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leur moyen d'amener ces lecteurs ou ces élèves à faire, pour leur propre usage, ce travail intérieur de leur intelligence.

La méthode exégétique refuse d'exercer, à cet égard, aucune initiative. Elle éclaircit, pour ceux qui écoutent le professeur ou qui lisent le commentaire, chaque détail de la loi, considéré isolément. Puis elle laisse ensuite à chacun le soin de constituer le système qui lui plaît. - « J'apporte, dit-elle à ses auditeurs, « des matériaux sur le chantier... Élevez vous-mêmes « l'édifice! » - Les partisans de l'exégèse s'honorent d'éviter ainsi l'orgueil du dogmatisme, et de respecter avant tout, dans tout disciple, l'inspiration dégagée de toute influence étrangère 1.

Mais la méthode indépendante doute que ce soit assez faire pour l'intelligence inexpérimentée de l'étudiant ou du lecteur. Elle craint que le résultat de l'exégèse ne soit, pour celui-ci, l'indifférence qui ne

1 C'est le système que paraît recommander La Bruyère. Pour empêcher le texte de périr sous le poids des commentaires, voici le conseil qu'il donne aux jurisconsultes :

« ...

Vous vous trouverez dans le cas où se sont trouvés les premiers « commentateurs. Vous n'emprunterez leurs lumières et ne suivrez leurs « vues, que là où les vôtres seront trop courtes. Leurs explications ne sont « pas à vous, et peuvent facilement vous échapper. Vos observations, au contraire, naissent de votre esprit et y demeurent. Vous les trouverez plus ordinairement dans la conversation, dans la consultation, et dans la « dispute.» (Comp. Thémis, t. II, p. 285.)

a

On peut citer, avec plus d'autorité, un homme plus compétent, d'Aguesseau. Dans les instructions qu'il donne à son fils, pour le guider dans ses études, le premier précepte qu'on trouve est celui-ci, qui paraît incliner vers la méthode exégétique :

.... La meilleure manière de se remplir des principes du DROIT est de • les étudier dans le texte même des lois, beaucoup plus que dans les interprètes, dont la lecture serait immense et peu utile, par la confusion <qu'elle met souvent dans les idées de ceux qui veulent savoir le DROIT par • autorité, plutôt que par raison... »

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cherche aucun système, bien plutôt que l'ardeur de la liberté philosophique, qui trouve des forces dans sa spontanéité'.

Au risque de mal réussir, la méthode indépendante tente du moins l'épreuve. Elle est persuadée qu'une classification imparfaite aura plus de puissance que la négation de toute classification, pour apprendre à en trouver une meilleure2!

867. De ces deux méthodes, il faut en convenir, c'est la première qui a le plus généralement été suivie en France, pour expliquer nos codes.

Dans l'enseignement oral des Facultés de droit, presque tous les professeurs (sauf de rares exceptions) l'ont suivie.

Deux raisons expliquent cette préférence :

1re raison: Quand, il y a cinquante ans, le Code civil a paru, la nouveauté même de ce monument de législation appelait, avant tout, l'exploration des détails de l'œuvre. Il fallait le lire et le relire cent fois, avant d'en systématiser la pensée. Évidemment l'opportunité de l'exégèse était grande.

2e raison Lorsque les écoles de droit, supprimées

Leibnitz incline à cet avis. C'est aux partisans de la méthode exégéIque que paraît s'adresser directement cette phrase de la Nova methodus endæ docendæque jurisprudentiæ (part. II, S 9):

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Ils semblent s'être imaginés qu'il fallait toujours suivre la méthode ois. Comme si elles exerçaient un empire sur la logique! >>

"Nous voyons tous les jours, dans la Faculté à laquelle nous avons l'honneur d'appartenir, les professeurs qui ont enseigné par l'exégèse, faire, au jour de l'examen, aux élèves, des questions dont la réponse demande des comparaisons d'idées. Ils veulent ainsi savoir si les élèves ont fait euxmêmes, dans leur esprit, le traité abandonné à leurs propres recherches. Il nous semble (sauf erreur de notre part) que, la plupart du temps, les élèves n'y ont pas inême songé.

dans la révolution du dernier siècle, furent rétablies - en 1804, l'enseignement du droit romain se contenta d'abord de quelques anciens abrégés dogmatiques sans valeur, qui laissaient trop les textes dans l'ombre.

