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<< fictions, c'est élever la pyramide sociale sur des << fondements de sable, et une argile qui s'écroule ',» Il suffit de donner à la société, pour base, son utilité. C'est cette utilité qui, toujours et partout, a engagé les hommes à la constituer. Comment s'en passer? Sans elle, il n'y aurait point de sûreté, point de famille, point de propriété, point d'industrie. — « Le << sauvage applique immédiatement ses mains sur la <<< branche qu'il veut rompre, et les effets qu'il produit << ne peuvent être considérables; l'homme civilisé applique ses mains sur le manche d'une cognée, et, «< en quelques instants, il abat un chêne. Le premier << applique ses mains sur la pierre qui le gêne, et qu'il « veut déplacer; le second applique les siennes au << bout d'un levier, et produit un effet décuple. De << part et d'autre, il y a également exercice de forces <«< musculaires; mais la même force qui ne produit qu'un, d'un côté, produit cent ou mille de l'autre 2.>> Quels sont les événements qui ont le plus contribué au bonheur des hommes? Ce sont les découvertes qui ont facilité les moyens de communication, en donnant à la navigation la boussole, à la pensée l'imprimerie, au mouvement la vapeur.

408. 3e SYSTÈME. - Négation de l'existence d'un

Traité de législation, partie I, chap. XIII. -Aj. Traité des récompenses.

2 Comte, Traité de législation, liv. IV, chap. 1x.

Le même auteur ajoute (liv. III, chap. xiv): « On évalue à deux lieues ⚫ carrées environ le territoire nécessaire à chaque sauvage de l'Amérique septentrionale. Robertson fait observer qu'il faut à une tribu composée de • deux ou trois cents individus, vivant du produit de la chasse, un terri⚫toire aussi étendu que celui de quelques-uns des royaumes de l'Europe.

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état anté-social.

Affirmation de la destination de l'homme à l'état social. - Affirmation de la destination de la société à diriger l'homme tout entier. — Dans cette opinion, la sociabilité est un caractère essentiel de l'être humain. Une définition de l'homme qui passerait sous silence ce caractère, serait une définition mauvaise.

La société n'a pas eu besoin, pour s'établir, du fait d'une convention. Supposer cette convention, c'est tomber dans un cercle vicieux. « La parole, disait <«< Rousseau, paraît avoir été fort nécessaire pour in<< venter la parole; » Barchou de Penhoen dit de même avec raison : « La société paraît avoir été fort « nécessaire à l'institution de la société 1! » En effet, suivant l'observation ingénieuse de M. Laboulaie, des individus délibérant sur la formation du contrat social sont déjà, par ce fait même, en société.

La société n'a pas eu besoin non plus, pour s'établir, d'une longue méditation des hommes sur son utilité.

La société est un fait primitif; elle a existé de tout temps. Et d'abord, dit-on dans ce sens, nos facultés physiques sont organisées pour nous rapprocher l'un de l'autre. Le Créateur ne destinait pas la plante à l'état de société; aussi il ne lui a pas donné les moyens de se mouvoir et de communiquer par le langage.

1 Essai d'une philosophie de l'histoire.

Jacobi dit dans le même sens : « Toute législation doit être précédée d'une ⚫ subordination naturelle; et il est aussi impossible d'établir cette subordination par la législation seule, que de parvenir, par la seule aptitude de la parole, à apprendre à parler. »

• Journal des Débats du 5 mai 1854.

L'homme, au contraire, a reçu la force locomotive; de plus les mille formes de la parole, dont la puissance, représentée par l'image de la lyre d'Amphion, remuait les pierres et bâtissait les villes 1.

Mais que parlons-nous des facultés physiques? Les facultés morales de l'homme sont là pour attester bien mieux, en lui, l'existence de la sociabilité. « S'il <<< recherche la femme, ce n'est pas pour en obtenir seu<«<lement une possession passagère et oublieuse 2; >> il s'unit avec elle par le mariage indissoluble. Il donne à l'enfant l'éducation prolongée que demande le lent développement de sa raison. Et quand cette éducation est consommée, quand l'enfant n'a plus besoin du père, quel est l'enfant qui ne connaît plus son père? le père qui ne connaît plus l'enfant? En un mot, l'homme ne se conçoit que comme membre d'une famille. Puis ses affections s'étendent au-delà de ce cercle. Tout commerce avec ses semblables est son plus grand plaisir sa plus grande douleur est la privation de ce commerce. « Væ soli!» dit éloquemment l'Écriture. Quand le système d'emprisonnement qu'on appelle pénitentiaire, pousse à l'extrême l'isolement du prisonnier, la mort ou la folie en sont souvent la conséquence.

