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ARGANTE. Il ne faut point dire bagatelles.

SCAPIN. Mon Dieu! je vous connois, vous êtes bon naturellement.

ARGANTE. Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux. Finissons ce discours, qui m'échauffe la bile. Va-t'en, pendard, va-t'en me chercher mon fripon, tandis que j'irai rejoindre le Seigneur Géronte, pour lui conter ma disgrâce.

SCAPIN. Monsieur, si je vous puis être utile en quelque chose, vous n'avez qu'à me commander.

ARGANTE. Je vous remercie. Ah! pourquoi faut-il qu'il soit fils unique! et que n'ai-je à cette heure la fille que le Ciel m'a ôtée, pour la faire mon héritière !

SCENE V

SCAPIN, SILVESTRE.

SILVESTRE. J'avoue que tu es un grand homme, et voilà l'affaire en bon train; mais l'argent, d'autre part, nous presse pour notre subsistance, et nous avons de tous côtés des gens qui aboient après nous.

SCAPIN. Laisse-moi faire, la machine est trouvée. Je cherche seulement dans ma tête un homme qui nous soit affidé, pour jouer un personnage dont j'ai besoin. Attends. Tiens-toi un peu. Enfonce ton bonnet en méchant garçon.

Campe-toi sur un pied. Mets la main au côté. Fais les yeux furibonds. Marche un peu en roi de théâtre. Voilà qui est bien. Suis-moi. J'ai des secrets pour déguiser ton visage et ta voix.

SILVESTRE. Je te conjure, au moins, de ne m'aller point brouiller avec la justice.

SCAPIN. Va, va: nous partagerons les périls en frères; et trois ans de galères de plus ou de moins ne sont pas pour arrêter un noble cœur.

ACTE DEUXIÈME

SCÈNE PREMIÈRE

GÉRONTE, ARGANTE.

GÉRONTE. Oui, sans doute, par le temps qu'il fait, nous aurons ici nos gens aujourd'hui; et un matelot qui vient de Tarente m'a assuré qu'il avoit vu mon homme qui étoit près de s'embarquer. Mais l'arrivée de ma fille trouvera les choses mal disposées à ce que nous nous proposions; et ce que vous venez de m'apprendre de votre fils rompt étrangement les mesures que nous avions prises ensemble.

ARGANTE. Ne vous mettez pas en peine; je vous réponds de renverser tout cet obstacle, et j'y vais travailler de ce pas.

GÉRONTE. Ma foi! Seigneur Argante, voulezvous que je vous dise? l'éducation des enfants est une chose à quoi il faut s'attacher fortement.

ARGANTE. Sans doute. A quel propos cela?

GÉRONTE. A propos de ce que les mauvais déportements des jeunes gens viennent le plus souvent de la mauvaise éducation que leurs pères leur donnent.

ARGANTE. Cela arrive parfois. Mais que voulez-vous dire par là?

GÉRONTE. Ce que je veux dire par là?

ARGANTE. Oui.

GÉRONTE. Que si vous aviez, en brave père, bien morigéné votre fils, il ne vous auroit pas joué le tour qu'il vous a fait.

ARGANTE. Fort bien. De sorte donc que vous avez bien mieux morigéné le vôtre?

GÉRONTE. Sans doute, et je serois bien fâché qu'il m'eût rien fait approchant de cela.

ARGANTE. Et si ce fils que vous avez, en brave père, si bien morigéné, avoit fait pis encore que le mien? eh?

GÉRONTE. Comment?

ARGANTE. Comment?

GÉRONTE. Qu'est-ce que cela veut dire?

ARGANTE. Cela veut dire, Seigneur Géronte, qu'il ne faut pas être si prompt à condamner la conduite des autres; et que ceux qui veulent gloser, doivent bien regarder chez eux s'il n'y a rien qui cloche.

GÉRONTE. Je n'entends point cette énigme.

ARGANTE. On vous l'expliquera.

GÉRONTE. Est-ce que vous auriez ouï dire quelque chose de mon fils?

ARGANTE. Cela se peut faire.

GÉRONTE. Et quoi encore?

ARGANTE. Votre Scapin, dans mon dépit, ne m'a dit la chose qu'en gros; et vous pourrez de lui, ou de quelque autre, être instruit du détail. Pour moi, je vais vite consulter un avocat, et aviser des biais que j'ai à prendre. Jusqu'au revoir.

SCÈNE II

LÉANDRE, GÉRONTE.

GÉRONTE. Que pourroit-ce être que cette affaire-ci? Pis encore que le sien! Pour moi, je ne vois pas ce que l'on peut faire de pis; et je trouve que se marier sans le consentement de son père est une action qui passe tout ce qu'on peut s'imaginer. Ah! vous voilà.

LÉANDRE, en courant à lui pour l'embrasser. Ah! mon père, que j'ai de joie de vous voir de

retour!

GÉRONTE, refusant de l'embrasser. Doucement. Parlons un peu d'affaire.

LÉANDRE. Souffrez que je vous embrasse, et

que...

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