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multiplicité des sciences du devoir, présentée ellemême comme une conséquence de la divisibilité des parties de la science du devoir.

3o Unité de méthode, conséquence de l'unité de la science du devoir, présentée elle-même comme conséquence de l'unité des objets du devoir, et de l'indivisibilité des parties de la science du devoir.

605. ier SYSTÈME. Multiplicité des méthodes, conséquence de la multiplicité des sciences du devoir, présentée elle-même comme conséquence de la multiplicité des objets du devoir. Si les objets du droit positif, du droit naturel et de la morale sont essentiellement différents; si, en conséquence, il y a plusieurs sciences du devoir (Voyez ci-dessus, no 585), on peut concevoir des méthodes différentes pour étudier chacune d'elles. -Entrant, à tort ou à raison, dans cet ordre d'idées, des jurisconsultes romains, nous l'avons vu (nos 478 à 487), proposaient, pour procédé de recherche de ce qu'ils appelaient droit naturel, l'obéissance à l'instinct, ou à l'autorité générale seule, ou à l'autorité générale unie à la tradition. Quant au procédé de recherche du droit civil, ils ne le définissaient point; on peut toutefois sous-entendre qu'ils le plaçaient dans l'observation du caractère propre de la nation à laquelle ce droit devait

être appliqué. Pour nous, nous avons nié la coexistence de plusieurs objets différents du devoir (livre III, titre ), donc de plusieurs sciences différentes du devoir, correspondantes à ces objets (livre IV, no 586): ainsi nous ne pouvons concevoir la coexistence de plusieurs méthodes opposées, pour arriver à

ces prétendues sciences diverses, dont la multiplicité est, pour nous, une chimère.

606. 2o SYSTÈME.- Multiplicité des méthodes, conséquence de la multiplicité des sciences du devoir, présentée elle-même comme une conséquence de la divisibilité des parties de la science du devoir. — Si, tout en reconnaissant l'unité de la science du devoir, on admet une certaine divisibilité de ses parties (Voy. ci-dessus, nos 588 à 592); si l'étude de la science telle qu'elle est, ou telle qu'elle a été, peut être séparée de l'étude de la science telle qu'elle doit être, on conçoit encore qu'on puisse échelonner différentes méthodes, les unes plus restreintes, les autres plus étendues, pour répondre aux degrés plus ou moins élevés de l'ambition scientifique.

C'est en effet ce qu'on ne manque pas de faire. Celui qui veut se contenter de la science telle qu'elle est, et celui qui aspire seulement à la science telle qu'elle est et telle qu'elle a été, admettent des méthodes plus ou moins imparfaites, proportionnées au but incomplet qu'ils se proposent, et indifférentes à la recherche de la science telle qu'elle doit être. — Nous allons décrire et critiquer ces procédés boiteux.

607. 1re application du 2e système. — Méthodes proposées pour étudier la science telle qu'elle est.— Ces méthodes sont au nombre de deux : 1o la méthode pratique; 2o la méthode théorique. Comprenons bien l'antithèse de ces deux adjectifs.

Comme nous l'avons dit dans notre préface, théorie et pratique sont deux choses corrélatives, indivisibles. La jurisprudence (science d'agir) qui chercherait des

théories abstraites, pour ne pas les appliquer, serait comme une cause sans effet.

A l'inverse, la pratique qui ne tendrait pas à se constituer une théorie, serait comme un effet sans cause. C'est pour ceux qui se contenteraient de cette étrange insouciance, que Voltaire a écrit ces vers1:

« Pour nous, messieurs, nous avons l'habitude

« De rédiger au long, de point en point,

« Ce qu'on pensa; mais nous ne pensons point. »

Lors donc qu'on propose deux moyens d'acquérir la science telle qu'elle est, savoir, la méthode pratique et la méthode théorique, on veut dire : Il y a des hommes qui prétendent arriver par la pratique à la théorie; et il y a des hommes qui prétendent arriver par la théorie à la pratique.

Examinons ces deux prétentions.

