à la première occasion qui s'est présentée, et notre protecteur est maintenant dans un cachot.

Que deviendrons-nous? Notre consul vous dit les périls qu'il redoute pour nous; ils ne sont que trop réels, et les faits que nous exposons à V. Exc. en donnent la mesure. Mais en faisant appel au gouvernement du roi, à vous, Mr. le duc, nous sommes convaincus que la protection de la France ne se fera pas attendre et c'est avec confiance que nous l'implorons.

Si nos espérances étaient déçues, si nous restions abandonnés à cette force brutale qui nous a menacés et qui peut hous menacer encore parce qu'elle nous croit faibles et délaissés, nos signatures au bas de cette lettre seraient peut

être un arrêt de mort.

Nous avons l'honneur, etc.

(Suivent les signatures.)

Aussitôt que le gouvernement français fut informé, par les rapports du consul du roi, de ce qui s'était passé à Carthagène, il fit partir Mr. le contre-amiral baron de Mackau.

Cet officier général arriva devant Carthagène le 3 Décembre 1833. Toutes les informations qu'il prit confirmèrent les rapports qui avaient été adressés au gouvernement.

Il en donna connaissance au ministère et se rendit à la Martinique pour y attendre ses déterminations ultérieures.

Le 14 Juillet 1834, une convention fut signée à Paris entre le vice-amiral comte de Rigny, alors ministre secrétaire d'État au département des affaires étrangères, et Mr. le comte Gomès, Chargé d'affaires à Paris de la république de la Nouvelle-Grenade, pour régler la nature des réparations qui seraient faites.

La frégate l'Astrée partit le 6 Septembre de la Martinique, pour porter à Carthagène la convention diplomatique signée à Paris, afin que les ratifications ou le refus du gouvernement central de Bogota y fussent connus avant l'arrivée de la division navale commandée par Mr. le contre - amiral de Mackau.

Mr. le contre-amiral baron de Mackau quitta la Martinique, avec Mr. Adolphe Barrot, le 28 Septembre; sa division navale qui arriva devant Carthagène vingt jours après la frégate l'Astrée, se composait de la frégate l'Attalante, commandée par Mr. de Villeneuve, capitaine de vaisseau, la corvette la Naïade, commandant Letourneur, la corvette l'Héroïne, commandant de Courville, le brig l'Endymion, commandant Lavaud.

L'Attalante et l'Endymion entrèrent les premiers dans la baie de Carthagène, après avoir fait branle bas de combat, dans le cas où les forts qui en gardent l'entrée eussent voulu s'opposer à leur arrivée dans le port; mais il ne fut fait, du côté de la terre, aucune démonstration hostile.

Le gouvernement de la Nouvelle-Grenade, qui avait déjà destitué le gouverneur, le colonel Vesga, s'était empressé de faire connaître qu'il avait donné son approbation à la convention du 14 Juillet. Le courrier de Bogota, qui arriva à Carthagène le 20 Octobre, en apporta l'avis aux autorités.

Dans la soirée du même jour, Mr. le contre - amiral de Mackau et Mr. Barrot vinrent à terre, incognito, et eurent, dans une maison tierce, une entrevue avec le nouveau gouverneur, dans le but de s'entendre sur l'exécution des clauses de la convention; quelques difficultés, soulevées par le gouverneur, et repoussées par le langage poli mais ferme de l'amiral, n'eurent pas de suite, et toutes choses furent réglées pour le lendemain.

Le 24 Octobre, tous les officiers de la division étaient réunis à bord de l'Attalante, lorsque le gouverneur, suivi des principales autorités de Carthagène, se présenta; il fut reçu à l'échelle par les commandants de la division, et conduit à l'amiral qui était resté, avec Mr. Barrot, sur le gaillard d'arrière.

On descendit dans l'appartement de l'amiral, où toutes les portes et les fenêtres avaient été enlevées afin que l'équipage pût assister à la cérémonie qui se préparait: une députation de Français s'y trouvait réunie. Le gouverneur fit, d'une voie émue, au nom de son gouvernement, des excuses à Mr. Barrot sur ce qui s'était passé à Carthagène dans les mois de Juillet et d'Août 1833.

Mr. de Mackau répondit à l'allocution du gouverneur par un discours énergique, digne et convenable, et donna, ainsi que Mr. Barrot, la main au gouverneur en signe de réconciliation.

A son départ, le gouverneur fut salué de treize coups de canon.

Une heure après, l'amiral, Mr. Barrot, tous les commandants et environ trente officiers de la division se rendirent à terre, où une garde d'honneur les attendait sous les portes de la ville. Ils s'acheminèrent lentement vers la maison consulaire accompagnés de cette même populace qui, quinze mois avant, poursuivait le consul de France de ses cris

de mort, et qui actuellement le saluait de ses acclamations.

Tous les Français étaient réunis à la maison consulaire lorsque Mr. Barrot y arriva; tous les étrangers y vinrent également le pavillon tricolore y fut arboré immédiatement et salué de vingt- un coups de canon par les forts de Carthagène.

L'amiral, Mr. Barrot et la plus grande partie des officiers de la division furent ensuite faire une visite au gouverneur.

Lorsque Mr. de Mackau quitta Carthagène, le 1 Novembre, il laissa dans le port le brig l'Endymion, avec mission d'y rester jusqu'au 31 Décembre. Mr. Barrot a quitté la Nouvelle-Grenade pour retourner en France, le 25 Juin

1835.

III.

Refus d'extradition, de la part du gouvernement anglais en 1841, d'esclaves révoltés à bord du bâtiment américain, la CRÉOLE, qui, après avoir assassiné leur maître et mis aux fers le capitaine, s'étaient refugiés dans le port de la colonie anglaise de Nassau. 1)

La Créole, navire américain, parti en 1844, du port de Richmond, de l'état de Virginie, se dirigeant vers la NouvelleOrléans, avait à bord, comme passager, un planteur américain, qui allait s'établir dans l'état de la Louisiana, accom

1) V. H. WHEATON, Histoire des progrès du droit des gens en Europe et en Amérique, depuis la paix de Westphalie jusqu'à nos jours; T. II, p. 343. Dans cet ouvrage, ou l'affaire de la Créole a été le sujet d'une lumineuse dissertation du droit des gens, l'auteur développe avec une grande logique d'argumentation ses opinions sur le droit de propriété des esclaves, sur le principe d'extradition et sur le droit de juridiction.

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