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etaient accusés les dix-neuf esclaves détenus à Nassau, ayant été commis en violation des lois américaines, par des sujets américains, contre des Américains, à bord d'un bâtiment américain naviguant sur la haute mer, nul doute que ces crimes ne fussent justiciables des tribunaux des États-Unis, uniquement: la juridiction de ces tribunaux dans le cas présent restait exclusive de celle des tribunaux anglais, lesquels n'auraient pu être compétents dans l'affaire, que s'il У avait eu crime de piraterie d'après le droit des gens, parce que ce crime, blessant la loi commune des nations, peut être jugé par les tribunaux du pays où les accusés se trouvent, malgré qu'il ait été commis par les hommes d'équipage d'un bâtiment étranger.

>> Mais dans l'affaire de la Créole, les faits constituaient uniquement une offense contre la loi municipale de l'Union américaine par des sujets américains qui, à la suite de leur crime, s'étaient dirigés, en toute hâte, vers un port du territoire anglais.

>>> La doctrine eut-elle été universellement admise «que <«<lout individu, esclave d'après les lois du pays d'où il sort, «<devient libre aussitôt qu'il touche le sol européen, ou le «territoire d'un pays qui ne reconnaît pas l'esclavage»; que cette doctrine générale n'aurait pu être appliquée, en aucune sorte à des noirs qui, esclaves dans un pays où l'esclavage est admis, s'étaient rendus dans un port colonial appartenant à la Grande-Bretagne, après avoir assassiné leur maître, leur propriétaire légitime, et s'être emparés du bâtiment qui les transportait.

>>Il ne s'agissait pas, en effet, dans l'espèce, d'esclaves fugitifs cherchant un asile sur le territoire d'un pays où l'esclavage n'est pas reconnu: mais d'esclaves assassins, mais d'hommes quelle que fût leur position dans la société, quelle que fùt leur couleur, qui s'étaient rendus coupables de meurtre,

>> Bien plus, le bâtiment américain entré en pleine paix, contre la volonté de son proprietaire, dans un port d'un pays ami, à la suite d'un crime commis en mer et justiciable uniquement des tribunaux américains, ne pouvait être placé, par une circonstance fortuite, sous la protection momentanée de l'autorité d'un pays ami, cesser de jouir, un seul instant, des droits et priviléges de son pavillon national. Son capitaine était en droit d'obtenir main forte pour recouvrer sa liberté et celle de son équipage, ainsi que pour faire rentrer dans le devoir les nègres révoltés.

>> De son côté, l'autorité locale qui, dans tous les cas, n'avait pas le droit d'intervenir dans le but de mettre en liberté les fauteurs de la révolte, devait en présence des événements violents qui s'étaient accomplis, prêter un appui loyal au capitaine d'un bâtiment d'une nation amie; elle devait lui fournir les moyens de s'opposer à toute révolte nouvelle, et de pouvoir remplir sa mission, c'est-à dire les engagements qu'il avait pris de conduire à la Nouvelle-Orléans les esclaves du planteur américain.

>> Si la révolte eut éclaté à bord de la Créole, parmi les gens de l'équipage, et que le navire, poussé par la tempête, eut abordé dans le port de Nassau, l'autorité anglaise, après avoir délivré le capitaine prisonnier, eut fait mettre aux fers et eut livré au capitaine de la Créole, pour les reconduire aux États-Unis et traduire devant des tribunaux ceux de ses matelots qui auraient été reconnus coupables d'assassinat: nous ne comprenons pas comment leur qualité d'esclaves a pu devenir pour des nègres assassins un titre d'impunité. >>

IV.

Refus fait en 1852, à Tripoli, de délivrer deux Français réclamés par le consul de leur nation. 1)

Deux déserteurs français travaillaient depuis quelque temps comme maréchaux-ferrants au quartier de la cavalerie des troupes turques à Tripoli de Barbarie. L'officier supérieur qui commande cette cavalerie, voulant les lier d'une manière indissoluble au service ottoman, les engagea plusieurs fois, mais sans succès, à embrasser l'Islamisme. Ses obsessions devinrent plus vives et plus importunes à l'époque du Ramadan, jeûne qu'on leur fit observer par force. Ces hommes, craignant des violences extrêmes, se décidèrent à aller faire leur soumission au consulat - général de France, préférant subir dans leur pays toutes les conséquences d'une première faute que d'abandonner leur religion.

