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il n'y avait plus rien à voler, il leur laissa démolir les maisons, afin d'y chercher des trésors qu'ils croyaient y être cachés; et la faim les pressant au bout de quelques jours, il s'achemina vers la Thesprotie, où il s'était fait précéder par son fils Véli. Il se proposait de fondre sur Parga, mais l'escadre russe et ottomane venait d'entrer dans la mer Ionienne, et le tyran fut prévenu dans ses desseins par l'amiral russe Ocksakoff, qui prit possession de cette ville au nom de son souverain; la garnison française qui s'y trouvait fut honorablement reconduite à Corfou, sans être considérée comme prisonnière. Ainsi le résultat de cette campagne fut, pour Ali pacha, l'occupation.de Buthrotum, de Prévésa et de Vonitza, dont le château fut évacué par les Français, qui se replièrent sur Sainte-Maure (1),

La Porte Ottomane voyant arriver à Constantinople un général français, des prisonniers et des têtes expédiés par Ali, lui envoya la troisième queue ou drapeau, et lui conféra le titre de visir que nous lui donnerons, désormais. Son nom, qui n'était connu que comme celui d'un intrigant, heureux, acquit à l'étranger une célébrité extraordinaire. Nelson, arrêtant sa

(1) Quatre soldats, restés malades dans le château au moment de l'évacuation, furent assassinés par Logothète Calichiopoulo, qui vint faire hommage de leurs têtes à Ali pacha. Sur quelle terre le sang français n'a-t-il pas coulé ? et quel temps offrit jamais de plus généreux martyrs que cette époque, où personne n'avait en perspective le bâton de maréchal de France?

flotte au milieu de la mer Égée, envoya un de ses officiers le complimenter sur la victoire de Prévésa. Il serait lui-même, écrivait-il à Ali Tébélen, descendu aux rivages de Nicopolis pour embrasser le héros de l'Épire, mais les fêtes de Palerme, auxquelles il était convié sous le titre nouveau de Bronté (1), qu'on venait de lui décerner, réclamaient sa présence. Il était impatient de recevoir des mains de l'impudique Hamilton la couronne ducale dont elle ceignit le front du cyclope, au milieu des orgies qui précédèrent les assassinats juridiques des Cyrille et des Caracciolo, dans le sang desquels le vainqueur du Nil souilla ses lauriers.

(1) Bronté; on lui avait adressé le diplôme de duc de Bronté (duc du tonnerre), nom d'un des Géants de la Trinacrie, ou Sicile, après le combat naval d'Aboukir. Ce fut dans les fêtes données à cette occasion à Palerme, qu'il vit danser la nouvelle Hérodiade, dont il devint amoureux, au point de lui sacrifier jusqu'à l'honneur, en s'associant à ses fureurs... Et les cendres de Nelson reposent à Westminster!

CHAPITRE V.

par

Circulaire adressée Ali pacha aux agas de l'Épire. — Conférence de Buthrotum-Il trompe les Russes et les Anglais. -Vicissitudes des Souliotes.-Plaintes des Russes.-Paléopoulo soulève les armatolis contre le satrape. - Souliotes abandonnés à eux-mêmes.-Noyade d'Euphrosine et de dixsept femmes.-Ses suites. Arrivée de Samuel à Souli. - Il prend le nom de Jugement dernier.-Encourage les chrétiens. -Dévouement, embarras, chagrins de Photos Tzavellas.— Est banni, mis aux fers, n'est occupé que du salut de ses compatriotes. Attitude formidable de Samuel. — Véli et Mouctar devant Souli. Mort tragique d'Éminé, femme d'Ali. - Capitulation de Souli. - Holocauste de Samuel. --Femmes souliotes qui se précipitent dans les gouffres avec leurs enfants.-Despo, veuve d'un capitaine, avec plusieurs autres, se brûle dans le château de Regniassa. Combat du pont de Coracos; valeur malheureuse de Kitzos et Nothi Botzaris. Jeunes martyrs de Souli.

