Images de page
PDF
ePub
[merged small][graphic][subsumed][merged small][merged small]
[merged small][graphic][merged small]
[graphic][merged small][merged small]

par la bonne humeur verveuse et satirique de nos aïeux. Il sait à fond le << Blason populaire de Picardie; il possède mieux que personne les contes à rire qui sont le répertoire des malins. compères en nos villages picards; il les redit volontiers, en prodigue dispensateur de gaîté de terroir, et même sous leur forme patoise originelle. Aujourd'hui il y revient pour fixer dans une œuvre plus caractéristique un type

Les très érudit et infatigable biblio- | thécaire d'Abbeville, qui donne depuis près de trente ans l'exemple d'un dévouement sans bornes à l'histoire de la Picardie, vient d'ajouter un nouveau service et des plus considérables à tous ceux qu'il a déjà rendus à notre chère province. Voici, à peine âgé de trois mois, un fort beau volume de luxe, publié à Abbeville, avec le plus grand soin, par Winckler-Hiver, illustré copieusement par Albert Winckler: le Magister à demi-légendaire de conteur. Et il a de Pernois. C'est un frère abbevillois

fait choix du fameux magister de Per

des Hortillonnages et de Marie-Chré- nois. Il nous présente de lui 30 contes tienne, ces rêtus enfants du poète picard d'Amiens et des artistes amiénois.

en bon français alerte, interprétés sobrement, sans fantaisie d'auteur, avec

Alcius Ledieu a été plus d'une fois peut-être en moins la grâce gouailleuse l'esprit narquois et railleur,

attiré

par

et la malice à sous-entendus que donne

(4) LE MAGISTER DE PERNOIS par Alcius Ledieu, illustré par A. Winckler. Abbeville, Winckler-Hiver, 1903.

le parler populaire picard, dont Alcius Ledieu sait si bien se servir en d'autres occasions. Telle qu'elle est, cette œuvre de verve est de celles qu'il lui aura été délicieux d'écrire dans la joie, « pour ce que rire est le propre de l'homme ».

[ocr errors]

J'ai voulu simplement, dit-il, faire œuvre de traditionniste et contribuer à fixer d'une manière plus durable les récits qui, depuis un siècle et demi, ont égayé à la campagne les séries au crachet fumeux. Sachez bien qu'Alcius Ledieu ne s'en est pas tenu là; ayant justement conscience de fournir une très précieuse contribution au traditionnisme en Picardie, il a écrit sept pages ingénieuses sur les trouvères considérés comme sources inspiratrices du traditionnisme provincial. Il a donné une notice biographique en dix-neuf pages de son conteur, Jacques Tilloloy (17191786), entreprise malaisée qu'un fureteur habile, un enquêteur patient, pouvait seul mener à bien. Et il a jeté, en passant, quelques touches précises au portrait du clerc laïc du XVIIIe siècle, dans nos paroisses picardes.

*

Ce magister de Pernois, d'ailleurs insatiable gourmand, buvait comme un chantre, chantait et chansonnait avec un égal talent. Il savait encadrer des bons mots, des farces, des aventures un peu grasses dans un conte leste et adroit, écouter, à l'occasion, d'un de ces prélats du XVIIIe siècle qui avaient eux-mêmes le goût des anecdotes hardies et des jeux de mots, fusées de rires telles ces éminences qu'aimait à peindre Vibert et que reprend notre caustique Brispot.

Le magister de Pernois n'inventait pas toujours il puisait dans le vieux fonds de malice gauloise qu'il connaissait, et il n'est pas facile de distinguer ses emprunts arrangés de ses «< contes à rire personnels. Il y a dans les trente contes du recueil des exploits de gourmandise, des bons mots de parasite et de buveur, des calembours et des farces plaisantes, des mystifications au détriment du curé, de l'apothicaire, du médecin, du dentiste, du marchand de drap, à la façon de Patelin; enfin de la scatologie. - tous éléments bien picards. La devinette et le rébus man

quent seuls aux condiments du terroir. On devra quelques bonnes soirées cet hiver à la lecture de ces « joyeux devis et facéties » d'un gai compère que ne renieraient pas nos conteurs de fabliaux. Il est de la lignée gauloise.

Depuis le XVe siècle, en France, on sait que l'humeur satirique a débordé dans nos œuvres littéraires, bousculant et délogeant l'esprit platonique et artificiel, le bric à brac de l'amour quintessencié. Alors l'ironie triomphante, la malice caustique, ont repris toute faveur dans les provinces encore riches de sève créatrice. Notre Picardie a fourni sa

large part de ses contes à rire: Alcius Ledieu l'a excellemment dit. Je lui demanderai cependant de fixer une

nuance.

Je ne crois pas absolument comme lui à la vertu d'inspiration des fabliaux dans lesquels serait venue s'alimenter la verve des conteurs populaires transmise ensuite par la tradition orale. Ces trouvères sont-ils autre chose que le produit d'un milieu provincial (mœurs et circonstances historiques. etc.) avec le coefficient d'inspiration du terroir et de l'individu ?

Si un auteur de contes à rire s'est élevé par chance à l'oeuvre littéraire (contestée par beaucoup), il lui a dû de passer jusqu'à nous, parmi cent autres, et plus, qui, il y a cinq siècles comme il y a cent ans, ont aussi réjoui leurs auditeurs picards, sans que nous le sachions.

Le magister de Pernois est un de ces récents chanceux qui ont survécu à l'oubli. Mais pensons un peu à toutes ces facéties qui étaient jadis les feux d'artifice roulants de la gaîté picarde. C'est une tendance propre à la race de stéréotyper les mots frappants, les dits de << haulte graisse », de les répéter sous garantie d'auteur «comme disait un tel. Nous voyons près de nous la transmission orale naissante par l'admiration, puis par l'imitation, par l'analogie de l'effet de gaîté une fois certain. Pour nos auditeurs picards le médecin, le barbier, le cabaretier de village avaient souvent un répertoire de contes à rire. Contes lestes et aventures réalistes étaient aussi la spécialité des gens de négoce, en rapport avec les villages voisins. Et comme on de

« PrécédentContinuer »