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TRAGÉDIE

PAR RACINE

PRÉCÉDÉE D'UNE ÉTUDE

ET ACCOMPAGNÉE DE NOTES HISTORIQUES, GRAMMATICALES ET LITTÉRAIRES

PAR E. ANTHOINE

Agrégé de grammaire, Agrégé des lettres
Inspecteur général de l'Enseignement primaire

A l'usage des classes d'enseignement secondaire
et des candidats au brevet supérieur

PARIS

LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie

79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

1884

602835

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SUR ATHALIE

I

Athalie est de 1691 1; à cette date, Racine a cinquantedeux ans; le terme de sa vie est déjà proche; il mourra en 1699, n'ayant plus rien tenté. Athalie est sa dernière œuvre, le dernier mot de son génie.

De 1664 à 1677, Racine a donné au théâtre successivement, à intervalles presque réguliers, dix pièces : 1664, la Thébaïde; 1665, Alexandre; 1667, Andromaque; 1668, les Plaideurs; 1669, Britannicus; 1670, Bérénice; 1672, Bajazet; 1673, Mithridate; 1674, Iphigénie; 1677, Phèdre. Certes, durant cette période, les applaudissements n'ont pas manqué au poète, et non plus les attaques 2; il a connu les vifs contentements de l'amour-propre, la douceur des louanges, mais aussi l'amertume des critiques: or, nature fine et délicate, il a toujours été plus sensible (lui-même l'avouait) à l'épigramme qu'à l'éloge. A l'occasion de Phèdre, les efforts

1. C'est la date qu'on donne d'ordinaire, celle où la pièce parut imprimée; elle était écrite dès 1690; dans le courant de l'hiver 1690-1691, elle fut jouée trois fois par les demoiselles de Saint-Cyr dans la chambre de Mme de Maintenon à Versailles, cadre bien étroit pour cette grande œuvre; elle ne fut portée à la scène qu'en 1716.

2. Voir le livre de M. Deltour qui a pour titre : Les ennemis de Racine.

ATHALIE.

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de ses ennemis ont redoublé de violence; ils lui ont opposé Pradon; peu s'en est fallu que l'opinion publique égarée ne lui préférât cet indigne rival. Jamais il n'a si bien compris la vanité de cette gloire qu'il avait tant recherchée et qu'il payait si chèrement. En même temps se réveillaient chez lui et reprenaient le dessus les souvenirs de sa pieuse enfance, les impressions qu'il avait emportées de Port-Royal. Dégoûté du monde, il se tournait vers Dieu.

Il voulait se faire chartreux; on le poussa au mariage. Il épousa une femme de sens droit, mais d'esprit humble au dire de son fils, elle ignora toujours ce que c'était qu'un vers. Racine était résolu à s'ensevelir avec elle dans les devoirs obscurs de la vie de famille; les enfants vinrent, et même nombreux; il en eut sept, cinq filles et deux garçons; son bien était médiocre. Heureusement il est désigné par Louis XIV pour être l'historiographe de son règne; à ce titre, il reçoit pension, gratifications. Du même coup, il est rattaché à la cour; le voici obligé d'y paraître. Pour s'y faire bien venir, il a les qualités extérieures, les traits nobles, la belle prestance, le charme même de la voix; il a surtout son esprit, sa finesse et son tact; il observe et s'observe; il a bientôt démêlé ce qu'il peut et ce qu'il doit, sur ce terrain nouveau, oser ou ne pas oser; il sait parler et se taire, risquer à propos une louange ou une malice et tourner l'une et l'autre; il sait même écouter un fâcheux, un sot! Que nous sommes loin de Racine jeune, fréquentant joyeuse, spirituelle, mais libre companie, celle des gens de théâtre et des auteurs, pétulant, difficile à contenir, s'échappant sans cesse en vives saillies, prêt à perḍre vingt amis pour un bon mot, personnel, irritable, sans pitié pour le grand et vieux Corneille, se brouillant avec Molière qui avait favorisé ses commencements, persiflant ses maîtres vénérables auxquels il devait tant, à force d'esprit faisant douter de son cœur! Par l'effet de l'âge, plus encore par celui de la volonté, de la réflexion, du travail intérieur, il est calmé, rangé, discipliné, maître de

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lui-même; il nous représente ce qu'on appelait alors l'honnête homme, de fonds solide, de formes aimables, sérieux sans pédanterie, enjoué sans frivolité, mesuré et équilibré en toutes choses, au dedans de lui-même et au dehors. Ce qui frappe chez Racine, que l'on considère en lui l'homme ou l'écrivain, c'est la prise qu'il eut sur son caractère comme sur son talent, cette faculté de se modifier, de se remanier, de s'amender, cette puissance enfin de perfectionnement.

A l'époque de sa vie où nous sommes parvenus, il est à la cour recherché des hommes les plus considérés; il agrée au roi, il agrée à la reine de cette société polie, à la sérieuse et distinguée Mme de Maintenon.

C'est pour plaire à Mme de Maintenon qu'il reprit la plume. A quel propos? Lui-même va nous le dire en ce style uni et simple qui est celui de sa prose; la page n'est pas d'ailleurs sans intérêt pour ceux qui s'occupent d'éducation ou, comme on dit aujourd'hui, de pédagogie; elle nous montre d'ingénieux procédés dès lors mis en œuvre; je la cite :

« La célèbre maison de Saint-Cyr ayant été principalement établie pour élever dans la piété un fort grand nombre de jeunes demoiselles rassemblées de tous les endroits du royaume, on n'y a rien oublié de tout ce qui pouvait contribuer à les rendre capables de servir Dieu dans les différents états où il lui plaira de les appeler. Mais, en leur montrant les choses essentielles et nécessaires, on ne néglige pas de leur apprendre celles qui peuvent servir à leur polir l'esprit et à leur former le jugement. On a imaginé pour cela plusieurs moyens qui, sans les détourner de leur travail, les instruisent en les divertissant; on leur met, pour ainsi dire, à profit leurs heures de récréation on leur fait faire, entre elles, sur leurs principaux devoirs, des conversations ingénieuses qu'on leur a composées exprès ou qu'ellesmêmes composent sur-le-champ; on les fait parler sur les histoires qu'on leur a lues ou sur les importantes vérités qu'on leur a enseignées; on leur fait réciter par

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