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LÉANDRE. C'est toi qui as retenu ma montre? SCAPIN. Oui, Monsieur, afin de voir quelle heure il est.

LÉANDRE. Ah, ah! j'apprends ici de jolies choses, et j'ai un serviteur fort fidèle vraiment. Mais ce n'est pas encore cela que je demande.

SCAPIN. Ce n'est pas cela?

LÉANDRE. Non, infâme: c'est autre chose encore que je veux que tu me confesses.

SCA,PIN. Peste!

LÉANDRE. Parle vite, j'ai hâte.

SCAPIN. Monsieur, voilà tout ce que j'ai fait. LÉANDRE, voulant frapper Scapin. Voilà tout? OCTAVE, se mettant au-devant. Eh!

SCAPIN. Hé bien! oui, Monsieur; vous vous souvenez de ce loup-garou, il y a six mois, qui vous donna tant de coups de bâton la nuit, et vous pensa faire rompre le cou dans une cave où vous tombâtes en fuyant.

LÉANDRE. Hé bien?

SCAPIN. C'étoit moi, Monsieur, qui faisois le loup-garou.

LÉANDRE. C'étoit toi, traître, qui faisois le loup-garou?

SCAPIN. Oui, Monsieur, seulement pour vous faire peur, et vous ôter l'envie de nous faire courir, toutes les nuits, comme vous aviez de coutume.

LEANDRE. Je saurai me souvenir, en temps et lieu, de tout ce que je viens d'apprendre. Mais je veux venir au fait, et que tu me confesses ce que tu as dit à mon père.

SCAPIN. A votre père?

LÉANDRE. Oui, fripon, à mon père.

SCAPIN. Je ne l'ai pas seulement vu depuis son retour.

LÉANDRE. Tu ne l'as pas vu?

SCAPIN. Non, Monsieur.

LÉANDRE. Assurément?

SCAPIN. Assurément. C'est une chose que je vais vous faire dire par lui-même.

LÉANDRE. C'est de sa bouche que je le tiens pourtant.

SCAPIN. Avec votre permission, il n'a pas dit la vérité.

SCÈNE IV

CARLE, SCAPIN, LEANDRE, OCTAVE.

CARLE. Monsieur, je vous apporte une nouvelle qui est fâcheuse pour votre amour.

LEANDRE. Comment?

CARLE. Vos Égyptiens sont sur le point de vous enlever Zerbinette, et elle-même, les larmes aux yeux, m'a chargé de venir promptement vous dire que si, dans deux heures, vous ne songez à leur porter l'argent qu'ils vous ont demandé pour elle, vous l'allez perdre pour jamais.

LÉANDRE. Dans deux heures?

CARLE. Dans deux heures.

LÉANDRE. Ah! mon pauvre Scapin, j'implore

ton secours.

SCAPIN, passant devant lui avec un air fier. "Ah! mon pauvre Scapin!" Je suis "mon pauvre Scapin" à cette heure qu'on a besoin de moi.

LÉANDRE. Va, je te pardonne tout ce que tu viens de me dire, et pis encore, si tu me l'as fait.

SCAPIN. Non, non, ne me pardonnez rien. Passez-moi votre épée au travers du corps. Je serai ravi que vous me tuïez.

LÉANDRE. Non. Je te conjure plutôt de me donner la vie, en servant mon amour.

SCAPIN. Point, point: vous ferez mieux de me

tuer.

LEANDRE. Tu m'es trop précieux; et je te prie de vouloir employer pour moi ce génie admirable, qui vient à bout de toute chose.

SCAPIN. Non: tuez-moi, vous dis-je.

LÉANDRE. Ah! de grâce, ne songe plus à tout cela, et pense à me donner le secours que je te demande.

OCTAVE. Scapin, il faut faire quelque chose pour lui.

SCAPIN. Le moyen, après une avanie de la sorte?

LÉANDRE. Je te conjure d'oublier mon emportement, et de me prêter ton adresse.

OCTAVE. Je joins mes prières aux siennes.
SCAPIN. J'ai cette insulte-là sur le cœur.

OCTAVE. Il faut quitter ton ressentiment.

LÉANDRE. Voudrois-tu m'abandonner, Scapin, dans la cruelle extrémité où se voit mon amour?

SCAPIN. Me venir faire, à l'improviste, un affront comme celui-là!

LEANDRE. J'ai tort, je le confesse.

SCAPIN. Me traiter de coquin, de fripon, de pendard, d'infâme!

LÉANDRE. J'en ai tous les regrets du monde.

SCAPIN. Me vouloir passer son épée au travers du corps!

LÉANDRE. Je t'en demande pardon de tout mon cœur; et, s'il ne tient qu'à me jeter à tes genoux, tu m'y vois, Scapin, pour te conjurer encore une fois de ne me point abandonner.

OCTAVE. Ah! ma foi! Scapin, il se faut rendre à cela.

SCAPIN. Levez-vous. Une autre fois, ne soyez point si prompt.

LÉANDRE. Me promets-tu de travailler pour moi?

SCAPIN. On y songera.

LÉANDRE. Mais tu sais que le temps presse.

SCAPIN. Ne vous mettez pas en peine. Combien est-ce qu'il vous faut?

LEANDRE. Cinq cents écus.

SCAPIN. Et à vous?

OCTAVE. Deux cents pistoles.

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