Images de page
PDF
ePub

chute! Celle de la strophe est encore plus singu

lière :

Fortune, prends soin de mes vers.

C'est, je crois, la première fois qu'un poète a invoqué la Fortune en faisant des vers : la poésie n'est pas de son domaine. Mais que produit tout cet étalage postiche? L'auteur, porté par la Fortune, voit d'abord Carybde et Scylla sans qu'on puisse deviner à quel propos ni pourquoi, sans que cela mène à rien; et il n'y a ni dans Pindare ni dans Horace un seul exemple de ces excursions gratuites: toujours les leurs se rattachent au sujet. Ici ce n'était pas la peine de nous mener dans les mers de Sicile pour faire trois vers aussi mauvais que ceux-ci : Où fuir? et par quel privilége, Dieux! par quel art me sauverai-je,

Et de Carybde, et de Scylla ?

Cette cheville étrange de privilége, et une rime familière telle que sauverai-je, absolument interdite au style lyrique, sont vraiment des fautes d'écolier. Il y a pourtant dans la strophe sur Carybde trois bons vers, et ce sont les seuls de la pièce, qui est fort longue.

L'antre dans sa soif renaissante

Engloutit la mer mugissante

Qu'elle revomit à l'instant.

L'auteur part de là

pour

aller s'entretenir avec

les Syrènes, et jamais ces divinités n'ont été plus

flatteuses; elles lui font des complimens sans fin et sans mesure; que la plus grande gloire de leurs chants est d'imiter les siens; qu'il est un nouvel Amphion; que leurs chants ne cèdent qu'aux siens. Il s'applaudit, et défie la jalousie injuste et basse, dont le vain dépit croasse. Mais Polymnie survient tout à coup le tancer très - vertement, et lui dire, avec beaucoup plus de raison qu'on ne l'aurait attendu, quoique toujours en prose rimée :

pour

Insensé, qu'oses-tu prétendre?
Cesse, me dit-elle, de prendre
Tes propres erreurs pour mes dons.
Est-ce trop peu que tu t'oublies ?
Mortel superbe, à tes folies

Tu cherches encor de beaux noms.

Cela est fort sensé, mais ne remplit point du tout le dessein de l'auteur, qui se manifeste en cet endroit et se développe dans la suite de la pièce par les préceptes qu'il met dans la bouche de Polymnie. Elle n'a pas tort de traiter de folie ce qu'il vient d'appeler enthousiasme sublime; mais celui-là n'est nullement celui des poètes lyriques, et Lamotte n'a raison que contre lui seul. Polymnie parle comme

lui

et pour lui, mais non pas comme une Muse quand elle lui dit :

Et tes chants ne pourront me plaire
Qu'autant que la raison sévère

En concertera les accords.

Une pareille leçon ne vient pas du Parnasse. La raison, et surtout la raison sévère, ne doit sûrement pas concerter les accords de la lyre: il suffit qu'elle ne les désavoue pas; ce qui est excessivement différent :

Ne songe qu'à charmer les sages.....

Ført bien; mais les vers doivent charmer tous ceux qui ont de l'oreille.

De tes plus riantes images

Qu'un sens profond soit le soutien.

Un sens qui est le soutien des images est une suite de termes incohérens; mais un sens profond est quelque chose de pis. Quoi ! voilà les poètes lyriques obligés d'être profonds! Je n'ai jamais entendu parler de rien de semblable. Ils peuvent, ils doivent être sublimes, même par la pensée ; et pour ne pas recourir aux Grecs et aux Latins, je vais tout de suite en citer un exemple tiré de notre poète Rousseau :

Des douceurs de la paix, des horreurs de la guerre,
Un ordre indépendant détermine le choix.

C'est le courroux des rois qui fait armer la terre :
C'est le courroux des dieux qui fait armer les rois.

La pensée est frappante de grandeur et de vérité; l'harmonie des vers est imposante: cela est sublime et point du tout profond. Je ne me rappelle que le

fat du repas de Boileau, à qui le poète ait fait dire avec un sérieux très-plaisant :

Il est vrai que Quinault est un esprit profond.

Il est peut-être plus plaisant encore qu'un homme d'esprit dise sérieusement, et par la bouche de Polymnie, ce que Despréaux avait fait dire à un fat qu'il voulait ridiculiser. En total, je ne connais rien de plus risible que cette manie particulière à Lamotte, de faire entrer partout ses controverses paradoxales, même dans des sujets qui, par leur nature, s'y refusent absolument. Horace, Juvénal, Boileau, qui ont fait des satyres, justifient ce genre d'écrire contre ses improbateurs : rien n'est plus simple, et de plus, le simple discours en vers ne répugne pas à la discussion, pourvu qu'elle soit vive et animée : voyez la neuvième satyre de Boileau, qui est son chef-d'œuvre. Phèdre et Lafontaine ont fait l'éloge de l'apologue, que ni l'un ni l'autre n'avait inventé; et il n'y a encore rien à dire; mais aucun d'eux n'a fait une nouvelle poétique, soit de la Satyre, soit de la Fable, et n'en a fait le sujet de ses ouvrages. Composer des odes pour défendre le système de ses odes, et mettre sur le compte des Muses une doctrine hétéroclite et réprouvée, était un travers tout nouveau qui ne pouvait guère venir que dans la tête d'un poète qui se

piquait d'être philosophe. Il s'avisa d'une autre fart-
taisie bien autrement extraordinaire : ce fut d'évo-
quer l'auteur de l'Iliade dans une ode intitulée
l'Ombre d'Homère, et de se faire prescrire par ce
grand-homme tout ce qu'a fait son misérable tra-
ducteur. Cette idée est vraiment curieuse, et la
pièce ne l'est
pas moins.

Oui, ma Muse aujourd'hui t'évoque
Non pas que, nouvel Appion,

Je brûle de savoir l'époque

Du débris fameux d'Ilion;
Non pour savoir si ton génie
Fut citoyen de Méonie
Ou de l'île heureuse d'Io.

[blocks in formation]
[ocr errors]

Toujours même style, même choix de rimes, évoque, époque, Io, Clio, et l'époque d'un débris, et le poète qui ne brûle point de savoir l'époque, comme si c'était là le cas de brûler! Il n'est pas probable, poétiquement parlant, qu'Homère, évoqué de cette façon, se soit pressé de quitter les champs. élysées aussi n'est-ce pas lui qui va parler; c'est bien Lamotte, et toujours Lamotte.

Loin cette aveugle obéissance,
Dit-il pour m'imiter, commence
Par bannir ces respects outrés.....

« PrécédentContinuer »