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dreffé plus inutilement des embufches. C'eft vne befte farouche qui fe laiffe appriuoifer pour vn temps, & qui tue enfin celuy qui l'éleue, & quila nourrit. Comme le plus doux des tygres eft,toufiours à craindre, la volupté la plus agreable eft toufiours à detefter. L'vne ne fe fait point d'entrée dans l'ame, que l'autre ne foit prefte de la fuiure: Elles vont toutes ensemble, & ne s'entretiennent de telle forte, qu'elles ne fçauroient viure que de compagnie. Elles ne laiffent rien d'entier en l'homme; elles fubornent fes lens ; elles corrompent fa raison; elles peruertiffent les mœurs; elles affoibliffent fes forces, & ruinent iufqu'à la fanté dont elles tiennent leur établiffement, & leur nourriture. Le Sage qui connoit toutes leurs rufes, & qui n'eft pas ignorant de leur info lence & de leur malice, ne daigne pas les regarder quand'elles s'approchent de luy; ou s'il les regarde, c'est seulement quand elles s'en vont, dit Ariftote, & qu'elles fe retirent toutes honteufes. On luy fait tort, quand on dit qu'il a de l'indiference pour l'honneur, pour les biens, & pour les delices du monde; il faut dire qu'il a quelque forte d'auerfion pour toutes ces chofes, qu'il a des fentimens trop releuez & trop iuftes pour eftimer du vent & de la pouffiere, & qu'il eft nay trop genereux & trop libre, pour pouuoir s'accommoder à cette bassesfe. Il ne s'arrefte point à des plaifirs qui

s'écoulent comme l'eau, & qui s'éuanoüilfent comme la fumée: Il ne croit pas qu'ils foient durables, s'ils peuuent finir, ny qu'ils doiuent plaire, s'ils ne contentent vne eternité. Tout ce qui ne va pas fi loin, ne va pas iufques à luy: It eft ennemy de toutes les felicitez paffageres ; & s'il pourfuit quelque gloire, c'eft celle dont iouiffent les bienheureux, & qui a efté promise à tous les fideles.

DE SA FORCE.

CHAPITRE V.

E Stoïque Romain n'a pas mal employé L fon raifonnement, quand il a fait voir que noftre bon-heur eftoit en nöftre puiffance; mais vn autre Philofophe de mesme pays femble auoir enchery fur cette verité publique, quand il a dit, que le falut de l'homme ne dépendoit que de fes yeux. C'eft par eux qu'on peut iuger de ses affe tions & de fes penfées ; & comme dans deux miroirs qui ne flatent point, on s'y peut inftruire de nos vertus & de nos vices. La haine le rend farouches, & la compaffion

fanguiffans: La douleur les abat; la trifteffe les ternit; l'audace les ouurit : la joye les éclaire, & la colere les allume. Ce font deux interpretes muets qui font mieux connoistre nos conceptions, que les paroles ne les fçauent exprimer : La langue les déguise, on les diffimule; mais ceux-cy ne nous trompent point, & ne peuuent eftre accufez qu'injuftement d'artifice, ou de trahifon. Ils ont porté mille fois témoignage contre le cœur; ils ont découuert des confpirations & des meurtres; & certains luges s'en font feruis comme de témoins irreprochable,& comme de preuues infaillibles, pour conuaincre des criminels qui s'eftoient refolus de fauuer leur vie par le filence.

Le Sage qui ne fe foucie pas qu'on le connoiffe iufqu'au fonds du cœur, ny laiffe rien entrer de fale,ny de honteux, & comme S. Chryfologue dit que l'oeil doit eftre la feneftre de l'ame, le miroir de la penfée, la lumiere du corps, le guide des membres, & non pas le paffage des vices; il eft bien aife que le fien faffe connoiftre fes inclinations, & fon innocence. On voit auffi que tous les regards font honneftes: Il n'attache fa veuë qu'à des objets qui le fortifient dans fa pudeur; & quand mefme il la porteroit fur des matieres impures, il n'eft pas plus fouillé que le Soleil, quand il a porté fes rayons fur la boue, fur la charongne. Si le hazard le conduit dans des compagnies qui ne font res

marquable que par leur diffolution, & par leur ordure, il y vit comme s'il eftoit dans la folitude, & fe gouuerne auec les débauchez & les Courtifanes, comme s'il conuerfoit auec des Religieux, & des Veftales. Il ne s'ofte pas les moyens de pouuoir pecher lors qu'il ne fe deffie point de la force, & ne fait pas comme ce Philofophe dont parle Tertulien, qui s'aueugla luy-mefme, pource qu'il n'eftoit pas en fon choix de voir de belles femmes fans faire de mauuais fouhaits, & qui par fon aueuglement témoigna fon incontinence. Sa curiofité mefme affeure bien fouuent fa refolution; & ce qui deuroit le feduire en apparence, n'eft pas capable de le tenter. Il confidere les beautez viuantes, comme des beautez inanimées, & n'a pas plus de paffion pour les chef-d'œuures de la Nature, que pour les chef-d'œuures de l'Art.

Ce n'eft pas qu'il foit opiniâtre à demander tous les iours de nouueaux combats, pour rendre de nouuelles preuues de fon courage. Il a veu des iuftes qui ne font pas plutoft fortis du defert, qu'ils y ont laiffé leur merite, & leur premiere innocence. Il fçait qu'il y a des choses qu'on ne peut vaincre qu'en le fuyant, & qu'il y a des ennemis dont on ne peut triompher que par la retraite. Il fe connoit trop bien, pour s'imaginer qu'il eft inuincible; & l'experience & la raison luy ont fait voir que le plaifir a corrompu prefque les plus grands hommes de tous les

fiecles. Il y a des maladies qui viennent à bout des temperamés les plus robuftes & les mieux reglez,& des vices qui débouchent les plus pures ames. Le poifon peut infecter les plus belles fources, & les Saints mesmes n'ont pas toufiours fait de bonnes œuures. Toutes les tentations ne reftent pas fans effet; & comme le peché a fes amorces & fes excuses, il a fa puiffance & fes priuileges. 11 n'y auroit pas de la gloire à vaincre, fi la vi&toire nous eftoit auffi facile que le combat; & il y auroit de la honte à receuoir vne recompenfe, s'il ne nous couftoit pas plus à la meriter, qu'à la prendre. Il y a fans doute des compagnies où le vice regne auec quelque forte d'agréement:On y laille dés la premiere fois la vertu, & ceux qui penfent toûjours s'y purifier, n'en reuiennent fouuent que fouillez de crimes.

Mais fi-toft que le Sage s'en apperçoit, il s'éloigne d'vne focieté fi dangereufe, & ne veut point hazarder fa force aux defpens de fon innocence,& de son salut. Au contraire, il ne tefmofgne pas moins de force à fuir l'occafion du peché, qu'à ne pas pecher, & trouue qu'il ne doit pas eftre moins eftimé de conferuer fes yeux; que fon cœur. Les chofes qui font permifes ne sot pas toûjours honneftes; il y en a qu'il faut s'abftenir de voir; & l'on peut prendre par les yeux des vices auffi bien que des maladies. Il fe peut faire que quelques-vns n'ont efté faints que

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