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des précieuses, en attendant l'entrée de Mascarille, dent le conseiller des Grâces, c'est-à-dire un mi

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roir,

Cene soucoupe inférieure, c'est-à-dire........... je ne traduis pas. Ces grossièretés n'étaient sans doute pas de Molière, mais il laissait ses camarades les introduire dans son œuvre. On y a depuis introduit de même bien des jeux de scène contestables; Jodelet, dépouillé de ses beaux atours, quitte en outre une quantité ellroyable de gilets, se trouve vêtu en cuisinier, met sur sa tête un bonnet de coton, et veut, en ce costume, faire encore la cour aux précieuses. Mais tenons-nous en au texte authentique de Molière. N'est-ce pas jeux de scène de la farce que Mascarille donnant un soufflet à l'un des porteurs de chaise, menacé par un autre et filant deux tout aussitôt ? - Ou encore que les idoles des précieuses deux is bâtonnés par leurs maitres? Un certain nombre de plaisanteries sont à l'avenant: admirables de verve et de drôlerie, mais trop fortes pour ne pas compromettre la vraisemblance. Jodelet, surtout, commet des bévues énormes. C'est lui qui a vu Mascarille commandant un régiment de cavalerie sur les galères de Malte. C'est lui encore qui ne veut pas avoir emporté d'assaut une demi-lune au siège d'Arras : «Que veux-tu dire avec ta demi-lune? C'était bien une lune tout entière». Et c'est lui, enfin, qui imagine de faire tâter à ces dames les blessures qu'il a reçues par tout le corps.

Ainsi les Précieuses ridicules sont une farce. Or, même à ne les considérer que par là, elles constituent déjà un chef-d'œuvre. L'intrigue, si légère, est très adroite, et les tableaux qu'elle relie, très variés. La mystification des précieuses est suffisamment annoncée au début par La Grange et du Croisy pour que nous ne risquions pas de prendre au sérieux tout ce qui va suivre ; mais l'annonce est restée suffisamment obscure pour que nous ne sachions point comment tout finira. Les démêlés du bon

homme Gorgibus avec sa fille et sa nièce nous font sentir à quelles pecques nous allons avoir à faire: «Il est bien nécessaire vraiment de faire tant de dépenses pour vous graisser le museau... ---- CATHOS. Mon Dieu! Ma chère, que ton père a la forme enfoncée dans la matière ! que son intelligence est épaisse, et qu'il fait sombre dans son ame!»Aussi, quelle joie et quel trouble quand les deux méconnues entendent annoncer la visite d'un marquis, du marq's ascarille! Faut-il rappeler l'entrée pompeuse de ce and seigneur de contrebande ? Faut-il parler du merveilleux tête à tête de Mascarille et des précieuses: Mascarille étalé dans un fauteuil entre ses admiratrices qui se contentent de deux chaises, leur prodiguant les madrigaux les plus usés, leur promettant des impromptus faits à loisir, leur chantant une chanson de son cru, où air et paroles sont également admirables à son goût?--Quand la scène pourrait devenir monotone, voici le vicomte de Jodelet qui la renouvelle et change le cours des vanteries. Puis, c'est le bal improvisé, les coups de baton distribués par La Grange et du Croisy, les deux valets dépouillés, les violons qui demandent leur argent, les précieuses crevant de dépit, et Gorgibus qui les injurie encore sans pitié.

Comme les scènes, les personnages s'opposent avec un · plaisant relief. Jodelet, plus lourd et moins enjoué que Mascarille, réduit le plus souvent son rôle à gâter ce que vient de dire son compère. Mais Mascarille porte avec un certain éclat ce qu'on pourrait appeler sa friperie précieuse; il a une verve endiablée et, avec cela, une sorte de philosophie narquoise. «Marauds, leur crie Magdelon quand il ne porte plus que sa livrée de laquais, marauds, osez-vous vous tenir ici après votre insolence?» Et il répond en gouaillant «<Traiter comme cela un marquis! Voilà ce que c'est que du monde! la moindre disgrâce nous fait mépriser de ceux qui nous chérissaient. Allons, camarade,

allons chercher fortune autre part: je vois bien qu'on n'aime ici que la vaine apparence, et qu'on n'y considère point la vertu toute nue. »

