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1° La détermination du juste et de l'injuste, établie par le droit national, devra-t-elle régler, sans modifications, les rapports de la nation et des membres de la nation avec les membres des nations étrangères?

2o Devra-t-elle régler, sans modifications, les rapports entre la nation et les nations fédérées avec elle?

3o Devra-t-elle régler, sans modifications, les rapports entre la nation et les nations non fédérées avec elle?

A tort ou à raison, la réponse à ces trois questions a toujours été plus ou moins négative.

La raison en est dans une défiance qui a ses degrés.

On conçoit que la défiance d'une nation, contre les individus étrangers qui viennent lui demander l'hospitalité, doit être moins forte que sa défiance contre les nations considérées collectivement. On conçoit aussi que la défiance d'une nation doit être moins grande à l'égard d'une nation fédérée avec elle, qu'à l'égard des nations non fédérées avec elle.

En conséquence, et jusqu'à une époque ultérieure de civilisation plus avancée, on peut définir ainsi la nature des rapports réglés par les quatre branches de la division du DROIT que nous expliquons :

1o Le rapport réglé par le droit national entre une nation et ses membres, et entre ses membres considérés entre eux, est le rapport de droits et de devoirs entre associés, unis par l'intérêt commun de la nation.

2o, 3o 4°. Le rapport réglé entre une nation et les individus membres d'une autre nation, par le droit des gens, et entre nations par le droit interna

tional fédéral, ou par le droit international proprement dit, c'est le rapport de droits et de devoirs entre associés unis pour l'intérêt commun de l'humanité, mais divisés par certains intérêts spéciaux de nationalité, dont les exigences momentanées peuvent être plus ou moins considérables.

766. Mais ces intérêts tendent à se rapprocher. Les luttes qu'ils établissaient disparaissent peu à peu ; la défiance qu'ils inspiraient aux peuples entre eux fait place à plus de sympathie. Aussi les règles du droit national, du droit des gens, du droit international fédéral et du droit international proprement dit paraissent s'avancer successivement vers un état d'harmonie qui fait entrevoir l'identité!

767. Autrefois, quand un membre d'une nation venait sur le territoire d'une autre nation, non pas pour s'y faire naturaliser, mais pour demander une hospitalité momentanée, pour y passer en s'instruisant par les faisant voyages, pour y résider même en y le commerce, en y contractant mariage..... cette hospitalité était peu fraternelle. Sans doute il était raisonnable que l'étranger, en franchissant la frontière du pays où il entrait, se soumit au devoir de n'y point troubler l'ordre..... Mais fallait-il lui imposer des devoirs bien plus pénibles, lui donner des droits bien moins étendus qu'aux nationaux? Sur ce point, l'histoire nous montre, dans les siècles précédents, au lieu de la charité, une sorte de haine passionnée, présidant à la réglementation des rapports de chaque peuple avec les étrangers.

En paix comme en guerre, un étranger, c'était

un ennemi 1. On ne lui devait, « d'un côté, aucune « espèce de justice, et, de l'autre, aucune espèce de «< pitié 2. » C'est un poète, un apôtre des sentiments bienveillants, qui déclare bons tous les moyens de l'opprimer :

« .....

Dolus an virtus, quis in hoste requirat 3.»

<< Pourquoi me tuez-vous? - Eh! ne demeurez« vous pas de l'autre côté de l'eau ?» Voilà le raisonnement, tel que le présente l'ironie de Pascal.

Ainsi donc, à l'étranger voyageur, nulle communication du droit civil des pays visités par lui, si ce n'est dans les limites de la plus stricte nécessité.

Contre l'étranger résidant, défiance plus grande encore. On l'assimila longtemps au serf. Quand le servage disparut, on maintint contre lui des restes d'ilotisme. On lui faisait acheter sa liberté par de gros impôts. On lui prenait même une part de son bien, s'il contractait certains mariages. C'est peu au jour de sa mort, on confisquait son bien tout entier, au préjudice de ses héritiers étrangers.