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ENFLÉ de ses succès, complimenté par Nelson, méprisé des Russes, qui savaient apprécier le moderne Pyrrhus à sa valeur, le visir Ali pacha employa l'hiver de 1798 et une partie de l'année 1799 à préparer la guerre d'extermination qu'il voulait livrer aux Souliotes. S'il les craignait lorsqu'ils étaient abandonnés à eux-mêmes, il les redoutait beaucoup plus quand ils seraient voisins des Moscovites, qui devaient immanquablement s'emparer de Corfou. Il

résolut donc de mettre tout en œuvre pour détruire cette peuplade chrétienne, avant qu'elle eût établi avec les étrangers des relations capables de la rendre formidable. Le moment était propice; l'esprit des Mahométans lui était favorable à cause de ses succès contre les chrétiens. Les passions nationales avaient parlé; et il exposa, fort impolitiquement sans doute à cette époque, les intérêts qui le faisaient agir, dans la circulaire suivante qu'il adressa aux chefs Islamistes :

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« Agas (1), l'empire ottoman est sur son déclin, puis«< qu'il est environné d'ennemis, qui sont les Français <«<et les Russes. Nos livres disent (son Chalcas lui << avait fait cette interprétation, comme étant tirée << du Koran) qu'après la destruction de notre empire, les Albanies se soutiendront pendant quarante << ans et plus contre les ennemis de la foi, si nous << restons unis. Commençons donc par extirper du << milieu de nous la race impie des Souliotes, et << attendons de pied ferme les infidèles. Je vous dis « donc, ainsi qu'il est écrit dans notre livre, que le << temps approche où des malheurs sans nombre nous << accableront de toutes parts. Ainsi, mes frères, vous

(1) Cette espèce de proclamation était conçue en ces termes positifs: Αγάδες, τὸ βασίλειον μᾶς κοντεύει νὰ χαθῆ, ἐπειδὴ τὸ περιτριγυρίζουν πολλοὶ ἐχθροὶ, καὶ περισσότερον ἀπὸ τοὺς ἄλλους, οἱ Μουσκόβοι, καὶ Φράντζεζοι· γράφουν ὅμως τὰ κητάπιά μας, ὅτι καὶ τὸ βασίλειον μᾶς θαπαρθῇ, ἡμεῖς ἐδὼ εἰς τὴν Αρβανιτίαν καθολικοὶ μουσουλμάνοι θέλει που λεμήσομεν σάραντα χρόνους μὲ τοὺς ἐχθροὺς, πῶς ὅμως, καὶ πότε θέλει πολεμήσομεν, ὅταν συμφωνήσωμεν, καὶ πάρωμεν τὸ Σούλι. (Καὶ τὰ ἑξ.) Histoire de Souli, p. 40.

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qui êtes catholiques musulmans, réunissez-vous à <«< moi, et jurons, au nom de Allah et de son prophète, de nous emparer de Souli, ou de mourir. » A la nouvelle de la prise des cantons vénitiens, Chaïnitza que nous avons en quelque sorte perdue de vue, avait quitté son palais de Liboovo, pour se rendre à Janina. L'oisiveté du harem n'avait fait qu'accroître la méchanceté de son cœur (1)! son souffle aurait embrasé le foyer le plus ardent (2); car jamais tête de serpent ne fut placée sur un corps plus envenimé (3) que celui de cette impie, qui justifiait à elle seule, disait l'archevêque Jerothéos, le portrait de la femme criminelle, tracé par la Sagesse divine. Elle demandait à grands cris à voir la Franghia: c'était ainsi qu'elle désignait les contrées que son frère venait d'arracher aux Français. Elle exigea qu'il lui accordât les ornements des églises pour en faire des dolmans à ses esclaves, et on les lui donna; quelques têtes empaillées de nos soldats, qu'on lui octroya sans difficulté ; des jeunes filles prévésanes pour les égorger, ce qu'Ali lui refusa, en calmant sa fureur par la promesse de lui livrer bientôt Souli, où elle pourrait à loisir se baigner dans le sang de ces infidèles, de tout temps ennemis de leur maison. Elle accabla d'injures la douce Éminé, mère de ses

(1) Multam malitiam ei docuit otiositas. Eccles. xxv. (2) Halitus ejus prunas ardere facit. JOB. XLI.

(3) Non est caput nequius super corpus colubri, et non est ira super iram mulieris. Eccles. xxv.

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