Images de page
PDF
ePub

cofté du Ciel; il ne trauaille qu'à son falut, & tous les œuures font autant de fruits de la mifericorde & de la juftice. De tous les biens il ne cherche que la vertu, pource qu'il eft affeuré qu'elle n'eft point periffable, qu'elle n'eft point fujette à la reuolution des années, & 'que c'eft par elle neceffairement qu'on

doit acheter l'immortalité. Il fonde la vie fur ces deux maximes, d'aymer Dieu de toutes fes forces, & d'aymer fon prochain comme luymefme; & fçait par là fi bien mefler le Ciel auec la terre, qu'il fert par tout où il est, de confolation & d'exemple. Pour conceuoir vne longue horreur du vice, on n'a qu'à l'entendre discourir: Pour eftre heureux, il faut feulement le croire: pour bien viure, il ne faut que l'imiter; & pour fe fauuer, il n'y a point d'autre moyen que celuy de ne le pas perdre de veuë.

[ocr errors][merged small][merged small]

T

DV SAGE.

CHAPITRE II.

Oute la fcience du temps eft arreftée à mefurer l'infiny, à regler le cours du Soleil, & le nombre des Eftoilles, à courir apres le mouvement des eaux, & la viteffe des vents; à forger d'agreables monftres; à mettre en credit des illufions & des refveries. Noftre curiofité n'eft plus attachée qu'à des fottifes; & noftre efprit ne nous fert plus qu'à nous embarraffer & à nous perdre. Nous voulons fçauoir ce qui fe paffe dedans & dehors le monde ; nous voulons rendre noftre entendement plus haut que le Ciel, & plus profond que les abyfmes; & noftre va nité nous fait croire bien fouuent que les fecrets de Dieu nous font auffi peu cachez que nos affections & nos pensées. Certes fi vn

Ancien fut écrafé de la foudre pour en auoir voulu chercher la caufe auec trop d'opiniâtreté: Si vn autre fut aueuglé du Soleil pour en auoir ofé confiderer trop fixement la lumiere; & fi vn homme fut frappé d'vne mort foudaine, pour s'eftre approché trop prés de l'Arche,il eft croyable que noftre curiofité ne nous peut pas eftre beaucoup plus auantageufe, & que la confufion en eft toûjours le fruit & la recompenfe. Le Sage peut bien donner quelques- vnes de fes heures à la contemplation des Aftres, aux guerres, & aux traittez des Peres, à l'établiffement & à la ruine des Republiques & des Monarchies, aux erreurs, & aux axiomes des Philofophes. Il peut voir dans la primitiue Eglife des fideles qui tombent du Ciel, & confiderer que toutes les Eftoilles ne font pas fixes. Il peut voir dans les derniers temps des Apoftats qui fe precipitent, & fonger qu'il eft bien fouuent au pouuoir des furieux de fe perdre. Il peut voir à deux pas de luy, des innouateurs qui chancelent, & qui n'eftiment la fcience que comme la mode, felon qu'elle eft la plus nouuelle; & s'imaginer qu'il y a de tous coftez des charlatans & des aueugles. Il peut entrer dans l'Academie & dans le Lycée; fe repofer fous les portiques de Zenon, & faire mefme vne promenade dans les jardins d'Epicure. Enfin la doctrine peut bien s'accorder auec fa condition; il peut connoiftre toutes les fectes& les diftin

[ocr errors]

guer; fortifier fon efprit par des principes, & le diuertir par des paradoxes.

Mais il eft fi peu dans les voyages qu'il fait en Perfe, en Grece, ou en Italie, qu'on le trouue toufiours chez foy; & quoy qu'il femble affecter tous les Autheurs, il n'aime pourtant que le premier Autheur de toutes chofes ; & la connoiffance de foy-mefme eft tout ce qu'il defire, & tout ce qu'il cherche. C'eft là toute fon industrie, & toute fon inclination: left luy-mefme & fon étude & fon liure: Ileft fon propre miroir, & pour difcourir & pour apprendre, fon efprit fe ramaffe en luy-mefme tout entier, & ne compofe fes raisonnemens que de les defauts, & de fa mifere.

Il n'y a prefque plus rien à ignorer au monde: On découure tous les iours des trefors cachez,des Eftoilles inconnues, des chemins qui n'ont efté frayez de perfonne, & des fecrets qui n'ont iamais efté releuez par la Magie, ny par les Oracles; & l'homme cependant a fi peu de curiofité de luy-mefme, qu'il ne fe confidere que quand la mort luy ofte l'vfage & la connoiffance de toutes les autres choses. Le Sage trouue ce procedé fi eftrange, & cette vanité fi ridicule, qu'il ne fçauroit croire que celuy-là puiffe eftre fçauant,qui ne peut rendre raifon de fa condition ny de fes mœurs, & qu'il puiffe eftre éclairé de grandes lumieres, s'il eft aueugle en fa propre caufe. Il commence dont à s'e

la

xaminer depuis fon berceau, il regarde ce. qui luy peut donner de l'affliction & de la gloire, ce qui le doit mettre en repos & en exercice, & ne perd iamais de veue l'endroit d'où luy peut venir fon gain ou fa perte. Il voit d'abord que la vie eft vn continuel fupplice, que les plus heureux font des plaintes auffi bien que les miferables, que ceux qui font dans les grandes charges,ne laiffent pas d'eftre dans les grands ennuis, & que trifteffe & le defefpoir le rencontrent ordinairement fous la pourpre, ceux quiappor tent en naiffant les caracteres de leur puif fance & de leur grandeur, & qui n'ouvrent la bouche que pour commander, murmureng fouuent contr'eux-mefmes; ils trouuent leur incommodité dans l'éclat qui les enuironne, & n'aiment pas quelquefois ce qui les fait craindre. Avec cette pompe qui nous éblouit, ils ont pos imperfections & nos maladies; & pour commander aux hommes, ils ne commandent ny aux Aftres', ny à la Nature. Ils ont leurs craintes, & leurs efperances; leurs coleres & leurs tendreffes; & les paffions les plus violentes ne les quittent pas mefme au lit, ny deflus le Tiône.

Tous les Grands ne font point affeurez dans leur bonheur; les vns le perdent fou uent, lors qu'ils ne commencent qu'à le goûter, & quelquefois la felicité des autres dure moins qu'vn fonge. Comme aujour d'huy le merite n'eft plus recõpenfé ny con

« PrécédentContinuer »