Comme se distinguent Mascarille et Jodelet, Magdelon et Cathos se distinguent aussi. C'est, comme il est juste, la fille de la maison, Magdelon, qui a le plus d'assurance, le verbe le plus haut. Cathos la copie, la répète et, si elle s'aventure imprudemment, accepte de sa cousine une réprimande. « Je veux vous dire l'air que j'ai fait là-dessus », dit Mascarille.«CATTOS. Vous avez appris la musique? ---Moi! point du tout. Et comment donc cela se peut-il? - Les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris. » — <«< Assurément, ma chère », ajoute sévèrement Magdelon, humiliée par l'ignorance de sa cousine. Ne parlons pas de la servante Marotte qui, habituée sans doute à son maitre Gorgibus, n'entend rien au galimatias de Magdelon et de Cathos. Mais quel contraste piquant que celui des deux jeunes filles avec Gorgibus lui-même ! Pendant qu'elles aiment le langage affété, il est pour la langue nette, exacte, crue au besoin, de nos pères. Pendant qu'elles rêvent de calquer leur vie sur les romans en dix ou vingt volumes qui ont troublé leur cervelle, il n'admet que la vie terre à terre et bourgeoise. Pendant qu'elles sont déjà des façons de féministes entichées de liberté, il entend commander en maître comme un bon père de l'ancien régime, et mater sa fille si elle ne s'empresse pas d'obéir. Contraste plaisant, avons-nous dit; mais aussi contraste vrai, car les caractères opposés s'exagèrent, s'exaspèrent en se heurtant.

III

Je voulais, dans ce qui précède, n'étudier que ce qu'il y a de comique dans la farce de Molière, et j'ai été forcé

de toacher à ce qu'elle contient aussi d'important pour T'histoire des mœurs: fant Molière a intimement uni les deux parties. C'est sur la seconde de ces parties qu'il y aurait hen maintenant d'insister. Mais nous serons Lrefs. Contre les femmes précieuses, pedantes, prudes, émancipées de la tutelle masculine en ce qu'elle a de raisonnables et des lois naturelles en ce qu'elles ont de plus utile à la société, Molière ne s'est pas borne à son attaque de 1659: il est revenu à la charge dans les Fücheux, l'Ecole des femmes, la Critique, l'Impromplu, le Misanthrope, la Comtesse d'Escarbagnas et surtout, en 1672, les Femmes savantes. C'est à propos des Femines savantes qu'il sera naturel de montrer le vrai caractère de cette campagne. Contentonsnous ici de quelques indications.

Et d'abord, à qui en veut Molière? A quelques précienses qui, exceptionnellement, sont ridicules? ou à toutes les précieuses parce qu'elles sont ridicules? Roederer, le galant chevalier au XIX siècle de la société polic du xvir'; Victor Cousin, l'amant fort platonique des grandes dames d'alors et surtout de Mine de Longueville; Livet enfin, le plus précieux des érudits et le plus érudit des précieux. se sont évertués à montrer que Molière avait en vue seulement les imitatrices exagérées, les pecques provinciales. et qu'il avait excepté les vraies précieuses, le salon de Mme de Rambouillet ou celui de Mlle de Seudéry. N'avaient-ils pas pour eux la préface même de la pièce?

J'aurois voulu faire voir qu'elle se tient partout dans les bornes de la satire honnête et permise; que les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes, qui méritent d'être bernés; que ces vicieuses imitations de ce qu'il y a de plus parfait ont été de tout temps la matière de la comédie; et que, par la même raison que les véritables savants et les vrais braves ne se sont point encore avisés de s'oilenser du Docteur de la comédie et du Capitan, non plus que les juges, les princes et les rois de voir Trivelin, ou quelque autre sur le théâtre, faire ridi

culement le juge, le prince ou le roi, aussi les véritables précienses auroient tort de se piquer lorsqu'on jou les ridicules qui les imitent mal.

Mais peut-on se laisser tromper parces précautions d'an auteur ? Une déclaration comme celle que nous venons de lire ne ressemble-t-elle pas à ces protestations enflammées ou à ces recommandations de complaisance que s'empressent d'étaler les geus suspects? Immédiatement après la première représentation de la pièce, un «alcoviste de qualité », comme dit Somaize, c'est-à-dire un précieux puissant avait eu le pouvoir de faire suspendre les représentations pendant quinze jours, et peut-être n'avaient-elles été reprises qu'après l'assurance donnée par Molière que seules les soltes imitatrices, les caricatuues de la préciosité étaient visées par ses railleries. Comment Molière n'eut-il pas répété la même chose quand il donnait son œuvre en librairie? Mais, si les vraies précieuses se sont liées à cette déclaration, le bon billet qu'elles ont eu là !

On peut faire à Ræderer, à Cousin et à Livet un certain nombre de concessions.

D'abord, Molière n'a pas visé spécialement la société de Mme de Rambouillet; et il y avait à cela une excellente raison: c'est que cette société n'existait plus guère, ayant eu son beau temps de 1624 à 1648. Mais, comme son ami Boileau devait le faire plus tard en composant son dialogue des Héros de roman, il a certainement songé à Mlle de Scudéry, à l'illustre Sapho, dont la Clélie, le Grand Cyrus, la carte de Tendre sont ridiculisés en maints endroits, et qui d'ailleurs a tenu rancune à Molière.

En second lien, Molière a supposé que Magdelon et Cathos venaient de leur province. Mais cela était nécessaire pour que les exagérations de la farce fussent possibles, et cela n'empêche point qu'une fois la part faite aux nécessités de l'optique théâtrale, la satire ne porte nettement sur les précieuses les plus parisiennes.

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