Pour lutter contre cette décadence des études, une école de jurisconsultes, reprenant dans leur base les travaux sérieux 1, voulut, par l'exégèse, ramener les esprits à l'investigation des textes trop oubliés. Elle voulut les engager, surtout, à explorer les textes nouvellement découverts, par exemple ceux des Institutes de Gaius, retrouvées en 1816. Ce mouvement fut utile pour réveiller, à cette époque, le droit romain endormi. Il s'étendit dans la même direction, et par l'effort des mêmes hommes, au droit français.

Quant aux ouvrages rédigés par les auteurs, ils ne s'astreignent pas, comme les leçons de la plupart des professeurs, à suivre, sans y rien changer, l'ordre des articles de la loi. Mais pourtant il faut dire qu'ils copient du moins les divisions principales des codes. Aussi, quand même ces ouvrages prennent le nom de traités, ce sont le plus souvent des commentaires déguisés 2.

868. Si, dans notre enseignement oral comme dans nos publications, nous préférons la méthode indépendante, ce n'est pas pour faire autrement que nos

1 MM. Ducaurroy, Demante, Blondeau, Jourdan, etc.

2 Citons toutefois, comme s'éloignant entièrement de la méthode exégétique, l'ouvrage remarquable d'un jurisconsulte allemand, Zachariæ, traduit en français par MM. Aubry et Rau, professeurs à Strasbourg.

maîtres vénérés, qui ont tiré de la méthode exégétique tant de résultats utiles'.

C'est parce que nous croyons que le temps est venu d'essayer des traités. Plus nous vanterons l'excellence des documents amassés par nos devanciers, plus nous en conclurons l'opportunité de classer ces documents. Sans nier les avantages du commentaire, mentionnons ceux du traité.

Suivant nous, la différence entre la méthode du commentaire et la méthode du traité, c'est que l'une enseigne plus aisément, mais d'une manière plus fugitive, les préliminaires seulement d'une science; tandis que l'autre enseigne, avec plus de difficulté, la science elle-même.

Développons ces propositions.

La méthode exégétique enseigne plus aisément. En effet, le texte, sur lequel elle s'appuie, cst pour l'étudiant ce que sont les lisières pour l'enfant qui apprend à marcher. En suivant la rédaction législative, dans les mérites de son ordre comme dans les défauts de son désordre, en rattachant à chaque phrase, à chaque expression, heureuse ou malheureuse, de la loi, parfois à l'emploi d'une conjonction, d'un adverbe, ou même à la position d'une virgule, des lambeaux de commentaires (dont chaque auteur va perpétuellement grossissant le bagage), cette méthode emploie un procédé artificiel, qui vient en aide à la mémoire 2.

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• Defendi possent, etiam hac defensa fuissent. >>

Il y a des personnes qui, à cette ressource de mnémotechnie résultant

La méthode indépendante enseigne avec plus de difficulté. - Elle demande plus d'efforts. Les perpétuelles répétitions que le commentaire ramène sur vingt articles où se reproduisent des idées analogues, le traité les résume en quelques mots, sous une règle d'une forme plus brève et plus nette 1.

La méthode exégétique enseigne d'une manière plus fugitive. Précisément parce qu'elle fait apprendre plus aisément. La trace de l'impression, bien vite dessinée, est bien vite effacée.

La méthode indépendante enseigne d'une manière moins fugitive.-Elle se confie plus au jugement qu'à la mémoire. Ses leçons, plus péniblement écoutées, se gravent plus profondément. Elles sont mieux rete

nues.

La méthode exégétique enseigne les préliminaires de la science: la méthode indépendante aspire au fond de la science elle-même. La première insiste sur des renseignements très utiles; mais ce ne sont que des renseignements. La seconde les combine et les coordonne.

Dans le commentaire, chaque partie de la loi paraît se présenter avec une importance égale. Toutes

de la relation du commentaire à l'article commenté, ont voulu en ajouter d'autres, par exemple, la mesure et la rime, comme dans le Jardin des racines grecques.

On a mis en vers même le Code de procédure et les Chartes.

Leibnitz parle d'un ouvrage, Memoriale juridicum Bucksylberi, où ce moyen était employé.

1 Utinam imitarentur illos, quos citant et crepant, jurisconsultos veteres, qui, paucissimis sæpe lineis, magnam argumentorum vim presserunt! Ego non dubito responso aliquo Ulpiani vel Sævolæ, vix paginam • occupante, nostros illos bonos decisionarios supra decem plagulas im· pleturos! (Leibnitz.)

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