On abusait de la distinction introduite par les Romains, dans des vues politiques, entre le droit civil applicable aux citoyens seulement, et le droit des gens applicable aux peregrini. On torturait cette distinction, pour refuser à l'étranger une foule de droits sacrés.

1 Dans le langage de la loi des douze tables, le mot hostis indiquait l'étranger avec lequel on était en paix, comme celui avec qui on était en guerre.

2 Montesquieu.

3 Virgile, Enéide, lib. II.

Grâce au ciel, ces sentiments inhumains s'effacent. Les nations ont des lois plus douces aux étranToutefois il existe encore, dans chaque pays, gers. entre les étrangers et les nationaux, des différences plus ou moins fortes. On hésite sur l'opportunité de leur donner participation à telle ou telle branche du DROIT. Nous reviendrons sur ce point.

768. Quant à l'idée de l'utilité d'un lien de fédération entre plusieurs peuples, elle s'est présentée de tout temps, plus ou moins, à l'esprit des hommes. Mais les progrès de cette idée ont été lents.

Dans les siècles anciens, le morcellement de la Grèce avait fait sentir la nécessité d'une fédération entre les petits États, royaumes ou républiques, qui se partageaient le sol du pays. Le tribunal des Amphictyons avait été créé, pour prendre connaissance des infractions commises par tel ou tel de ces Etats aux droits des autres, prononcer des amendes contre celui qui s'était rendu coupable, et, s'il ne se soumettait pas, déclarer la guerre sacrée, en armant contre lui tous les autres, au nom du droit et de la religion'.

Dans les temps modernes, des motifs analogues ont contribué à la formation des Confédérations Helvétique et Germanique, et des Etats-Unis d'Amérique.

Il est à souhaiter que ces confédérations se multiplient. S'il existait ainsi des tribunaux où les peuples en désaccord demanderaient justice à leurs pairs, « la << guerre inspirerait la même horreur que tout autre << genre de meurtre, parce qu'elle ne serait plus en effet

1 Voyage d'Anacharsis, chap. xxxv. de l'édition de Démosthènes.

Précis de l'abbé Auger, en tête

<< que le meurtre pur et simple 1. » Ainsi se trouverait réalisé le projet conçu par Henri IV, projet si diversement jugé par les historiens: «...Il désirait réunir si << parfaitement toute la chrétienté, dit Hardouin de « Péréfixe, que ce ne fût qu'un corps qui eût été et se << fût appelé la République chrétienne. Pour cet effet, il «< avait déterminé de la partager en quinze domina«<tions ou États, qui fussent, le plus qu'il se pourrait, << d'égale force et puissance, et dont les limites fussent << si bien spécifiées par le consentement universel de << toutes les quinze, qu'aucune ne les pût outrepasser... << Pour régler tous les différends qui fussent nés entre « les confédérés, et les vider sans voie de fait, on eût << établi un ordre et forme de procéder par un conseil

général composé de soixante personnes, quatre de <«< la part de chaque domination; lequel on eût placé << dans quelque ville au milieu de l'Europe, comme « Metz, Nancy, Cologne ou autre... Par l'avis de ce «< conseil général, qu'on eût pu appeler le sénat de la « République chrétienne, on eût établi un ordre et un « réglement entre les souverains et les sujets; pour «< empêcher, d'un côté, l'oppression et la tyrannie des «< princes, et de l'autre les plaintes et les rébellions << des sujets 2. >> 2.

769. Enfin, parlons en dernier lieu du droit international proprement dit.—Ce droit aurait dû être régi, de tout temps, par les mêmes principes qui s'appli

1 Lamennais, Discussions critiques.

2 Voir Hardouin de Péréfixe, sur l'année 1509.-Thémis, tom. V, p. 174. · Barreau français, Élie de Beaumont, affaire Béresford. · Mémoires de

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Sully.

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