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de la main d'vn Superieur, & quand elles viennent d'vne fouueraine puiffance. S'il rend quelque bon office, il ne s'attend point à de longs remerciemens; il ne croit pas que le deuoir le plus beau foit en ce point le plus honnefte; & s'il en reçoit vn mauuais, il (çait bien qu'il en doit vn autre, mais on ne le trouue point en eftat, ny en refolution de le payer. On ne luy peut faire vn outrage fans luy faire vne injuftice: Il vit de telle forte, que fes ennemis ne peuuent le frapper ny l'atteindre: Il méprife tous ceux dont la vie n'est pas innocente, & fe perfuade qu'il n'eft pas fi glorieux de remedier à la calomnie par la violence, que de la laiffer mourir d'elle-mefme. Il regarde les affaires, & ne penfe point ailleurs. Il ne donne de fon temps & de fon loifir, que ce que l'honneur ou la neceffité luy en demandent, & demeure immobile comme vn centre, cependant que fa condition qui en eft, s'il faut ainfi dire, la circonference, eft tirée deffous, deffus, & autour de luy. Enfin il fçait qu'il doit conferuer fon entendement, pource qu'il n'ignore pas combien il luy coufte, & dans cette connoiffance il eft fon propre Legiflateur, vn abyfme de lumieres, vn oracle de confeil; & s'il n'a iamais les yeux fermez dans les causes étrangeres, illes a toufiours ouuerts pour fes domeftiques.

L'HOMME

I

DE BIEN.

CHAPITRE II.

L ne confidere pas ce que fa puiffance luy rend facile, mais ce que fon deuoir luy fait feulement trouuer honnefte ; & comme dans toutes les actions la juftice luy fert de guide, la bien-fceance luy tient lieu de feconde loy. Il prend beaucoup plus de plaifir à fe plaindre qu'à quereller; & pource qu'il connoift le peché dans tous les accidens & dans la nature, il ne le haït pas tant pour le danger, que pour fa laideur. Sa probité fait fa confiance, qui ne laiffe pas de luy eftre quelquefois nuifible, pource qu'elle fournit d'armes, de moyens & d'occafions à l'artifice; & dans ce defordre dont il eft luy-mefme l'inftrument, l'objet & le pere, il n'eft pas fi prompt à donner des larmes à fa credulité, qu'à la perfidie. Il n'a qu'vn cœur que chacun peut voir tout nud; & si sa difcretion ne luy confeilloit point de chercher dans la vertu, fa gloire & fa recompenfe, du

premier tefmoin de fes actions, il feroit rauy d'en faire fon luge. Si le fuccez des affaires refpond mal à fes fouhaits, & qu'il ait manqué dans fa preuoyance; il ne manquera iamais dans fa promeffe: Il ne veut point d'autre Notaire que fa parole: 11 s'arrefte plus à ce qu'il a dit, qu'à ce qu'il voit; &. pour luy faire violer fon ferment, il faut quelque perte plus grande que celle de tous fes biens, & des tortures plus effroyables que celles de la tyrannie. Si fon amy l'a fait executeur de fon teftament, il ne laiffera pas de le feruir, quoy qu'il foit mort; Il ne profitera ny de l'âge des Orphelins, ny des of fres des Creanciers : Il confultera fa conscience, & non pas fon intereft; & pour s'enrichir, il ne foüillera iamais dedans les fepulchres. Il n'eft pas feulement le premier à découurir le defaut de ce qu'il vend, mais encore à le publier; & fi quelqu'vn fe trompe auec luy dans ce qu'il achepte,il eft toufiours. plus preft de rendre, qu'vn autre n'a efté de hazarder. La honte & le defpit ne font iamais rougir fon front ny fes jouës: Sa languen'accommode point vn menfonge par va Equiuoque: Quand fa reputation eft moindre que fon merite, la juftice de fa cause le fouftient & le fortifie; & dans cét eftat, il ne veut que triompher dans fon innocence, ou fouffrir au moins auec elle. Sa probité va toufiours au deffus de fa preuoyance; & quoy qu'il fafle ou qu'il s'imagine, il ne sattache

pas tant à la nature des chofes, qu'à leur iffuë. Quand il a deyant luy fa tâche & fon entreprife, il en laiffe à Dieu la conduite & le fuccez: le fardeau dont il fe charge n'eft point au delà de fon defir ny de fa puiffance; & s'il arriue autrement, & qu'en cette rencontre la neceffité luy foit vne loy, il tentera tout ce qui ne luy paroift pas impoffible, mais la volonté fera toûjours proportionnée à fa force. Il fçait auffi bien conferuer le fe cret de fon amy, que ménager fa reputation; & s'il fe reffouuient de fes premiers déportemens, il fait payer à fon dernier âge I'vsure de tous les excez de la jeuneffe. Pource qu'il trouue que la pauureté n'eft pas fi honteufe que l'emprunt, il aime mieux eftre malheureux qu'infoluable: Son cœur eft fans tache; & les actions fans reproche; il approuue plus l'effet que les paroles, & témoigne moins d'étonnement & moins d'honneur aux dernieres attaques de la mort, qu'au recit d'vne trahison. Enfin quand la vertu feroit fans azile & fans recompenfe, & que le Ciel ne feroit qu'vn efpace imaginaire, & l'ouurage de la refuerie d'vn Philofophe, fes fentimens feroient auffi releuez; La verité l'auroit toufiours pour fon protecteur: 11 ne connoiftroit point d'autre bien que celuy qui fe roit honnefte; & pour tout dire, il n'est ennemy de perfonne, & l'on doute encore, s'il n'eft point plus amy des autres, que de luymefme.

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CHAPITRE III.

Es yeux pour tous objets, n'en ont que d'abfens & d'inuifibles qu'ils voyent auffi clairement que la couleur & la lumiere. Ce qui leur eft prefent ne leur eft pas plus fenfible; & pour mieux parler, il a toufiours deuant luy ce qui n'eft defia plus, & ce qui n'eft pas encore. C'eft en ce point qu'il furpaffe tous les autres, & que rien ne luy femble impoffible, & qu'il fait paroiftre autant de refolution à faire les chofes, qu'il luy faut de conftance à les fupporter. Comme il fe promene tous les jours auec fon Createur, & qu'il s'entretient familierement auec luy, on peut dire que tout ce qui eft icy bas n'eft point de fon humeur ny de fon commerce, & qu'il vit dans le Ciel, quand il marche fur la terre. S'il vifite fon Dieu, fes propres habits ne luy feruent ny d'ornement ny de montre, il en tire de la riche & de la preticufe garde-robe de fon Redempteur; &

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