Eh quoi! appeler en aide des accidents, pour expliquer l'établissement de la société! Quelle puérilité! La société s'est fondée toute seule; voici comment : Une famille s'est établie sur un point du globe (si,

1. Moderatio vocis, orationis vis, conciliatrix est humanæ maxime so⚫ cietatis. » (CIC., De legib.)

Rossi, Traité de droit pénal.

conformément aux traditions bibliques, il n'y a eu qu'une seule race primitive, qui s'est ensuite subdivisée1); ou bien plusieurs familles se sont établies sur plusieurs points différents du globe (si l'on préfère l'opinion qui admet plusieurs races primitives).

Cette famille unique, ou chacune de ces familles, a couvert de ses tentes et de ses troupeaux un terrain. Ce terrain est devenu trop étroit pour la subsistance de la famille, quand elle s'est augmentée. Alors la souche a étendu, aux environs, des rejetons qui sont devenus des familles nouvelles. L'alliance d'un certain nombre de familles est devenue tribu; l'alliance des tribus a fondé la nation. Ainsi est survenue la formation réfléchie de la société, après la formation instinctive qui se trouve dans la famille. Enfin, quand la nation est devenue trop considérable, elle s'est arrêtée dans son développement, pour former diverses nations par ses démembrements. « La << terre, comme dit Montesquieu, étant une si grande << planète, qu'il est nécessaire qu'il y ait différents << peuples3. >>

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Voilà les faits exactement analysés. Ainsi, le sentiment universel1 a montré à l'homme la société comme

Hæ familiæ Noe juxta populos et nationes suas. Ab his divise sunt gentes in terra post diluvium. (Genèse, chap. x, § 3, vers. 32.)

• Erat autem terra labii unius, et sermonum eorumdem. »

(Ibid., chap. xi, § 1, vers. 1.)

Ahrens, Cours de droit naturel, partie générale, chap. II.

3 Il n'existe pas de pouvoir modérateur, supérieur aux nations, chargé de faire sur ce globe le partage des terres entre elles. L'origine de la distinction des nations est donc chose de fait, et non de droit.

4 Que quelques hommes, usant de leur libre arbitre, aillent vivre dans les bois! Que quelques peuplades sauvages aient résisté jusqu'à présent à

nécessaire à sa vie intelligente, autant que l'air est nécessaire à sa respiration. Il est temps d'effacer les phrases banales qui représentent notre liberté comme restreinte par l'état social? C'est notre liberté réalisée, étendue, augmentée, garantie qu'il faut dire1! Nous ne pourrions contredire la vocation qui nous appelle à l'état de société, sans commettre un abus monstrueux de cette liberté, sans faire, à l'égard de notre être perfectible, ce que le suicide est à notre être physique.

C'est ainsi que, dans ce troisième système, on affirme la destination de l'homme à l'état social; sauf à exagérer les conséquences de cette vérité, en affirmant, en outre, la destination de la société à diriger l'homme tout entier.

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409. 4o SYSTÈME. Négation de l'existence d'un état anté-social.--Affirmation de la destination de l'homme à l'état social. - Négation, au moins provisoire, de la destination de la société à diriger l'homme tout entier. Ce système, que nous adopterons, se confond avec le troisième en tant qu'il admet toutes les preuves, données par celui-ci, du caractère essentiellement sociable de l'homme. Mais il n'admet pas que ce caractère sociable, du moins dans l'état d'imperfection actuelle de la société, doive aboutir à la con

la civilisation! Qu'importe? « Combien d'hommes n'y a-t-il pas dont l'in⚫telligence n'est pas développée, dont la moralité est plus que douteuse! Est-ce à dire que le principe de l'intelligence et celui de la moralité ne • sont pas dans l'homme, et que l'homme n'a pas l'obligation de les cul<tiver? Quelques centaines de traînards prouvent-ils contre la discipline et « la bravoure d'une armée ? »

(Rossi, Traité de droit pénal, liv. I, chap. XII.)

1 Dunoyer, cité par Roussel, Encyclopédie du droit, section 1o, chap. 1,

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