Images de page
PDF
ePub

1. salle du Petit Bourbon, à l'endroit où est aujourd'hui la colonnade du Louvre construite par Perrault. Molière devait jouer alternativement avec les acteurs italiens, dont le principal était le fameux Scaramouche.

Le futur auteur du Misanthrope conquérant par wie farce de tréteaux les bonnes grâces du futur Roi-Soleil, voilà qui est fait pour étonner ceux qui acceptent aveuglément les dires de Boileau:

Molière, illustrant ses écrits.

Peut-être de son art ent remporte le prix
Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures
Il n'eût point fait souvent grimacer ses figures,
Quitté pour le bouffon l'agréable et le fin,
Et sans honte à Térence allié Tabarin.

et,

Un Molière qui ne songeait lui-même qu'à rivaliser avec Térence et que le parterre aurait forcé à rivaliser avec Tabarin, voilà comment le législateur du Parnasse voulait se, représenter son ancien ami. Mais la vérité est que, depuis l'arrivée de Molière à Paris. la plupart de ses farces ont été écrites pour la cour, non pour le parterre; que, d'autre part, Molière n'éprouvait à cultiver ce genre aucun répugnance. Toujours il fut prêt à rivaliser avec les comédiens italiens d'agilité, de souplesse, d'invention. plaisante. C'est en 1655 qu'il s'était déguisé en suisse dans l'Etourdi, mais c'est en 1670 qu'il se déguise en femme dans Pourceaugnac. En 1668, un jour de spectacle gratuit, il joue sous cinq habits différents dans les Fâcheux, sous deux habits dans le Médecin malgré lui, et, entre les deux pièces, vient comme orateur faire un discours au public. Comme orateur notamment, il était d'une drôlerie incomparable: un jour il paraît devant le Roi en habit de ville, l'air surpris, et fait « des excuses en désordre sur ce qu'il se trouvait là seul et manquait de temps et d'acteurs pour donner à Sa Majesté le divertissement qu'elle semblait attendre ». Une autre

fois, il parait en marquis ridicule qui veut être sur le theatre malgré les gardes, et, devançant nos revues de fin d'année où se trouve une scène jouée dans la salle, il a une conversation risible avec une soi-disant marquise placée au milieu de l'assemblée.

Au reste, l'histoire de Molière acteur et auteur est en 1658 et 1659 fort instructive. Au Louvre, le Roi revoit Molière dans le Médecin volant et Gros-René écolier. A la ville, le public siffle Héraclius, Rodoyune et Pompée, se pâme aux scènes les plus bouffonnes de l'Étourdi et du Dépit amoureux, et enfin, le 18 novembre 1659, porte aux nes la farce nouvelle des Précieuses ridicules.

II

Les Précieuses étaient-elles vraiment nouvelles ? Les Pré éieuses étaient-elles une farce?

Si la première de ces questions pouvait être résolue par la négative, c'est probablement à Montpellier, en 1654. que Molière aurait observé et peint les précieuses qu'il a irévérencieusement qualifiées de ridicules. Chapelle, l'ami de Molière, a parlé des précieuses de Montpellier dans son Toyage, écrit en collaboration avec Bachaumont. Voici quelques lignes du passage qui les concerne : « Dans cette même chambre nous trouvâmes grand nombre de dames. qu'on nous dit être les plus polies, les plus qualifiées et les plus spirituelles de la ville, quoique pourtant elles ne fussent ni trop belles ni trop bien mises. A leurs petites mignardises, leur parler gras et leurs discours extraordinaires, nous crùmes bientôt que c'était une assemblée des précieuses de Montpellier. Mais, bien qu'elles fissent de nombreux efforts à cause de nous, elles ne paraissoient que des précieuses de campagne, et n'imitoient que faiblement les nôtres de Paris. Elles se mirent exprès sur le chapitre

des bears esprits » Lises.

et ne dirent là-dessus que des sot

Que les beaux esprits feminias de Montpellier aient été étudiés par Molière, la chose est moralement certaine ; que Moliere s'en soit souvenu en composant sa pièce, la chose est probable; mais que la pièce même ait été faite en province et avant 1659, c'est ce qui est fort discutable. A tout le moms, a-t-elle été assez retouchée, remaniée, adaptée au milieu parisien pour que La Girange ait pu dire: «En rog, Melière fit la comédie des Précieuses1».

La Grange dit: la comédie, et c'est bien la le titre que portent toutes les éditions. Mais Mlle des Jardins, publiant en 1600 un compte rendu de la pièce (et il semble bien que ce compte rendu a été inspiré par Molière lui-même) Fintitule: récit de la farce des Précieuses. Et cest une farce, en effet, que l'auteur avait entendu écrire ; c'est une farce que les acteurs entendaient jouer.