Un seul put exécuter ce dessein et se placer à l'abri du drapeau national; il vint faire sa soumission au consul, acte qui le remettait sous l'empire des lois françaises et devait lui assurer leur protection. L'autre déserteur français, arrêté par les Turcs avant d'avoir pu atteindre l'asile consulaire, fut horriblement bâtonné, puis jeté en prison. Mr. Pélissier, consul- général de France à Tripoli, le réclama en vain; les Turcs se refusèrent à le rendre. Bien plus, son compagnon ayant eu l'imprudence de s'éloigner seul du consulat pour faire ses adieux à un Maltais de sa connaissance, au moment même où le représentant de la nation française allait le faire embarquer pour Marseille, fut atteint par une cinquantaine de Turcs qui se jetèrent sur lui et l'entraînèrent avec rapidité en l'accablant de tant de coups, que les Chrétiens du

1) V. Phases et causes célèbres du droit maritime, par Mr. de Cussy, T. II, p. 336.

pays le crurent mort. Mr. Pélissier, dont la fermeté de caractère est connue par beaucoup d'honorables antécédents, protesta contre ce deuxième attentat avec beaucoup plus d'énergie encore que pour le premier. Cependant, il ne put en obtenir la réparation.

Cette affaire était grave et pouvait prendre de sérieux développements. L'indignation de la population chrétienne était d'autant plus grande que les Turcs avaient repoussé un respectable ecclésiastique, le Père Angelo, préfet apostolique, qui voulait porter les secours de la religion au Français détenu.

Le consul-général de France s'est vu dans l'obligation, à la suite des refus successifs opposés à ses réclamations, d'interrompre toutes relations avec le gouvernement de la régence.

La violation du droit des gens était trop manifeste pour que le gouvernement français la tolérât; certes, deux hommes qui ont abandonné leur drapeau, qui ont quitté leur pays pour se soustraire aux obligations imposées à tous les citoyens par la loi, semblent bien peu mériter que la France expédie une escadre, et que des hostilités soient commencées, qui sans aucun doute doivent avoir des suites désastreuses pour un grand nombre de familles; mais ces déserteurs, on a voulu les contraindre à abjurer leur religion et à se faire musulmans, et les réclamations faites en leur faveur par le consul-général, le représentant de la France à Tripoli, ont été repoussées par l'autorité turque, laquelle n'est intervenue dans cette affaire que pour mettre les deux Français en prison et les y retenir malgré qu'ils fussent placés sous la protection du consul - général et malgré les protestations énergiques de ce haut fonctionnaire diplomatique, l'organe officiel de la France.

En conséquence, le 20 Juillet 1852, l'escadre d'évolutions

de la Méditerranée reçut l'ordre de faire voile de Toulon, et de se rendre à Tripoli, pour se faire rendre les deux Français retenus dans les prisons, ou, sur le refus des autorités, pour détruire la ville.

Un journal anglais fort répandu, le Morning - Herald, a rendu compte de l'arrivée de l'escadre française devant Tripoli, et des conférences qui eurent lieu entre les divers représentants des puissances étrangères; voici sa relation:

«L'escadre prit position autour des murs de la ville. Elle formait un cordon de la nature la plus imposante. (Forming a cordon of the most imposing nature.)

>> Dans l'après-midi, le consul de France envoya son ultimatum, à savoir que si les hommes n'étaient pas rendus le 29, au lever du soleil, à bord de la frégate de l'amiral de la Susse, on aurait recours à la force.

>>Le 28, à six heures et demie du soir, le consul de France adressa une circulaire à ses collègues, annonçant l'intention de recourir à la force le lendemain matin, et leur offrant un asile ainsi qu'à leurs nationaux, à bord de l'escadre. Les consuls d'Angleterre, d'Amérique et de Hollande n'approuvant pas la conduite du consul de France, et regardant comme trop bref le délai accordé pour adopter des mesures de sécurité et de protection pour leurs nationaux, ouvrirent à ce sujet une correspondance avec l'amiral et le consul.

>> Pendant qu'ils s'occupaient de ce soin, ils furent visités par les consuls d'Espagne, d'Autriche, de Naples et de Toscane, qui, très-intimidés, demandaient que les trois consuls d'Angleterre, d'Amérique et de Hollande se réunissent à eux pour se rendre auprès des autorités et obtenir que les hommes fussent livrés et que la ville fût sauvée.

» Après quelques moments, le consul d'Amérique leur dit: «Je conviens avec vous que l'escadre française peut réMARTENS, CAUSES CÉLÈBRES. V.

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