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608. Méthode pratique pour étudier la science telle qu'elle est. Pour proposer cette méthode, on dit : C'est en faisant des affaires qu'on apprend à les faire. Soyez clerc d'avoué ou de notaire! copiez des minutes et rédigez des requêtes! et vous deviendrez jurisconsulte.

Chemin bien long!... Que de dossiers il faudra compulser, pour recueillir quelques principes, sans ordre général, sans liaison entre eux! Que de considérants d'arrêts à lire attentivement, pour démêler, sous les nuances des faits, le véritable point en litige?! Chemin bien étroit!... Pour arriver à quel but? A

Temple du goût.

• Dumoulin a dit : « Quando mihi apponas arrestum, dic mihi pro quo, ⚫ contra quem, a quo judice datum sit, et quo tuente advocato.»

savoir par cœur une collection d'arrêts! et à pouvoir seulement apprendre au client si une décision judiciaire est, ou non, déjà intervenue dans un procès semblable au sien!

Chemin peu sûr!... Car le praticien qui veut ainsi arriver au raisonnement par l'action, n'étant pas éclairé dès ses premiers pas, n'ose faire autre chose que suivre les errements de ses devanciers, leurs idées, leur langage. Il est forcé de commencer par se ranger dans ce peuple d'imitateurs dont, suivant La Fontaine, il ne faut attendre rien de bon. Souvent il n'a pas conscience de ce qu'il copie. C'est un grand praticien, Henrys, qui a fait cette remarque : « On sait le moins «< ce qu'on pratique le plus. >>

la

A force d'imiter, de tourner comme la roue d'une machine, ou tout au plus comme le cheval qui fait mouvoir la roue, arrivera-t-il à croire en lui-même, et à faire mieux que ses devanciers? Si, par grand bonheur, et au moyen des facultés éminentes de son esprit, il obtient ce résultat inespéré, alors l'incxactitude de sa méthode lui sera, par cela même, rétrospectivement démontrée. Le cercle vicieux dans lequel il aura stationné lui apparaîtra; il verra qu'il s'est imposé la nécessité prolongée de tomber dans des erreurs, pour apprendre à les éviter...

Du reste, il a peu de chances d'arriver même à cette conscience de son tort. Écoutons Dugald Stewart: << La capacité de ranger systématiquement « nos idées, et de leur donner une forme philosophique, <«< ne peut guère s'acquérir que dans le premier âge « de la vie en sorte que les défauts contractés dans

«<les affaires et les occupations de détail, ces défauts << produits par des habitudes d'imitation, sans règle « et sans théorie, peuvent bien, dès qu'une fois ces ha«bitudes sont confirmées, être déclarés incurables1.»

609. Méthode théorique pour étudier la science telle qu'elle est. - La méthode théorique reconnaît, avec le même Dugald Stewart, qu'on retient mieux une langue apprise par principes qu'une langue apprise par l'usage; et qu'un commerçant sait mieux l'état de ses affaires par l'inspection des livres de détail où il les classe par ordre, que par la lecture du livre-journal où il inscrit pêle-mêle toutes ses opérations. En conséquence, elle veut bien qu'on cherche à se faire d'abord des règles scientifiques, avant de pratiquer. Mais ces règles, elle les constitue sans beaucoup d'efforts.

610. En morale, elle admettra, sans contrôle, l'autorité générale; moyen dont nous avons démontré (tome I, nos 316 à 326) l'impuissance à produire une connaissance définitive du devoir.

611. En droit, elle se contentera d'ouvrir les textes des codes. Elle en expliquera les ambiguités par un peu de philologie.

Puis elle en comblera les lacunes par les brocards. Les brocards: l'emploi de ce moyen prétendu scientifique demande une critique détaillée. Reproduisons ici quelques pages (qui ont trouvé quelque faveur), de nos premiers essais de philosophie du droit2.

1 Éléments de philosophie de l'esprit humain, chap. Iv, sect. 2.

2 No 90 et suivants.

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