Nous connaissons les caractères de la farce. Telle qu'elle vait régné à l'Hôtel de Bourgogne au début du siècle. telle qu'elle avait été continuée au Marais par Jodelet, telle à peu près qu'elle était encore jouée sur la scène même de Molière par Scaramouche et ses compagnons italiens, la farce ne s'inquiétait pas de l'intrigue il lui suffisait de tableaux bouffons, souvent inspirés par la vie, auxquels un simple semblant d'intrigue servait de cadre. Ici, de même, que voyons-nous? Deux hommes du monde, qui sont en même temps des hommes de bon sens, ont été reçus avec mépris par deux précieuses ridicules, deux cousines, dont ils songeaient à faire leurs femmes. Pour se venger ils leur envoient leurs laquais, affablés de leurs costumes et aussi des titres de marquis et de comte. Comme ils se piquent de bel esprit, les valets

1. Voir Émile Roy, La Vie et les hores de Charles Sorel sieur de Souvigny, 1891, in-8, p–267.

sont admirés, jusqu'au moment où les maîtres reviennent, les dépouillent et confondent les deux soties, si malhabiles à reconnaître le vrai mérite. Non seulement l'intrigue ici n'est rien, mais elle rappelle, par les déguisements qu'elle comporte, bien des farces antérieures ou postérieures : Gros Guillaume femme de Turlupin, Scaramouche ermite, Arlequin lingère du palais.

La farce ne cherchait pas à dissimuler l'acteur sous le personnage même qu'il représente, comme doit le faire toute œuvre d'un genre un peu relevé. Quel que fût le sujet mis en scène, les personnages portaient les noms mêmes que les acteurs avaient adoptés, afin que le public eût moins de scrupules à rire des mines et des tics des Gros Guillaume, des Gaultier-Garguille, des Turlupin. Ici, les deux hommes du monde portent les noms de La Grange et de du Groisy, les deux acteurs, nouvellement entrés dans la troupe, qui les représentaient. Le vicomte de Jodelet, c'est le Jodelet du théâtre du Marais, qui venait avec son frère l'Espy de se joindre à Molière, en qui il sentait sans doute le génie même de la farce. Magdelon, où on a voulu voir Madeleine de Scudéry, c'est sans doute Madeleine Béjart; Cathos, où on a voulu voir Catherine de Rambouillet, c'est sans doute Catherine de Brie; Marotte est Marotte Ragueneau ou Marotte de Beaupré; Gorgibus, enfin, est un personnage traditionnel, que nous avons vu dans le Médecin volant et qui reparaitra dans Sganarelle.

L'acteur de farce ne se contentait pas de jouer sous un nom toujours le même ; il avait, sauf lorsqu'il se déguisait pour plus de comique, un costume traditionnel, et, ou bien il portait un masque à l'italienne, comme Turlupin, ou bien il s'enfarinait à la française, comme Gros GuilJaume. Le marquis de Mascarille (quelque étrange que la chose puisse paraître) portait un masque dans les Précieuses, et c'était un personnage si traditionnel dans le théâtre de Molière, que celui-ci avait été Mascarille dans l'Étourdi et

dans le Dépit, et que ses ennemis Font assez longtemps désigné de ce nom. Le costume de Mascarille étant ici impossible, puisque le valet est devenu marquis, voici de quelle façon il s'est aflublé n'v seut-on pas singulièrement la charge?

Imaginez-vous done, Mesdames, que sa perruque étoit si grunde, qu'elle balayoit la place à chaque fois qu'il faisoit la révérence, et son chapeau si petit, qu'il étoit aisé de juger que le marquis le portoit bien plus souvent dans la main que sur la tête; son rabat se pouvoit appeler un honnête peignoir, et ses canons sembloient n'être faits que pour servir de caches aux enfants qui jodent à cline-musette; et en vérité, Madame, je ne crois pas que les tentes des jeunes Massagètes soient plus spacieuses que ses honorables cauons. Un brandon de glands lui sortoit de la poche comme d'une corne d'abondance, et ses souliers étoient si couverts de rubans, qu'il ne m'est pas possible de vous dire s'ils étoient de roussi, de vache d'Angleterre ou de maroquin; du moins sais-je bien qu'ils avoient un demi-pied de haut, et que j'étois bien en peine de savoir comment des taions si hauts et si délicats pouvoient porter le corps du marquis, ses rubans, ses canons et sa poudre1.

Quant à Jodelet, il avait la figure blanche de farine, comme le héros de la Jalousie du Barbouillé. Entendezvous les éclats de rire du parterre quand, à l'entrée de cet enfariné, Mascarille le présente à Magdelon et à Cathos en res termes : «Ne vous étonnez pas de voir le vicomte de la sorte: il ne fait que sortir d'une maladie qui lui a rendu le visage pâle comme vous le voyez » ?

A des personnages ainsi affublés la farce ne ménageait pas les plaisanteries et les jeux de scène boulfons, souvent grossiers; les acteurs avaient le droit, sinon le devoir, d'ajouter à leur rôle des facéties plus ou moins spirituelles de leur cru. Consultez le Récit de la farce des Précieuses: vous verrez que Jodelet prétendait avoir rendu en étermuant la balle qu'il avait reçue à je ne sais quelle bataille,

1. Récit de la farce des Précieuses, dans le Molière DespoisMesiard, to me II, p. 199.

« PrécédentContinuer »